Si vous voulez passer un tête-à-coeur pendant deux heures ( plus ou moins...) avec quatre personnages représentatifs d'une France en train de s'affranchir du joug nazi, le tout écrit dans une langue remarquable et observé d'un oeil lucide, sans complaisance... - La crève - vous tend les bras.
On connaît l'anecdote de
Frédéric Dard témoin ( choqué ) à la Libération d'un jugement et d'une exécution sommaires dans cette période que l'on appelle "l'épuration".
On se doit d'avoir lu le poème d'Éluard - Comprenne qui voudra -... Oh et puis tant que j'y suis, je ne vais pas vous priver de ce rappel ou de cette primo-injection poétique essentielle.
« En ce temps-là, pour ne pas châtier
les coupables, on maltraitait des
filles. On allait même jusqu'à les
tondre. »
Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime raisonnable
À la robe déchirée
Au regard d'enfant perdue
Découronnée défigurée
Celle qui ressemble aux morts
Qui sont morts pour être aimés
Une fille faite pour un bouquet
Et couverte
Du noir crachat des ténèbres
Une fille galante
Comme une aurore de premier mai
La plus aimable bête
Souillée et qui n'a pas compris
Qu'elle est souillée
Une bête prise au piège
Des amateurs de beauté
Et ma mère la femme
Voudrait bien dorloter
Cette image idéale
De son malheur sur terre.
Paul Éluard
Si vous mêlez exécutions sommaires et tonte des femmes accusées d'avoir, comme disait Arletty - Mon cul est international "... eu des rapports intimes avec "l'ennemi", vous avez les deux pivots autour desquels tourne ce huis clos.
Un frère, Petit Louis, milicien de vingt-six ans, ordure assassine... qui a choisi "le mauvais camp".
La soeur cadette, Hélène, une jeune et belle rousse frivole, pour qui tous les hommes sont des Pâris dont elle rêve qu'ils l'enlèvent quitte à déclencher autant de Guerres de Troie que de fois qu'elle leur aura cédée.
Il y a le père, Albert, un homme grand et fort, un travailleur manuel, un brave homme, un peu sisyphien, dont les mains puissantes cherchent, en creusant des tunnels, à extérioriser à coups de pioche l'absurde et l'impuissance de sa condition en frappant jusqu'à l'épuisement, jusqu'à l'oubli, contre la roche.
Et puis il y a la mère, Constance, une femme dont un fibrome non opéré a transformé le ventre en une énorme "besace" vide... poche maternelle qui, telle celle d'un kangourou, voudrait y loger ses "petits"... être quelque part ailleurs... autrefois.
Ces quatre-là se cachent dans l'appartement d'un milicien, partenaire en exactions de Petit Louis.
Ils se cachent pour échapper à un passé où ils occupaient une position de force, le présent qui est en train de changer la donne, en a fait des parias.
La nuit tombe sur la ville.
Durant cette nuit, Dard fait vivre "isolément" chacun des personnages, avant que l'aube ne les rattrape... et que la roue infernale du destin broie...
Je vous laisse découvrir la fin...
Le bouquin est une petite merveille dans laquelle Dard se montre l'égal ou le "supérieur" d'un
Simenon au meilleur de sa forme.
Il y a 123 pages.
Chaque mot est pesé au trébuchet du talent et du génie bipolaire d'un très grand de l'écriture.
Laissez-vous tenter... c'est épatant !!!