"UN PESSIMISME SEPULCRAL"
(mots trouvés dans l'ouvrage)
Michel Winock, ancien, professeur des universités en histoire contemporaine à l'Institut d'études politiques de
Paris, nous livre un texte très intéressant et parfaitement intelligible sur l'esprit fin de siècle qui a hanté une grande partie des écrivains français de la fin du XIX ème siècle.
On se situe entre 1882 et 1897. Une nouvelle école littéraire, hétérogène, voit le jour.
Dénonçant furieusement les travers de la société démocratique, haïssant la République, revenant à la religion catholique, ou s'enfuyant vers les sphères ésotérico-occultistes, les auteurs de ce"club" agrègent les peurs, concentrent leur tir sur 'L'Ennemie (celle que Maurras appellera plus tard "La gueuse") s'emparent du refus du progrès scientifique, de la raison pure, des nouvelles institutions qui donnent la parole aux masses (pas toutes, pas partout, pas de la même façon) pour signifier leur opposition à ce qu'ils perçoivent comme étant les causes de la décadence du Pays.
Le propos de M.
Winock est de nous raconter qui furent les hérauts de ce courant de pensée à l'aide de biographies courtes, riches, faisant la part belle aux publications et en les resituant dans leur contexte historique, quels furent leur contribution à la naissance du nationalisme ou leur soutien au mouvement anarchiste, les raisons pour lesquelles certains d'entre eux devinrent les promoteurs d'un antisémitisme particulièrement virulent.
Il couple cette description à une mise en perspective politique brève qui court de la Commune de 1871 aux lois constitutionnelles de 1875, rappelle le mauvais état de l'économie française, la guerre opposant les laïcs aux partisans de l'Eglise, évoque de grands évènements intérieurs des années 1880 (répression des grèves ouvrières, scandale de Panama, incendie du bazar de la Charité, exposition universelle de 1889 marquée par l'apparition de l'électricité et la construction de la Tour Eiffel...) et identifie les thèmes qui traduisent, selon certains, l'existence de ferments de décomposition de la societé française. On ne s'étonnera pas d'y retrouver la Femme, éternelle obsession de la gent masculine, ramenée soit à son rôle de mère au foyer, soit à sa "fonction" d'objet ("Objets inanimés, avez vous donc une vie" ?) sexuel...On y les craintes que soulève la vision d'une femme actrice de sa vie.
La lectrice ou le lecteur croise donc des très grands écrivains (Barbey D'aurevilly, Huysmans), des idéologues, notamment Barrès mais aussi Déroulède, Mirbeau, Vallès, Darien..., des frottés d'ésotérisme (
Gérard Encausse dit le mage Papus, Josphin Peladan* connu sous le nom de Sar** Peladan), un imprécateur exhalant sa fureur jusq'aux cieux-
Léon Bloy-, des "Fumistes" façon Allais, club auquel appartînt, un temps donné, le génial
Alfred Jarry, une tenante du sado-masochisme dominateur (
Rachilde), un bourgeois un temps tenté par l'anarchisme (Claudel*** avant la révélation à N.D. de
Paris),
Zola, Mallarmé...
Il faut, et c'est toujours avec le plus grand plaisir, remercier les responsables du Club (Claire, Ecilia, Jé
rôme) de m'avoir donné l'occasion de commenter le roman d'
Agnès Michaux "La fabrication des chiens".
C'est à la suite de cette modeste contribution que j'ai redécouvert cette période de l'Histoire de France, des Lettres et des grandes angoisses millénaristes qui ont secoué le Pays à cette époque....d'où cette lecture qui explique le pessimisme sépulcral habitant certaines classes/catégories de la société.
Je reste frappé par l'actualité des débats qui eurent lieu il y a de cela plus de 130 ans....Bref, un excellent moment d'histoire et de littérature...
*Il ya mieux que Joséphin. Il y a son frère aîné Adrien, auteur d'aphorismes médicaux parfaitement remarquables : "Tout médicament qui agit sur l'utérus ou la prostate agit sur le larynx" et "De ce qui se passe aux fosses nasales, on peut déduire l'état de l'anus" (P 53) (Fosse d'aisance, Adrien, fosse d'aisance. Combien de fois faudra t-il le répéter ?)
**Voir les Professeurs Dac et Blanche : "Du Sar Peladan-Tifris au Sar Rabindranath Duval-Pastis"Editons de l'Adjudant-Tifris (Frère spirituel du sus nommé)_1962 : 1-1.
***Claudel qui écrit qu'il est attiré par l'anarchie...Il devait sortir d'une fumerie d'opium...!