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Citations sur Parfums (139)

Eglise

Me plaît le curieux protocole de leur silence. Leur retrait du monde aussi, même au coeur des plus bruyantes villes. Leurs murs éloignent, et du temps, et de la folie des choses, et de celle des êtres.
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Douches collectives
[....]
On ne s'entend pas. Cris, rires, bousculades, insultes joyeuses, fausses bagarres, rots, pets, quolibets. Tous à poil. Direction les douches, les deux mains cachant un sexe à peine formé, limaçon ridiculement mince et timide, glabre, honteux, tandis que d'autres, comme le fils Voiry qui en est tout fier, exhibent déjà des bites de compétition, longues comme des bananes, poilues, insolentes, goguenardes, les prennent dans leur main, les montrent à tout le monde, les font tournoyer. L'eau brûlante sort des jets rouillés. Les murs sont en béton, le sol en ciment. Nous disparaissons dans une brume de hammam. Nous avons tous le même savon Palmolive. La mousse ruisselle entre nos pieds. Soudain il fait chaud mais malgré les parfums de propre demeure toujours le fond ancien qui est la marque véritable du lieu, une odeur mate de froid humide et de carrelage, de vieux bâtiment souffreteux, de joints attaqués par la lèpre des moisissures, et de buée sucrée. Je cache du mieux que je peux ma petite nouille. Je rêve au samedi suivant en me savonnant. L'entraîneur me fait entrer sur le terrain......
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Je lis à m'en crever les yeux. Le temps fait le dos rond. Je n'ai plus ni lieu ni âge. Je tourne les pages dans l'odeur de papier ancien, de l'encre nouvelle, de jaquettes tapissées d'une poussière dont les grains affolés se bousculent sous les paupières des lampes, de l'humidité aussi d'ouvrages lourds et peu souvent ouverts qui paraissent en souffrir et suppurer des larmes minuscules. Sans doute est-ce là, dans cette bibliothèque surannée, au profond du silence, parmi les visages absents de mes camarades et leurs corps ennuyés, enivré par le remugle - puisque c'est là le nom de l'odeur des vieux livres comme je l'appris bien plus tard - que j'entre dans un pays, celui de la fiction et de ses mille sentiers, que je n'ai depuis jamais vraiment quitté. Je suis comme les livres. Je suis dans les livres. C'est le lieu où j'habite, lecteur et artisan, et qui me définit le mieux.
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Le chat glisse sous la pierre plate posée en porte-à-faux contre les clapiers. Des gouttes isolées donnent les premières notes, mates, près du poulailler, et c'est le gros de la troupe, armée oblique et drue de soudards qui sabrent sans vergogne les dernières tulipes, déchirent les feuilles encore fragiles des cerisiers, humilient les pivoines en les forçant à courber leurs têtes crémeuses avant de les écraser au sol, grêlent la terre de millions de cratères gros comme l'ongle d'un pouce. Massacre élémentaire. Pilonnage. Cataracte. L'eau fraîchit l'air et le sabre. C'est le mufle d'un monstre qui nous souffle à plein visage sa trop chaude haleine de tropique. Des fleuves minuscules charrient leurs eaux brunes dans les allées, et des mers vaporeuses se forment au pied des framboisiers. On grelotte un peu, et on sourit, tandis que, à l'abri de l'orage, on inspire le fumet que le massacre délivre, humus de marais, tourbe, sève, sucre des corolles des lys dont les pétales en pleurs sont comme des haillons, poils de bêtes aux abois et qui meuglent en choeur au loin, soupe de terre relevée par le frisson des lavandes vertes mais dont l'orage a excité la nature, résine venue d'on ne sait où, et le vent enfin levé, revanchard, brasse tout cela avec les dernières gouttes de pluie tout en poussant vers l'est, encore paisible à cette heure, le fatras des nuages crevés et les coups de tonnerre.
Pluie d'orage

Je lis à m'en crever les yeux. Je n'ai plus ni lieu ni âge. Je tourne les pages dans l'odeur de papier ancien (...) Sans doute est-ce là, dans cette bibliothèque surannée, au profond du silence (...) que j'entre dans un pays, celui de la fiction et de ses mille sentiers, que je n'ai depuis jamais vraiment quitté. Je suis comme les livres. Je suis dans les livres. C'est le lieu où j'habite, lecteur et artisan, et qui me définit le mieux.
Remugle

Les sapins nous enveloppent de leurs basses branches. C'est un monde de quiétude, de bruissements d'abeilles, de cheminements de limaces, de fourmilières pharaoniques, de geais qui filent, bleus, laissant parfois tomber une plume blanche chamarrée de gris que je plante dans mes cheveux. Je fouille les mousses qui retiennent même au plus chaud de l'été toujours un peu d'humidité, une spongiosité tourbée. J'en arrache parfois des coussinets et les pose sur mes cuisses. ici, je peux me salir, me rouler dans les fougères, me grimer en barbouillant mes joues de terreau qui sent la racine de bruyère. J'ai le droit. Je caresse le tronc des sapins. Mes paumes se poissent d'une résine qui ressemble à des larmes. Je détache des cristaux odorants comme des bonbons pour la gorge et qui s'agglutinent sur les plaies de l'arbre.
Sapin
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La cuisine connaît notre vérité profonde. Elle nous voit le matin avec notre visage mâchouillé par la nuit, et le soir quand, après une trop longue journée, nous baissons la garde, desserrons la ceinture, et montrons nos faiblesses.
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Charbon

... chaque hiver le camion de chez Aubert vient nous livrer. Des dizaines de sacs, en toile de jute crasseuse, portés par deux hommes aux visages de ténèbres où seul le blanc des dents et des yeux jette un peu d'humanité, mais une humanité inquiétante, de tueur ou de dévoreur d'enfants. L'un au nom de Dieu nordique, Odin. Leurs mais à tordre des cous empoignent les sacs sur le plateau du camion, et d'un mouvement de reins, ils les basculent à demi sur leur épaule pour les descendre à la cave d'un pas régulier et lent. La tâche achevée, ils essuient la sueur de leur front d'un revers de main sale. Mon père leur propose un verre de rouge qu'ils sifflent cul sec, debout, sans mot. Briquettes ou boulets, ou bien encore en vrac. Le tas de charbon voisine avec le tas de pommes de terre. Les deux diminuent conjointement au fil des semaines. On peut ainsi mesurer l'épuisement de la saison froide.
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Chambres d'Hotel

[..........]
La chambre d'hôtel n'a pas de sexe. Ou bien elle est hermaphrodite. En fait, elle est indifférente. Elle s'en fout. Elle se donne à qui la paie. C'est une putain qui ferme les yeux et n'embrasse pas. Elle nous épouse pour quelques heures, pour une nuit, nous fait croire que nous sommes les seuls, se revêt de nos effluves pour mieux nous mentir, et puis les chasse comme elle nous chasse. Son parfum véritable, c'est celui de notre brièveté et de notre inconsistance.
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Laisse moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l'air.

(Charles Baudelaire)
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Vieillesse
- mon père n'a jamais manifesté aucune forme de tendresse - rattrapons le temps perdu. J'aime le prendre dans mes bras quand je viens le visiter ou quand je le quitte, et je fais durer ce moment. Son corps est devenu fragile et maigre. Les os de ses épaules sont tout proches, là où jadis muscles et graisse formaient de grandes masses compactes. Je le serre contre moi. Je l'embrasse plusieurs fois. J'ai l'impression émouvante d'étreindre et de respirer un très vieil enfant.
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Coiffeur
Cette pluie microscopique dépose, en fines gouttelettes, sur mes cheveux ras, mes paupières, mon front, ma bouche close, mon cou, sa rafraîchissante ondée. Baptême laïc et mensuel. Tu sens bon. Tu es beau, me dit ma mère quand je rentre. Je la crois. Il est un âge où on croit toujours ce que nos mères nous disent.
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