Je connaissais
Gabrielle Danoux la traductrice de littérature roumaine, mais pas encore l'auteur. C'est chose faite. Son roman,
le chemin du fort m'a impressionné.
Bien sûr, comme mentionné dans les autres chroniques du site, j'ai apprécié le style, le vocabulaire, sa précision.
Mais, ce que j'ai retenu du roman, parce qu'ils résonnent avec notre actualité, ce sont les éléments suivants qu'elle observe et décrit avec finesse et humour, parfois férocité :
L'incertitude de la relation entre adolescents, les doutes liés à la reconnaissance mutuelle, l'attrait sexuel ou non, tout ce qui fait la recherche de véritables amis.
« Au début nous avions choisi de nous ignorer, nous frôler sans nous voir. »
« Quant à la chose de
Freud, dès l'adolescence, son accomplissement était nécessaire au prestige social, masculin comme féminin. »
Le dilemme de celui qui accédant à la culture se coupe de son milieu social d'origine :
« le capital culturel, les habitus isolent à jamais les enfants des classes populaires et moyennes. Car leurs codes sont communs à leurs détenteurs. »
La fausse hypocrisie de notre société et de ses convenances :
« le traditionnel rebouteux (…) devenu grâce à la modernisation de la société naturopathe diplômé par validation des acquis de l'expérience. »
« (…) du village natal, qui se trouvait à plus de vingt kilomètres de la maternité la plus proche, du fait de la désertification rurale et des politiques des agences hospitalières ? Comme partout, on avait manifesté ; en vain, comme partout. »
« (…) des aides et participations financières de soutien au développement et la diversité locale, par lesquelles l'impératif du politiquement correct avait remplacé les subventions. »
La recherche du pouvoir comme moteur de l'humain :
« Son implication dans les dernières théories à la mode, utilitariste ou non, plus ou moins moderniste ou éprise de développement durable lui avait ouvert les portes des milieux artistiques les plus distingués et des cocktails aux buffets les mieux garnis par des traiteurs hors de prix. »
La littérature accompagne le récit avec les auteurs que le narrateur découvre au fil du temps, Fenimore Cooper,
Balzac,
Jules Verne,
Marin Sorescu,
Franz Werfel,
Georges Gissing,
Théodore de Banville : « Je n'ai pu que lire
Balzac et une petite centaine d'auteurs classiques de la littérature française. Que de peines cela m'a-t-il coutée pour savoir où commencer ma liste de lectures essentielles et où l'arrêter. »
La description de l'architecture du fort est un moment stupéfiant par la précision du vocabulaire, coursives, dessertes et mécanismes ingénieux conçus par l'architecte des lieux et ses utilisateurs, tout y passe :
La force du roman est de combiner l'ensemble de ces éléments dans la construction d'une intrigue dont beaucoup de polars consacrés feraient bien de s'inspirer parfois.
Gabrielle Danoux fait montre d'un sens de l'observation et d'une analyse perspicace de notre société qui force le respect.
En un mot j'ai été scotché par ce roman.
Des formules comme celles-ci valent le détour :
« Seul Dieu, car même les ecclésiastiques n'entendent pas ce type de confession, doit connaitre la tristesse des éjaculations précoces, des sempiternelles simulations dorso-ventrales, de la soumission aux quelques pratiques innovatrices bien éloignées de l'inventivité acrobatique d'un kamasutra que tout le monde évoque sans l'avoir lu… »
« Les gens riches étonnent en effet souvent par leur ignorance. »
« (…) sa mégalomanie l'obligeait à porter un regard lucide sur sa situation. »
« Seuls d'indécrottables naïfs, comme le sont les parents et les parvenus, peuvent croire sérieusement que les diplômes servent à quelque chose, surtout en matière de recrutement. »