Parfums

Mais la prison n'est pas pour autant un lieu monstrueux.Nous l'avons créée.Elle est faite à notre image.En somme,elle est à l'humanité ce que la quintessence est à la senteur:un absolu concentré.

Notre monde rêve d'être inodore,c'est à dire inhumain.Dans les siècles qui ont précédent le notre,tout sentait,le pire et le meilleur.Nous traquons les odeurs ,celles de nos corps,celles de nos villes,comme de hauts délinquants qui nous rappelleraient trop que nous produisons des humeurs et qu'elles empestent .

Mais son odeur véritable est celle d'une chamade précipité et heureuse .Une odeur de grand large,de vie sans limite,d'heures libres ,loin de tout,loin de tous au bord des rivières,dans le dialogue énigmatique avec l'eau et ses miroirs,avec ses profondeurs qui sont un écho de mes propres profondeurs.Tour à tour trouble ou limpide.

Ombellifères. Ombellifères .Grande tête couronnée aux fleurs petites disposées déjà comme un bouquet, aigrette d'élégante que je retrouverai plus tard dans les pâtes de verre opalescentes et les marqueteries rousses d'Emile Gallé, et dont les odeurs se délacent dans l'air, comme ces complexes corsets qui emprisonnaient jadis le corps impatient des jeunes filles et celui plus lourd, alangui et capiteux de leurs mères.

On se trompe si souvent,sur les fromages ou sur les êtres.

"La forme d'une ville change plus vite,hélas,que le cœur d'un mortel." Baudelaire encore lui.Qui décidément avait tout compris des choses et des hommes .

Ma spéléologie ne me mène qu'à la terreur,celle d'être condamné à y vivre et pourtant.pourtant,,me plaît étrangement la pierre à eau,taillée dans un seul bloc de grès rose,cette chair des Vosges,toujours trempée car le robinet suppure une eau rieuse.C'est un peu comme avoir une source à la maison dont l'eau suinte de la terre tranchée.Et ce grès,qui a la couleur des lèvres des jeunes filles,quand ainsi il se trempe éternellement,délivre à celui qui le touche,le caresse et y boit,un parfum presque floral,et sucré,forestier,délicat,tout en légèreté malgré la masse compacte et pesante de la pierre ,à peine érodée,et son âge qui confond sa naissance avec celle du monde .

Mes poumons me semblent disparus.Je happe l'air mais ne peut l'inspirer.Je suis un poisson jeté sur la berge.J'étouffe.Je vais mourir.C'est là,sans que je sache,la première manifestation d'un asthme qui ne va plus me quitter,compagnon de vie encombrant,imprévisible et tortionnaire,mais auquel je dois malgré tout,après de violentes crises,de grandes heures paisibles,alité,épuisé,défait,loin des autres,et durant lesquelles la lecture et l'écriture atteignent un degré de délice qui s'accorde avec une forme fragile et miraculeuse de retour à la vie .

L'odeur de la croyance indéfectible en un merveilleux mensonge qui dure depuis deux mille ans a soutenu bien des êtres,en a tué beaucoup d'autres.

On s'enveloppe d'une chimie quotidienne,dans l'artificialité conjuguée des poudres et des liquides,des gaz et des solides et,alors,surgit brutalement le sentiment de surprendre là un revers du monde,inquiétant,métallique,inhumain,froidement technique,et possiblement exterminateur.