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New York se désagrège. Les gratte-ciels se fissurent et se vident. Les chiens partent en bande vers les montagnes. Les eaux refoulent dans les souterrains. New York se meurt. Mais il n'y a que John l'Enfer, un indien Cheyenne, qui sent les convulsions de la métropole. Cette fin prochaine rappelle comment le petit village indien de Manhattan a disparu sous la poussée des colons blancs. Cette fois, c'est certain, la nation indienne vit ses dernières heures. « le douzième laveur de carreaux qui s'écrase en moins de six mois. Tous des Indiens. Je le croyais pourtant différents de nous autres, insensibles au vertige ? / Oui, ça se passe dans leur oreille interne. Maintenant, si ça se trouve, ils s'adaptent. Et ils en meurent. » (p. 13) L'assimilation définitive est-elle donc le dernier acte barbare que les Blancs civilisés commettent envers le peuple millénaire du nouveau continent ?

John l'Enfer est laveur de carreaux. Il s'élève au-dessus de l'agitation fiévreuse de la cité et les milliers de fenêtres de la ville lui renvoient un horizon de fer et de verre qui se craquèle. « le Cheyenne a toujours eu l'impression d'être le spectateur privilégié de cette ville à la surface de laquelle il ne prend pied que pour fermer les yeux. » (p. 50) John n'est pas le dépositaire des rites de ses ancêtres, mais il garde en lui assez de spiritualité pour savoir que New York convulse et qu'il ne fait pas bon y rester. « Il faut se méfier des villes, ça vous assassine mine de rien. » (p. 162)

Le chemin du Cheyenne croise celui de Dorothy Kayne, une jolie professeure d'universitée qu'un accident a rendu momentanément aveugle. La jeune femme a besoin d'être protégée et elle accepte le soutien de John. Et aussi celui d'Ashton Mysha, un officier de marine retenu à terre pour raisons de santé, juif polonais obsédé par son pays d'origine. Ces trois êtres se raccrochent les uns aux autres et élaborent une relation étrange. John aime Dorothy, mais refuse de la toucher. « Il accepterait de pas toucher Dorothy Kayne, jamais. de ne pas danser avec elle, de ne pas changer ses pansements. Mais qu'elle vive dans sa maison, seulement ça – et rien d'autre. Elle est la millième femme, peut-être, dont John l'Enfer rêve de suivre la vie pas à pas. » (p. 86) Il semble que Dorothy aime l'Indien, mais c'est à Ashton qu'elle se donne chaque nuit. Et Ashton ne semble aimer personne : il attend seulement la mort et cette attente le fatigue.

Brusquement, John l'Enfer est au chômage. La malhonnêteté des entrepreneurs new-yorkais est une autre manifestation de l'inexorable déliquescence de la ville. le Cheyenne décide de descendre dans la rue avec d'autres Indiens et de revendiquer les droits des natifs. La marche est stoppée par les forces de l'ordre. « Ne pas confondre un combat de rues avec la guerre des plaines. » (p.94) John l'Enfer est envoyé en prison et sa seule façon de payer sa caution, c'est d'hypothéquer sa petite maison en bois à Long Island, cette bicoque que les riches du voisinage rêvent tant de voir sauter pour y installer des demeures autrement plus rutilantes. Les pouvoirs accusent John d'avoir voulu détruire New York et le procès s'annonce sans appel. « On n'a jamais vu un seul Cheyenne l'emporter sur des millions d'hommes. » (p. 282)

John, Dorothy et Ashton dérivent dans la ville qui se meurt, d'un gratte-ciel vide à un palace où tout est démesuré. le Cheyenne se laisse submerger d'amour pour Dorothy. . « À travers John l'Enfer, c'est la nation cheyenne qui s'agenouille. Respire, avide, le parfum trouble d'une fille blanche et blessée, encore endormie. » (p. 146) Mais Dororthy est une femme effrayée qui use de son handicap pour redevenir enfant. « Ces deux hommes avec toi, que sont-ils au juste ? / Une attente. » (p. 217) de son côté, Ashton décide d'en finir avec ses démons, d'en finir tout court. Il rencontre le docteur Almendrick qui se livre à un curieux trafic d'organes humains sous forme de ventes viagères. La fin se précipite : celle d'Ashton et celle de New York se confondent. Pour les survivants, une seule solution : fuir et ne pas se retourner sur les vestiges à venir de la ville.

En me relisant, je me dis que j'en ai sans doute trop écrit. Mais ce roman est impossible à résumer. Il y a tant de choses à dire à son sujet. Ça faisait longtemps que je n'avais pas été happée par une lecture au point d'en rêver, de rêver d'une ville qui s'effondre et qui se meurt à petit feu, de rêver d'un Indien mélancolique et amoureux et de hordes de chiens qui envahissent Central Park. Oui, je divague encore un peu, mais c'est tellement bon…
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New-York va mal, très mal : les immeubles menacent de s'effondrer rongés par un cancer du béton qui les mine lentement, les riches l'ont désertée pour se réfugier en banlieue et les chiens, redevenus sauvages, se sont regroupés dans les montagnes.

John l'Enfer y exerçait le métier de laveur de carreaux sur les gratte-ciel, nullement gêné par le vertige à l'instar de la plupart de ses congénères Cheyennes.
Lorsqu'il perd son emploi John l'Enfer se propose d'assister Dorothy une jeune aveugle dont il vient de faire la connaissance.
Si John ressent peu à peu naître des sentiments pour la jeune femme, celle-ci semble plutôt attirée par Ashton Misha, ancien marin.

L'intérêt de ce roman n'est pas l'histoire d'amour mais bien dans la lente agonie de cette ville tentaculaire et fascinante.

« John l'Enfer » est un roman assez déroutant qui flirte avec la science-fiction et le récit apocalyptique.
Il a été couronné par le Prix Goncourt en 1977.

J'ai eu beaucoup plaisir à relire ce livre plus de quarante ans après sa parution.
J'ai aimé y retrouver John, tellement attachant dans sa volonté de sauver sa ville avec ses pauvres moyens tout en protégeant celle qu'il aime.
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John L'Enfer, je me souviens de ce roman de Didier Decoin qui résonne encore en moi comme un vertige.
C'est un récit presque de science-fiction, atypique, déroutant, quasiment apocalyptique, écrit en 1977, vingt-quatre ans avant le terrible événement du onze septembre 2001 où les deux tours jumelles de Manhattan s'effondrèrent, criblées par la folie du terrorisme islamiste. On ne peut plus y penser autrement désormais.
John L'Enfer, c'est l'indien cheyenne, qui travaille à New York, comme laveur de carreaux sur les gratte-ciels. Les tours de New-York sont gangrenées, un jour elles s'effondreront comme des châteaux sable, on sait désormais qu'elles peuvent aussi tomber autrement, par la barbarie islamiste ou par d'autres barbaries d'ailleurs...
Seul un indien cheyenne peut ressentir les vibrations qui sous-tendent cette ville.
John L'Enfer c'est le roman de la verticalité, une verticalité terrible et sublime, intemporelle.
Manhattan, terre indienne à l'origine, comme tant d'autres. Terre horizontale lorsqu'elle était encore indienne. Terre devenue verticale depuis lors...
La ville de New-York est un spectacle privilégié lorsqu'on est là-haut, lorsqu'on n'a pas le vertige, lorsqu'on assiste avec sérénité à la lente agonie de la modernité.
Un jour, John L'Enfer rencontre une jeune femme, Dorothy Kayne, une jolie professeure d'université qu'un accident a rendu provisoirement aveugle. Il en tombe éperdument amoureux. Il a envie de la protéger. Un autre homme cherche aussi à la protéger, il s'agit d'Ashton Mysha, un officier de marine retenu à terre pour raisons de santé, juif polonais obsédé par son pays d'origine. Ces trois êtres se raccrochent les uns aux autres et vont vivre une relation étrange à trois, sauvage et rebelle...
Il y a de l'amour dans cette histoire, mais aussi une belle solidarité, peut-être s'aiment-ils tous les trois, et qu'importe et tant mieux, s'ils peuvent par leur amour empêcher les tours de New-York de s'effondrer. Mais peut-être n'est-ce pas après tout leur dessein... John L'Enfer, c'est avant tout une histoire d'amour. Et d'ailleurs, qu'importe si ces tours s'effondrent, puisqu'ils s'aiment...
John L'Enfer, c'est le roman de l'amour et du désespoir, de la différence, de la minorité, du peuple indien écrasé qu'on jette sur des tours anonymes, de béton et de verre, vertigineuses, abyssales, loin du rêve ancestral...
Pourtant, qu'il est heureux de s'élever loin de l'asphalte et du bruit, de la rumeur et de la bêtise du monde ! John L'Enfer, c'est un peu le Baron Perché, à la manière contemporaine, façon cheyenne et new-yorkaise. S'élever sur des parois de verre, rappelant le rêve minéral, la lumière, le sable...
Parfois il est jubilatoire de voir une ville démesurée s'effondrer peu à peu, revenir au sable d'avant, à l'horizontalité.
John L'Enfer, c'est le rêve d'une ville moderne qui s'effondre avec tous ces mythes.
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J'ai été attirée par le personnage de John L'Enfer, un Cheyenne insensible au vertige. Ce n'est malheureusement pas son histoire que Didier Decoin raconte, plutôt celle de la décadence de New York dont les immeubles sont rongés par une lèpre. J'ai eu du mal à m'intéresser à cette histoire ainsi qu'aux personnages, du mal à croire à cette décadence décrite. le rythme est lent, la vision du monde pessimiste. Je ressors de cette lecture assez déçue.
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John l'Enfer est un indien Cheyenne, il travaille à New York, comme laveur de carreaux sur les gratte-ciel.
Son chemin va croiser celui de Dorothy Kayne, une jeune femme momentanément aveugle suite à un accident, et d'Ashton Mysha, un loup de mer polonais expatrié.
Dorothy Kayne a besoin d'aide mais pas de pitié, c'est tout ce qu'a à lui offrir John l'Enfer qui tombe amoureux de cette jeune femme dont la couleur des yeux restera un mystère jusqu'à la fin.
Dorothy Kayne tombe sans doute aussi amoureuse de John l'Enfer, mais elle ne le voit pas forcément et c'est à Ashton Mysha qu'elle s'offre toutes les nuits, pas toujours entièrement consentante ce qui en fait une relation déroutante, alors que ce dernier sait pertinemment que John aime Dorothy et vice-versa, en attendant il profite de la pseudo-domination qu'il a sur le Cheyenne : "Elle dépend de vous, pire qu'un chien. Mais je n'appelle pas ça de l'amour. N'attendez rien de l'hiver, John, vous seriez déçu.".

Ces trois destins vont se croiser pour ne faire qu'un l'espace d'un temps dans une ville de New York qui se désagrège petit à petit.
Mais seul John l'Enfer perçoit la fin de la ville, repère et interprète les signes sur les bâtiments ou encore ces chiens qui se rassemblent : "Le Cheyenne a toujours eu l'impression d'être le spectateur privilégié de cette ville à la surface de laquelle il ne prend pied que pour fermer les yeux.".
Il y a beaucoup de symboliques dans ce roman : un univers indien avec ses croyances toujours sous-jacent, une aveugle qui ne voit pas au sens propre comme au figuré, cette meute de chiens qui ne cesse de grandir en périphérie de New York prête à attaquer la ville, cette étrange maladie comme une lèpre qui toucherait la pierre pour la rendre friable et faire s'écrouler les bâtiments.
L'apocalypse n'est pas forcément là où on l'attend : elle aurait pu prendre la forme d'un virus mortel, l'auteur a choisi de la symboliser par les maisons et surtout les gratte-ciel, emblèmes de New York, qui menacent de s'effondrer.
Ne faudrait-il pas y voir aussi le déclin de la race humaine ?
D'ailleurs, même les indiens réputés pour ne pas souffrir du vertige se mettent à tomber des gratte-ciel tandis qu'ils lavent leurs vitres.
Alors que la ville menace de s'écrouler, il y a un trio amoureux qui se cherche, parfois se trouve mais se trompe de personne : "A New York, on ne s'aime plus que le temps d'une défaillance.", un tourbillon qui tourne et emporte le lecteur au fil de ses pérégrinations.
Mais il n'y a pas que New York qui dépérit, Ashton Mysha en a assez de la vie : "Il faut se méfier des villes, ça vous assassine mine de rien.", quant à Dorothy elle est retournée au stade enfant depuis qu'elle est aveugle, seul John l'Enfer est et reste un roc, une personne sur qui compter et à qui s'accrocher.
Ce roman est aussi la confrontation des contraires : le New York opulent qui se heurte au New York pauvre, l'argent à la misère, l'amour au désespoir.
Et puis, il y a New York, ville aux multiples facettes que j'ai pris plaisir à re-parcourir à travers ce roman mettant en avant des lieux ultra-connus et d'autres plus secrets.

Il m'est difficile de parler de cette lecture, elle se ressent plus qu'elle ne se raconte mais le style de Didier Decoin m'a transportée à New York et m'a fait suivre les pas de John l'Enfer à travers cette histoire que j'imagine très bien transcrite à l'écran par le cinéma.
Une belle lecture et un coup de coeur littéraire comme cela ne m'était plus arrivée depuis quelques mois.
Lien : http://lemondedemissg.blogsp..
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La lèpre de la pierre attaque le ciment des gratte-ciel de New York, les chiens et les riches quittent la ville qui se meurt faute de moyens financiers pour en assurer l'entretien. Au milieu de cette fin d'un monde, John l'enfer, un Cheyenne survit, comme un ange gardien pour ses deux compagnons, Dorothy, jeune femme temporairement aveugle dont il est amoureux et Ashton, officier de marine échoué là. L'histoire est impossible à résumer, mais on suit avec beaucoup d'intérêt le destin de notre trio. J'ai beaucoup apprécié l'ambiance chargée de symboles, et ai retrouvé avec plaisir tous les quartiers connus de New York.
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Didier Decoin n'est pas seulement un écrivain voyageur mais un grand romancier, qui part du réel pour nourrir ses fantasmes sur la ville des villes dont il fait un personnage de fiction.
Avec "John l'Enfer" et son précédent roman "Abraham de Brooklyn" Didier Decoin dédie un hymne à la ville nouvelle. Voici, deux volumes, la naissance et la mort de New York.

Dans le ciel, John l'Enfer, laveur de carreaux de gratte-ciel, le Cheyenne volant, super héros de bande dessinée et ange de cet Apocalypse. Les immeubles ne cicatrisent plus. Les vitres crèvent, les escaliers se désossent, les ascenseurs se paralysent, leurs occupants abandonnent les gratte-ciels.

En bas, dans la vallée sombre des immeubles, les politiciens refusent les prophéties de l'ange de l'apocalypse. de retour sur terre, Jon l'Enfer n'est plus qu'un laveur de carreaux au chômage

C'est alors qu'il rencontre dans le no man's land d'un hôpital, Dorothy, jeune enseignante en sociologie urbaine, rendue aveugle par un accident, et Ashton, marin polonais débarqué d'un bateau désarmé.
Ce trio de personnages en apparence hétéroclite observe la déchéance de New York sous le poids de la corruption et de la pourriture.

Dans quel conte Didier Decoin nous entraîne-t-il ?

Ce roman visionnaire nous livre avant l'heure la prophétie d'une ville attaquée par les airs qui voit s'effondrer la proue de l'Amérique.
John l'enfer est très certainement, le roman le plus fort et la plus tragique de sa génération.
Roman à lire !
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Un laveur de carreaux cheyenne dans les gratte-ciel de New-York, regarde la ville se délabrer depuis les hauteurs de son imaginaire. Il connaîtra le chômage, la désespérance, la prison, l'amour. Ce livre rempli de symboles est une ode au peuple cheyenne à travers l'histoire de l'un d'eux. On ressent très bien l'ambiance de la ville mais le malaise domine dans cette lecture.
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Ce roman est mon quinzième livre de Didier Decoin, pour lequel il a reçu le prix Goncourt, et, à ma grande surprise, c'est la première fois que je m'ennuie au cours d'une lecture de cet auteur, au point d'avoir hâte d'en venir à bout. La première partie est intrigante et intéressante, la dernière voit l'action accélérer et apporte un éclairage sur le sens du livre, mais les deux parties centrales, soit la moitié du roman, m'ont déroutée et lassée, me laissant une impression de malaise et de confusion.


New York, ville des contrastes et de la démesure, des palaces et des ghettos, de l'opulence mais aussi de l'extrême précarité, des squatts, de la drogue, du crime et de la prostitution, est sur le point de s'effondrer : maisons et gratte-ciel sont minés par le cancer du béton, les égouts débordent, les chiens ont fui la ville. Tout le monde refuse l'évidence, pour des raisons politiques, électorales ou économiques, mais les signes se multiplient.


Dans ce climat délétère se forme un trio amoureux aux relations étranges : un Indien Cheyenne au chômage - ex-laveur de vitres ignorant le vertige -, un émigré polonais dont la vie est en bout de course - ex-officier de marine désormais sans bateau -, une jeune femme rendue temporairement aveugle par un accident et qui, telle une enfant, s'accroche aux deux hommes en attendant de retrouver la lumière. Les trois nous entraînent dans leur errance comme dans une sorte de spirale destructrice, s'agrippant désespérément les uns aux autres sans jamais se trouver vraiment, toujours seuls au fond.


Didier Decoin excelle à rendre l'atmosphère lourde d'un New York où tout se délite derrière les apparences : décadence, pourriture, corruption, errance, perte de sens et d'identité, tout annonce une catastrophe imminente, la chute prochaine de Babylone, l'apocalypse, la déchéance du mythe américain, la revanche d'une nature prête à reprendre bientôt ses droits sur une civilisation en pleine nécrose. La soirée dansante dans les étages de l'hôtel de luxe dont les sous-sols sont envahis par le débordement des égouts n'évoque-t-elle pas l'inconscience précédant le naufrage du Titanic ? Seul John l'Enfer, Indien ayant conservé la capacité d'observation de son peuple si mis à mal par l'Amérique moderne, se montre clairvoyant et capable d'agir.


Si sa lecture m'a semblé partiellement pénible, le roman est indéniablement de grande facture et j'ai tourné la dernière page en pensant "waouhh", à nouveau impressionnée par la maîtrise d'écriture, et notamment la qualité des excipits, de Didier Decoin.


Le livre prend une certaine résonance prophétique, lorsqu'à travers le New York de John l'Enfer, l'on se prend à imaginer notre monde au bord de l'implosion, d'une part incapable de modifier sa trajectoire malgré son impact environnemental, d'autre part laissant pour compte une partie de l'humanité, parfois en perte de repères et de valeurs. Nul doute que la nature aura de toute façon le dernier mot, reprenant parfois violemment ses droits au prix de catastrophes humaines de plus en plus plausibles. "John a toujours su que le béton n'aurait pas le dernier mot, que le temps viendrait qui relancerait la croissance des forêts sur ce périmètre de Greenwich Village, autrefois territoire de la tribu indienne des Sapokanikan. (...) S'il collait son oreille dans la poussière, le Cheyenne entendrait sous les massifs de Washington Square le souffle des eaux souterraines ébranlant les fondations de la ville à la manière d'une sève puissante. Parce qu'il y avait des rivières, ici ; des rivières et des forêts ; et ça revient du fond des temps, ça patiente, et ça s'empare - à la fin".


En lisant John l'Enfer, force est également de faire un lien avec un précédent roman de Didier Decoin : dans Abraham de Brooklyn, New York est en pleine construction. Là aussi, le héros souffre dans une ville méphitique et inhumaine, qu'il finit par fuir pour chercher un salut au sein des espaces alors vierges et "naturels" de l'Ouest américain.


Au final, un livre moins facile d'accès que les autres du même auteur, qui, s'il m'a semblé moins agréable à lire, n'en est pas moins intéressant et talentueux. Sans doute pourrait-il avantageusement faire l'objet d'une adaptation au cinéma.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Lorsque l'on pense à New York, on pense ébullition culturelle, mouvement perpétuel, réinvention continuelle. John l'Enfer, un laveur de carreaux d'origine cheyenne, ne pense pas cela. New York, dans les années 1970, est une ville violente qui attire à elle toutes les merveilles et toutes les misères du monde. Depuis les buildings dont il lave les carreaux, accroché à eux par des ventouses, John l'Enfer sent que la situation de la ville se dégrade. Il le sent littéralement, à travers le béton, le verre, le métal. Lui, dont le peuple est insensible au vertige, ce qui le rend immédiatement qualifié pour l'emploi qu'il occupe - et en cela New York est une assurance contre le chômage - voit même, depuis peu, ses collègues et congénères tomber des façades et s'écraser sur le sol. Au hasard d'un service dans un hôpital, il fait la rencontre de Dorothy Kayne puis d'Ashton Mysha. C'est avec ce trio que Didier Decoin nous emmène dans les rues de New York.

Dorothy est docteure en sociologie. Elle est devenue aveugle, provisoirement, à cause d'un accident de surf tandis qu'Ahston Mysha, qui officie dans la marine marchande, soigne une appendicite dans la cité verticale. John et Ashton deviennent les yeux de Dorothy. A tous les deux, elle inspire des sentiments amoureux. Entre les deux hommes s'établit une rivalité bien naturelle, et pourtant fondée sur un respect mutuel qu'explique l'assurance qu'a chacun de ne pas pouvoir contenter Dorothy tout seul. Bien sûr, une peur les unit aussi, celle du jour où Dorothy retrouvera la vue, et les verra dans leurs apparences physiques, et non plus ne les imaginera grâce à leurs voix, à leurs souffles ou à leurs manières de bouger. Après des débuts prometteurs passés dans la maison de John situé sur Long Island, le trio retrouve New York, ses bas-fonds et ses dorures et s'entête à aller tout au bout de l'aventure. Pour John, celle-ci débute par la perte de son emploi à cause d'un patron peu scrupuleux. Ashton lui emboîte le pas : pour subvenir aux besoins, et donner à Dorothy ce qu'elle mérite, le marin polonais vend en viager ses organes à un docteur d'Atlanta.

Au-delà de l'errance de trois personnages atypiques dans une ville qui l'est tout autant par son histoire et son aspect, John l'Enfer raconte en réalité ce qu'est New York et ce qu'est l'Amérique. Est-ce donc un hasard que les trois personnages en représentent l'identité complexe ? D'un côté la vieille Europe se retrouve en Mysha, marin polonais échoué sur le rivage. de l'autre, l'Amérique des origines, l'amérindienne, se retrouve à travers John. Dorothy, elle est l'Amérique neuve (la sociologie urbaine dont elle est spécialiste n'a rien à voir avec la nature des grands espaces), sans histoire ou presque (on ne connaît rien ou presque de l'histoire de Dorothy). L'Européen et l'Amérindien aiment l'Amérique, mais de façon différente : un seul veut la posséder physiquement. Dorothy a besoin des deux pour être soutenue et aimée.

New York est le quatrième véritable personnage de ce roman. La ville présente de multiples facettes, à l'instar de ses quartiers que Decoin explore : les docks de Manhattan, les ponts, Greenwich, Chinatown ... En réalité, New York est un vieux parchemin où s'écrivent toutes les histoires du monde, et que tirent à eux les candidats à l'élection municipale : d'un côté Ernst Anderson, chef des pompiers, un alarmiste qui redoute l'incendie ultime qui punirait l'arrogance de la cité (référence au feu purificateur) ; de l'autre, le sénateur Cadett, qui soutient le maire en place, personnage fantoche. le sénateur est un politicien dans toute sa petitesse. Par son obstination à survivre aux cataclysmes, à ne pas s'avouer vaincue, à contraindre l'apocalypse, New York signe la fin d'une certaine spiritualité. Elle est la capitale des frustrations, des injustices, de l'immoralité : et alors ? Dans la vaste ville, il n'y a que John l'Enfer qui se préoccupe de cela. Ashton Mysha voit sa propre vie s'échapper sur le Vastitude, ce bateau sur lequel il officiait. Son monde c'était la mer. Quant à celui de Dorothy, celui des ténèbres, elle tente de s'y habituer. le monde de Dorothy n'est pas New York, car New York refuse la nuit. Les néons allumés ici et là rappellent les désirs et les plaisirs de chacun : la nourriture, la musique, le sexe. le coeur de New York bat encore puissamment lorsque les pires cataclysmes semblent la menacer.

Il y a, dans John l'Enfer, une sorte de prophétie biblique en cours de réalisation. Il n'est pas improbable que nous assistions à l'effondrement de la civilisation : voyez ces signes, visibles (la fuite puis l'invasion des chiens, la montée menaçante des eaux souterraines, les poussières infimes qui encrassent les carreaux bien plus vite) et invisibles (la mythique lèpre de la pierre) dont le messager est un Amérindien laveur de carreaux. Ne nous étonnons pas de la modestie de son état : il est prophète car il peut prendre de la hauteur. Il est prophète car il est insensible au vertige sous toutes ses formes. Il est prophète car il parle d'une ville et d'un mal qui le dépassent.
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