Je me souviens de mon premier cours de philosophie. Je sortais moi-même d’une crise dépressive. Le professeur, femme énergique et distante, se dirigea vers le tableau noir et y inscrivit en lettres énormes : « Il faut aller à la vérité de toute son âme. » Au-dessous de la citation, elle mit en lettres encore plus grosses le nom de Platon. J’étais dans les brumes. J’avais lu Platon avant d’arriver en philosophie, en tout cas quelques extraits édifiants, grâce à un professeur dont j’ai beaucoup parlé et auquel je dois presque tout. Je regardais cette phrase et j’isolais ce mot « vérité ». J’avais dix-sept ans. J’avais déjà tellement vécu. Il me semblait lourd de toutes les séductions et de toutes les impostures. Chez nous, la vérité, au fond, c’était ce qui rend les gens heureux.
Or, j’ai tiré de mes reportages en ce vaste monde autant que de mes pensées concrètes, l’observation que ce qui alimente le plus l’indignation des hommes ce n’est pas la misère, c’est l’humiliation ; et comme je n’aurais pas l’impudence de promettre un socialisme qui, du jour au lendemain et à coup sûr, pourrait épargner à tous la honte, je donne à tout hasard ma recette : témoigner inlassablement pour les victimes de l’injustice, quels que soient le lieu, la cause, la société, le régime où elle sévit. Ne jamais se dire que c’est un pur geste gratuit, individuel, « humaniste », et qui donne bonne conscience à peu de frais ; se préoccuper en somme davantage de la portée du témoignage que des motivations du témoin.
En tout cas, je n’ai jamais pu ridiculiser sans remords ceux qu’on appelle les signataires de manifestes, ayant vérifié sur place le miraculeux effet qu’ils suscitent à des milliers de kilomètres. Chaque fois que dans un arrondissement de Paris circule un manifeste dont se gaussent, souvent à juste titre, les intellectuels solitaires, il y a quelque part dans le monde une poignée d’humiliés qui reprennent espoir.
L'écrivain et journaliste Jean Daniel est décédé ce mercredi à l'âge de 99 ans. Il avait fondé en 1964 avec Claude Perdriel « Le Nouvel Observateur », un journal qui demeura un espace de débats, notamment pour la gauche en France. Proche de Camus et fidèle partisan de la paix au Proche-Orient, il était resté directeur de la publication du « Nouvel Observateur » jusqu'en 2008. Retour sur une vie qui a marqué l'histoire du journalisme.
Pour nous parler de celui qui a consacré toute sa vie au journalisme, nous accueillons deux anciens compagnons de route de Jean Daniel, Laurent Joffrin, directeur de la publication de « Libération » et Guy Sitbon, journaliste, écrivain, (il a participé à la fondation du « Nouvel Observateur » en 1964 auprès de Jean Daniel et Claude Perdriel).
L'Invité des Matins de Guillaume Erner - émission du 21 février 2020
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