Rien de plus trompeur que le texte de la 4° de couverture, reproduit dans la présentation de l'ouvrage. "Faits II", comme le premier recueil "Faits (Lecture courante à l'usage des grands débutants)", est un recueil de narrations brèves, toujours touchantes, qui n'est un rien un refus du roman comme fiction "trop logique et trop sage ... manière ambiguë de détourner le regard, histoires édifiantes ..." Le roman véritable (je ne pense pas aux produits édifiants de Virginie Despentes) n'est ni trop sage, ni moralisateur, ni militant, et toute cette recension repose sur une idée fausse du genre romanesque. Ce ne serait pas grave si ce texte, placé en position stratégique, n'était destiné à orienter la lecture et à l'influencer.
Le recueil de proses brèves de Marcel Cohen fait tout pour nous induire en erreur et nous faire croire qu'il "regarde résolument autour de soi" afin d'ouvrir la littérature au réel. Les notes en fin de volume accréditent cette illusion. Même si tout ce qu'il raconte est vrai (et je n'en doute pas), le simple fait de le raconter, de le projeter sur une page blanche selon les procédures de la narration, fait de ce matériau réel la substance d'un récit que le lecteur recevra de la même façon que les histoires les plus fabuleuses. Transformer le réel en narration, c'est le faire passer du côté de la fiction. Cela se voit nettement aux choix de Marcel Cohen dans la masse de tous les faits vrais, choix qui correspondent à sa sensibilité, à ses mythes intérieurs, à ses obsessions personnelles : la solitude, le départ, la fin, l'exclusion sociale, la mer et les navires, la maladie, la cruauté, série de thèmes qui se retrouvent à l'état pur dans la figure narrative des camps nazis et de la déportation. Quand la personnalité du créateur s'impose au réel, cela s'appelle le roman (c'est une idée que j'emprunte à Zola et à Maupassant). La forme normale du roman, c'est un récit où le narrateur omniprésent se fait oublier.
"Faits II" est-il un livre triste ? Loin de là, je crois. Il emprunte à La Bruyère et aux moralistes classiques une perspective souvent générale et détachée (les personnages, s'ils ne sont pas nommés, sont appelés "l'homme", "la femme", "cet homme", "ce marin", réduits à leur dénominateur commun humain ou professionnel). Les faits vrais sont donc transposés dans une perspective intemporelle d'étude de l'humain, étude apaisée, contemplative, rêveuse même, et sans illusions : cette lucidité est proprement la sagesse du grand roman occidental. La forme brève, qui a la prédilection de l'auteur, me rappelle de plus en plus les poèmes en prose de Baudelaire, dans "Le spleen de Paris", qui, malgré son titre, n'est pas non plus un livre triste.
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Rien ne peut empêcher que le travail qui nous aide à trouver des mots pour les plus grandes douleurs ne s'apparente aussi au plus grand bonheur. Tant qu'il est capable de trouver des mots pour le dire, qui peut réellement nous faire croire qu'il est désespéré ?
p. 124
Âgé de six ou sept ans, en enfant en culottes courtes se tient au pied d’un escalier obscur, dans l’embrasure d’une porte ouverte. Une violente lumière jaillit de cette dernière. La porte est faite de planches brutes et munie d’un simple loquet, si bien qu’on ne peut pas ne pas penser à la porte d’une cave. L’enfant a les bras ballants, la bouche grande ouverte. Terrorisé, il semble vaciller, tout en esquissant un mouvement de recul. Qu’a-t-il vu ?
Jean Frémon La Blancheur de la baleine éditions P.O.L où Jean Frémon tente de dire de quoi et comment est composé son nouveau livre "La Blancheur de la baleine" à l'occasion de sa parution aux éditions P.O.L et où il est notamment question de Michel Leiris, David Hockney, Emmanuel Hocquard, Bernard Noël, Alain Veinstein, Etel Adnan, Louise Bourgeois, Jannis Kounelis, Jacques Dupin, Claude Esteban, Samuel Beckett, Marcel Cohen, Jean- Claude Hemery, Jean- Louis Schefer, David Sylvester, Edmond Jabès à Paris le 2 février 2023
"Ce sont des écrivains, des peintres, des sculpteurs.
Aventuriers de l'impossible. Ce sont des bribes de leurs vies. Tous des chercheurs davantage que des trouveurs. J'ai eu le privilège de les côtoyer. Ce qu'ils poursuivent est ce qui toujours se dérobe. La grâce est une fieffée baleine blanche."
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