J'avais beaucoup d'estime pour
Patricia Darré, que je trouvais pondérée, honnête et intelligente. Ayan lu la totalité de ses ouvrages, palpitants pour la plupart d'entre eux, je me faisais une joie de lire celui-ci, puisqu'il traite tout à la fois de médiumnité et de l'un des sujets les plus exaltants de notre histoire :
les templiers. Déjà bien briefée sur le sujet et résidant près d'une ancienne commanderie templière depuis ma naissance, j'étais particulièrement intriguée par cette nouvelle aventure. Ma déception a été à la hauteur de mes attentes : immense !
Du point de vue historique, cet ouvrage contient un nombre d'erreurs colossal.
Bernard de Clairvaux (alias saint Bernard, docteur de l'Eglise et ultra-conservateur), un druide ? La blague la plus osée de ces dix dernières années ! le rituel de réception du templier décrit par Patricia ? Une succession de sornettes déjà lues dans des ouvrages de seconde zone.
Les templiers, des païens vénérant un vague démon (Baphomet) ? Un fantasme qui court depuis des siècles. C'est-à-dire depuis que l'Inquisition a tenté de faire passer ces moines-paysans pour des apostats, en obtenant d'eux (grâce à la torture) de faux aveux. Ceci afin de justifier leur arrestation. Patricia prend donc ces "aveux" pour argent comptant.
Mais poursuivons...
Les templiers, contraints de cracher sur la Croix ? Décidemment, Patricia aurait été bien avisée de se renseigner auprès de médiévistes sérieux : elle aurait appris que cette histoire de "crachats" provient des mêmes faux aveux. Et qu'évidement, aucun templier ne s'est jamais abaissé à cela. Si Guillaume de Nogaret (l'homme ayant préparé l'arrestation des templiers et la destruction de l'ordre) pouvait lire ce bouquin, il boirait du petit lait ! Car elle reprend toute sa rhétorique.
Et puis, cerise sur le gâteau : le Christ n'est pas vraiment ce que l'on croit qu'il est... Parce que le mot "christ", selon Patricia, signifie (de mémoire) "cristal". Là, on marche carrément sur la tête ! le mot "christ" provient du grec ancien Χριστός (ou Khristós), qui signifie simplement "oint" (dans le sens de : "Celui qui est oint par Dieu"). le mot "cristal" vient quant à lui du grec ancien κρύσταλλος (ou krústallos), qui signifie "glace" ou "gel". Il suffit d'un bon dictionnaire de grec pour le vérifier. Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué... et que l'on peut semer le trouble ? Et pourquoi se gêner, quand on sait que la moitié de son lectorat va applaudir, ravi de découvrir des "révélations" de cette envergure ! Que tout soit faux importe peu : pourvu qu'on ait l'ivresse !
Hélas, l'ensemble des autres affirmations est dans la même veine (l'
Ordre du Temple n'est pas mort, etc.).
Les plus naïfs me répondront que c'est normal : la vérité est "cachée" ! Sauf qu'avec un argument comme celui-là, on ne va pas loin. L'histoire s'appuie sur des sources et des faits, pas sur des légendes.
Patricia Darré est incapable de distinguer les deux, et nous prouve que l'on ne s'improvise pas historienne. On peut très bien parler d'histoire sans être historien ; mais dans ce cas, on sélectionne scrupuleusement ses sources, on redouble de prudence et l'on ne prend pas pour agent comptant les croyances de vieux messieurs excentriques (les "néo-templiers" qu'elle rencontre au cours de son périple, et qui lui narrent "leur" version de l'histoire). Surtout avec un sujet aussi fantasmé et déformé que celui-ci ! Cela évite d'entraîner un lecteur qui vous fait confiance... dans le fossé.
La réalité historique est, certes, moins sulfureuse. Elle est pourtant tellement plus profonde, émouvante et passionnante ! Les chevaliers du Temple étaient, avant tout, des moines-agriculteurs. Et des hommes bien de leur époque (haute en couleurs et pleine de paradoxes). C'est-à-dire des êtres brutaux et habités par la foi (chrétienne... : à ce niveau, il est utile de le préciser !).
Chose étrange, Patricia est incapable de dresser un portrait des templiers. On la sent peu intéressée et peu attachée, au fond, à ces soldats courageux et victimes de la cupidité des Puissants.
J'avoue n'avoir pu aller au-delà de la centième page... En plus des petits arrangements avec l'histoire, l'ouvrage est brouillon, ennuyeux et poussif. Les évènements surnaturels décrits sont tirés par les cheveux (et Dieu sait si j'ai l'esprit large à ce niveau !). de temps à autre, une aberration vous fait décrocher la mâchoire, de rire ou d'ahurissement. le reste du temps, on somnole. Ce sont des pages et des pages d'histoire-bidon... cela n'en finit pas ! Et si vous pensez retrouver l'esprit des premiers livres de Patricia - délectables - vous allez déchanter. "Un templier m'a dit" me fait penser à une grosse salade de fruits, dans laquelle on retrouve, pêle-mêle, les ingrédients suivants : francs-maçons, druides, messagers de l'au-delà, philosophie new-age ("les religions, c'est mal", "le bien et le mal n'existent pas", etc.), complots, fin du monde, Islam, alchimie... il ne manque que Tata Yoyo ! le goût n'est franchement pas fameux.
J'ai la désagréable sensation que
Patricia Darré a cédé au chant des Sirènes. Elle qui a semblé y résister si longtemps. L'impression qu'elle s'est fait leurrer. Par ce qu'elle nomme sa "hiérarchie", c'est-à-dire ses guides (qui lui avaient tout de même annoncé, en mai 2022, la fin de la guerre en Ukraine pour juin 2022 !). Par les "templiers-en-carton" rencontrés (autant dire un club pour adultes puérils qui s'emmerdent, férus d'histoire fantasmée, et à l'égo surdimensionné !). Par les dérives de notre époque. D'ailleurs, ses derniers livres ont davantage leur place au rayon "Développement (im)personnel" qu'au rayon Spiritualité ou Paranormal.
Je note également qu'après avoir affirmé durant des années ne pas croire à la réincarnation, Patricia déclare pour la première fois, dans cet ouvrage, y adhérer. Sans cela, comment expliquer qu'elle y affirme être la réincarnation d'un chevalier templier ? Comment justifier avoir elle-même, tout récemment, revêtu le manteau rouge et blanc des membres de l'Ordre du Temple (et cédé à ce plaisir vaniteux et ridicule) ? Il faut bien que son récit se tienne ! Et être la réincarnation d'un pauvre brassier prénommé "Jeannot" travaillant dans la porcherie d'une commanderie templière, c'est sûr que ça aurait moins d'allure...
Heureusement, ce n'est pas l'épée (en plastique) qui fait le chevalier !
J'invite les internautes réellement intéressés par l'Ordre du Temple - le vrai ! - à lire l'ouvrage de
Régine Pernoud (historienne médiéviste et paléographe) sur le sujet. Elle y décrit notamment, et très précisément, l'ordination d'un chevalier templier. Mais c'est à vos risques et périls : vous tomberez de votre chaise si vous avez déjà lu "
Le templier m'a dit"... Si, au moins, ce bouquin pouvait conduire à d'autres lectures, plus sérieuses et enrichissantes !
J'ai longuement hésité avant de rédiger ce long commentaire. Cependant, devant le nombre de lecteurs n'ayant visiblement pas conscience que le récit historique présenté dans ce livre est totalement farfelu, j'ai pensé qu'il serait bon d'exposer mon point de vue. Que chacun en fasse ce qu'il veut.