Livre I
Je m'attendais à cette lecture comme à une gentille romance teintée de fantasy. Or, j'ai eu la surprise de découvrir que, non seulement on trouve bel et bien tous les ingrédients qui font une (très) bonne romance, mais on est aussi convié dans un univers fantasy extrêmement travaillé… et plus encore !
Pour l'aspect romance, on a un postulat de départ assez classique et attendu, du moins c'est ce que l'on croit : les trois soeurs qui s'aiment d'un indéfectible amour fraternel mais qui deviennent peu ou prou rivales, l'héroïne principale qui refuse de tomber amoureuse de l'ennemi, mais son coeur bat quand même face à tout cet étalage de testostérone, et forcément on a envie de la voir dans les bras du « bad boy » de service. Mais les choses ne sont jamais simples ! Quand le lecteur croit avoir compris ce vers quoi l'auteure l'entraîne, en fait elle part tout à fait ailleurs et on reste pantois – mais chut ! je n'en dirai pas plus… La seule chose que l'on puisse dire, c'est que l'auteure s'y prend admirablement pour jouer avec les nerfs et sentiments du lecteur, en proposant des personnages très « humains » et très réalistes, réussissant à créer des attachements forts : on a envie de résoudre l'énigme avec Odeleen, on s'agace de la frivolité de Daire, on a envie de se rebeller avec Rozenn, avec elle on déteste la peut-être future belle-mère, et on craque pour Cameron… ou pour Callum ?
Côté fantasy, tout est surprenant et à mes yeux novateur : l'auteure explore et réinvente le monde des djinns, à ma connaissance très peu exploité dans la littérature et autres formes d'art SFFF, et encore plus rarement de cette façon fine et juste. Pour moi, le djinn, c'est l'image sympathique mais complètement loufoque du fameux Génie dans le bon vieux dessin animé de Disney Aladdin, repris de façon magistrale (je trouve) par l'inénarrable Will Smith dans la version filmée de 2019 (et très bien doublé, en plus, par Anthony Kavanagh !).
Autant dire que, ici, on est très loin de cette vision disneyenne des djinns !
C'est un peuple raffiné dans une certaine simplicité, proche de la nature, spontané mais prudent, bien entraîné mais peu armé, qui fait bien un peu penser aux elfes ou autres fées des forêts. Organisé en divers royaumes, il tient plus que tout à sa liberté, malgré son asservissement ancestral aux « dagnirs », asservissement qui a plusieurs conséquences, dont la plus visible est qu'ils portent une marque, comme un tatouage, sur la main, et qu'ainsi leur magie est complètement bridée. A l'entrée du livre, ils vivent libres quoique plus ou moins cachés, à vrai dire l'ambiance n'est pas hyper-claire et je pense que ce début un peu trop rocambolesque aurait pu être évité, car il ne sert à rien (je trouve), on commence même par ne rien comprendre ! Heureusement ce n'est guère long, on entre très vite dans le vif du sujet.
Les dagnirs quant à eux ne sont jamais expressément décrits, mais ils correspondent en tous points à des êtres humains, tout simplement. J'ai consulté vite fait Wiki, qui ne les reconnaît pas, mais suis tombée sur un site qui propose une traduction en allemand (!!) du mot elfique (?) dagnir, qui serait « Töter » ou « Besieger » - c'est-à-dire le tueur ou l'assiégeant (heureusement je connais un peu l'allemand ! confirmé par Google Traduction icon_wink ). Quand je disais que l'auteure a plus d'un tour dans son sac…
Bref, lesdits dagnirs sont organisés ici dans un monde très orientalisant : un sultanat, avec son palais des mille et une nuits un peu fantasque (il vit sa vie, d'une façon qui ferait penser aux escaliers mouvants d'un Poudlard), la proximité du désert mais aussi de la mer, le harem du sultan, la place importante de l'épouse et mère, on a même une scène au hammam ! etc. On pourrait croire que c'est presque cliché… mais non ! car en plus, pour bien brouiller les pistes et obtenir totalement l'adhésion du lecteur à une ambiance qui n'aurait rien à voir avec notre monde, l'auteure distribue entre les deux peuples, de façon nette et tranchée, tous ces objets et autres idées préconçues que l'on pourrait avoir d'un monde oriental – alors que moi, lectrice occidentale, j'aurais fait un seul « melting-pot » sans ces subtiles distinctions qui vont loin dans les détails. Par exemple, ce sont les djinns qui utilisent des tapis volants comme moyen de transport vaguement vivants, alors que les dagnirs les ont bannis de leur monde ; ce sont les djinns qui portent des sarouels que l'on associe à cette culture orientale, alors que les dagnirs (du moins au palais) portent –au féminin- robes et autres tenues élaborées qui seraient bien plus approchantes de ce que l'on connaît dans une cour occidentale.
A côté de cela, on a toute une série d'êtres fantastiques, que l'on peut tenter d'interpréter en des termes plus connus, même si ce n'est jamais réellement « traduit » – citons les shadhavars, qui m'évoquent des licornes (confirmé par l'ami Wiki : c'est « une licorne carnivore du folklore persan qui ressemble à une gazelle mais avec une seule corne creuse ») ; les buraqs, qui seraient plus proches des pégases (encore une fois merci Wiki : le bouraq (sic) « est un sujet d'iconographie fréquent dans l'art musulman, où il est généralement représenté avec une tête d'homme, un corps de cheval, des ailes, et une queue de paon. ») ; les insaisissables auras qui n'ont pas d'équivalent mais que l'on aimerait bien pouvoir caresser – et tous ceux-là vivent aux côtés de beaucoup plus traditionnels chameaux ou autres mules.
Ce monde quelque peu féérique qui se dévoile au fil des pages n'est cependant pas réellement rose. Ici, on n'a plus de génie prisonnier d'une lampe à huile qu'il suffit de frotter pour le voir surgir et exaucer jusqu'à 3 voeux plus improbables les uns que les autres, mais il est bien question de djinns esclaves d'une façon que le lecteur peut appréhender plus ou moins facilement. Ainsi, les introductions à chaque nouveau chapitre, qui apparaissent comme des documents d'archives et autres extraits de journaux (appartenant tout autant à ce monde de fantasy), laissent entendre que cette forme d'esclavage par enfermement dans un quelconque artefact a effectivement existé, dans un passé pas forcément très ancien, et de façon bien plus élaborée qu'un simple frottement pour libérer le djinn…
Et peu à peu, on découvre plus en profondeur ce peuple djinn, éternellement asservi aux dagnirs pour son « fluide » - et c'est glaçant ! En effet, on retrouve ici une thématique universelle, et largement illustrée –hélas- à travers l'Histoire : l'asservissement ou autre soumission d'un peuple plus ou moins désarmé par un autre, convaincu d'être supérieur. Et c'est bien là qu'est toute la magie (et le paradoxe) de cette histoire a priori « juste » délassante : en faisant le choix d'avoir ancré un tel thème dans une fiction bien éloignée de notre monde, il semble encore plus vraisemblable, et chaque lecteur peut y retrouver ce qui le touche le plus, sans grande gymnastique de l'esprit et sans risque de se tromper. Que ce soit l'esclavage des Africains par l'homme blanc, l'anéantissement presque total des peuples amérindiens également par l'homme blanc, les divers génocides, ou même l'exploitation des animaux par l'homme en général (pour ne citer que quelques exemples), le lecteur est irrémédiablement confronté à cette bien triste réalité des diverses formes d'asservissement que l'homme a pu inventer et mettre en oeuvre au fil des siècles. Et ça ruisselle ici d'une façon de plus en plus visible et dès lors terrible – sans jamais entrer ni dans l'horreur ou dans le glauque, on reste sur ce fil d'une description presque « romantique » et un peu triste des faits, mais qui pousse indéniablement à la réflexion, et ciel que c'est bien visé !
Ainsi donc, vous prenez une bonne dose de romance, une encore plus grande dose d'un monde fantasy très détaillé, avec en filigrane très présent, sans jamais devenir étouffant toutefois, un sujet universel poignant que chacun peut interpréter à sa façon sans que ce soit jamais faux, et vous obtiendrez ce très bon premier tome… qui est aussi, il faut bien le dire, surtout une longue introduction sans beaucoup d'action, et pourtant je ne me suis pas ennuyée une seule minute, les pages se tournaient d'elles-mêmes ! Et bien sûr, cela se termine sous la forme d'un tout aussi bon cliffhanger, tellement improbable et tout à coup « actif » que j'ai d'abord cru qu'il s'agissait d'un mauvais rêve de Rozenn… mais non : on est bel et bien en route vers le 2e tome, que j'ai d'ores et déjà bien entamé, moi qui ne lis que très rarement les divers tomes d'une même saga à la suite (qu'ils soient sous forme d'intégrale ou non !).
Livre II
Autant j'avais bien aimé le 1er livre, autant celui-ci me laisse un peu plus mitigée. C'est que je le trouve assez inégal. On alterne des passages poignants ou simplement touchants, avec aussi de grands passages de retour à la cour avec toutes ses intrigues. Or, si celles-ci étaient nécessaires et même accrochantes pour planter le décor dans le 1er livre, désormais c'est rédhibitoire, c'est long, ça n'en finit plus et on ne passe jamais à l'action ! Enfin si : il y a quelques passages bien actifs mais qui apparaissent plutôt comme isolés dans une mer d'intrigues qui n'en finissent plus, ou tout à la fin, une scène pré-finale bien animée, mais on est à plus de 90%, quand on a déjà compris dans les grandes lignes et sans risque d'erreur, comment toute cette histoire va se terminer.
C'est pareil pour la romance principale qui traverse tout le livre, et même toute l'intégrale : dès le début on avait compris vers quoi on allait ! le livre I ne cessait de démentir les choses pour mieux troubler le lecteur, et c'était plutôt réussi ; ici dans le livre II, les choses sont de plus en plus claires –et crédibles, il faut bien le reconnaître- mais ça évolue façon un pas en avant, trois pas en arrière… et du coup ça aussi, ça paraît long.
Certes, tout cela n'exclut pas quelques retournements de situation tout à fait inattendus et bien amenés, en parallèle à une constance attendue mais malgré tout prenante de certains personnages – comme le sultan dans sa folie, son fils Cameron dans sa gentillesse ou Daire, la jeune soeur de Rozenn, dans sa naïveté bien un peu coupable. Par ailleurs, comme je disais plus haut, quelques passages sont tellement forts ! Ils émeuvent, comme la rencontre avec Azur, ou font frissonner, comme la visite de l'un de ces « sanatoriums », ce qui m'a fait penser, de façon incontestable : bienvenue chez le Dr. Mengele…
Ces quelques parties donnent à elles seules suffisamment de souffle pour qu'on poursuive la lecture, en plus de l'appréhension de savoir ce qu'il va advenir des personnages principaux à qui on s'est attachés dès le tout début de l'intégrale. de plus, l'écriture est toujours aussi agréable et fluide, ce qui contribue malgré tout à un petit effet page-turner qui mène à la fin sans trop de mal.
Il n'en reste pas moins que le rythme général se brise à plus d'un endroit, hélas, si bien que contrairement à l'avis général qui semble avoir préféré le livre II au Ier, moi je suis moins emballée par une fin qui aurait pu être magnifique avec de splendides actions, mais qui se perd finalement dans un mélange de bons sentiments même envers les méchants, et on passe ainsi à côté du vrai spectacle d'une épopée, alors qu'on n'en était pas loin du tout !
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