Les antimodernes

Livre remarquable rien que pour sa première courte partie où sont décrits brillamment les traits majeurs des antimodernes, ces résistants aux utopies progressistes, à la Ville dévastatrice. Puis ce sont de (trop?) longues études sur certains auteurs jugés antimodernes(ça peut-être très suprenant, comme pour Barthes, mais c'est justement à l'honneur de Compagnon de nous faire revoir nos préjugés), avec une profusion de détails qu'il faut avouer un peu excessive(ainsi de dizaines de pages sur les relations entre Julien Benda et la NRF, en particulier Paul Paulhan, ce qui n'est pas inintéressant, et nous laisse une odeur de l'atmosphère du monde intellectuel de l'époque, mais n'est tout de même pas essentiel, surtout par rapport à l'importance du thème principal). La conclusion me laisse un mauvais arrière goût, disons de la déception qu'un chercheur qui ait tant fréquenté les grands polémistes finisse par une sorte de credo moderantisme, pour ne pas dire macroniste, selon lequel ces penseurs n'ont de la valeur qu'en contraste avec leur époque, et qu'aujourd'hui la modernité était trop affaiblie(ah bon? je ne serais pas si optimiste...) on ne pourrait plus être antimoderne... Finalement c'est peut-être la thèse qui est excessivement prudente(l'antimoderne comme simplement le reflet négatif du moderne), car par exemple dès le début Joseph de Maistre est réduit à un grand styliste, à une sorte de dandy se moquant de son temps, qui au fond ne croyait pas vraiment à ce qu'il disait... Je n'oblige pas à celui qui analyse le grand de Savoie de partager sa foi catholique, mais qu'il ait la décence de ne pas prendre son propre scepticisme comme universel, et du respect aux lecteurs réellement en accord avec ce fond intransigeant (devenu ridicule pour le moderne apaisé, modéré, rationnel, que hélas Compagnon semble finalement être).
Bref, un immense savoir et de brillantes analyses qu'il faut découvrir, gachés toutefois par l'académisme de l'auteur.

Suis-je un antimoderne ?

La question semble datée, à l'heure de la post-modernité et de la résurrection des archaïsmes, mais elle reste cruciale, parce que si la réponse au retour des vieilleries se résume à une modernité triomphante, à un progrès conquérant et à l'optimisme béat des coureurs en marche, il est certain que le monde moderne va s'effondrer.

Mais revenons au livre : les antimodernes, pour Compagnon, sont des modernes; ils sont l'arrière-garde de l'avant-garde (et vice-versa), la modernité qui se refuse à elle-même. C'est pourquoi, derrière le mot antimoderne se cachent des idées et des hommes multiples, contradictoires et changeants. Julien Benda n'est pas Chateaubriand ni Charles Péguy Roland Barthes.

L'antimoderne subvertit la modernité en son sein. C'est un révolutionnaire anti-révolution et une lumière anti-lumière. Il ne rejette pas le monde moderne pour replonger dans la fange ancienne. Il veut une autre modernité. Au fond, les antimodernes sont des altermodernes.

Revenons à la question : suis-je un antimoderne ? Forte est la tentation de répondre oui.
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A lire en complément de l'oeuvre intégrale de Joseph de Maistre, ce travail d'une grande rigueur signé Antoine Compagnon sur « Les Anti modernes ». Ce dernier nous fais entrer dans les méandres de la pensée complexe et malheureusement tant de fois caricaturée par des raccourcis aussi fâcheux que faux historiquement parlant, des anti-modernes. Ces idées reçues, Antoine Compagnon les bats en brèche et nous de retrouver avec plaisir ce sentier des idées, en compagnie des plus illustres, au moins connus mais néanmoins tout aussi important représentants de ce courant de réflexion si protéiforme. Ne nous y trompons pas, l'ouvrage est complexe et exigeant, mais n'est ce pas là le prix à payer pour accéder aux félicités de ce grand banquet de l'histoire de la pensée anti moderne ?
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