“J'habitais au 37, faubourg de Montbéliard, les trois premières années de ma vie”, p 184.
Sophie Daull pose ce point sur son canevas, le point à partir duquel elle va tisser la vie de sa famille maternelle, cette famille qui n'a laissé que peu d'indices, ils tiennent dans une boite de chaussure.
« Les mères, elles se donnent et elles s'en vont » p8.
Peut être, est-ce la boite qu'apporta le médecin à Francis, son fils, comme cadeau pour ses vingt ans. Ce jour là Nicole, La mère de
Sophie Daull, est présentée à sa future belle famille, la famille de Francis, le repas tourna au cauchemar pour les futurs parents: « tu croyais quand même pas que j'allais t'acheter ton truc de singe.p182 »
Après la mort de Camille, et la publication de son roman,
Camille Mon Envolée Sophie Daull, se penche sur le passé de Nicole.
Entre douleur et dignité, amour et désespoir, il y a peu de place pour regarder ailleurs, ouvrir une fenêtre et laisser le vent pousser la vie, ranimer une flamme.
Comme
Modiano,
Sophie Daull, questionne le passé pour comprendre le présent ou l'apaiser. Cette mère qui lui a donné la vie, elle aussi s'est envolée, quand elle avait 19 ans.
Elle fera tout pour maintenir Nicole hors de l'eau, malgré les heures passées à la choyer, avouant, “je suis devenue la mère de ma mère, je la distrais, je l'écoute la nuit, suffocant dans un épais nuage de gitanes”p198.
Dans cette boite il y a des photos, et quelques adresses. Pas à pas en écumant les mairies, en ravivant la mémoire des voisins, en collant ses propres souvenirs, elle donne de l'étoffe à sa mère Nicole qui meurt à 45 ans et fait revivre Charlotte sa grand mère qui lâchera prise, elle en décembre 54, Nicole avait 15 ans.
Dans ce dédale de faits, de deuils, de souvenirs et de rancoeurs,
Sophie Daull, écrit un émouvant récit, l'éloge de ces mères douloureuses, écartelées par la vie, et comme une prière, elle en extrait pour sa propre survie, les moments de bonheur qu'elles ont pu éprouver.
Ses chagrins se déchirent sur ces destins semblables, « Ma petite maman a perdu sa mère à 15 ans, moi je vivrai avec la mienne jusqu'à mes dix neuf ans « son émotion palpable se teinte de dérision.
Elle frôle la drôlerie quand elle suggère que « seuls le pigeons pourraient établir avec précision la date du dépucelage de sa mère p134. »
le « Je suis heureuse » p77 , de pouvoir percevoir la scène, signe un vraie envie de poursuivre l'écriture et cultiver de l'enthousiasme, comme un jardin. On est loin de la longue et amertume confession d'une pleureuse.
Sophie Daull est pleine de vie, de désirs et de moqueries, et dès la première page cette citation « les meilleures mères, elles se donnent et elles s'en vont » , oh oui, quel dévouement odieux semble t-elle nous dire en ne suivant pas ces destins.
Et alors que la vie de Nicole part à la dérive, « elle chante ». il faut aussi du cran pour affirmer, « son petit corps toujours subtil, nerveux, attractif, » P199.
Elle chante et les textes de ces chansons nous poursuivent, accentuant les moments de tristesse surtout ceux de gaîté ; quelle admirable trouvaille.
Le style est d'une incroyable originalité, jouant avec les mots et les images, des tourterelles aux coucous, ses pulsions généalogiques et ce : « il faut avancer malgré la nuit écrit au dos d'une image pieuse !
Tout est prétexte à l'humour « ressusciter les morts pour les coller dans un roman », ou motif à dérision, par pulsion de vivre et tisser par les mots une nouvelle vigueur.
La suture, cet acte délibéré, elle l'accomplit pour effacer les blessures, suturer son coeur, lui permettre de cohabiter avec Camille, elle lui parlera tous les jours sans pleurer.