« Elles s'appellent Tatiana, Fatia, Juliette, Dolma, Keïko, Émilie,
Antigonepeut-être… »
Dans son oeuvre intitulée « Je m'appelle Alice »,
Martine Delerm clôt son exergue par les mots suivants : « À toutes les enfances prisonnières ».
Ici, avec notre album au titre hautement symbolique et significatif, les destinataires sont plus ciblées et l'exergue pourrait être le suivant : « à toutes les petites filles prisonnières ». En effet, dans cet album, le narrateur omniscient donne à lire l'histoire de ces petites filles brisées. Il donne à entendre la voix de ces petites filles qui se sont tues, qu'on a forcé à se taire. Il donne à voir ces petites filles qui, comme l'héroïne éponyme de « Je m'appelle Alice », n'ont pas de bouches dessinées sur leur visage innocent et enfantin. Et pour cause,
Antigone c'est celle qui a dit « Non », celle qui s'est opposée au pouvoir et dont on a éteint la voix mais qui pourtant résonne encore à travers cette mélopée.
Antigone devient dès lors toutes ces petites filles afin que leurs voix ne restent pas que des chuchotements inaudibles et que leurs espoirs vivent un jour. Elle prête sa voix à travers le narrateur pour que nous-même lecteur ne les oublions pas.
Ainsi, tout, dans le texte et les illustrations évanescentes traduisant la fragilité des petites filles, transcrit l'élégance pathétique de ces dernières dont on a envie de prendre la main et à qui on voudrait dire que tout ira bien… si seulement…
peut-être.
Un album rare, émouvant et poétique qui porte la voix des femmes dans un texte aux accents féministes, puissant et bouleversant, où règnent colère et impuissance.
Un album, symbolique et nécessaire, d'une sensibilité et d'une vérité rares, infinies et remarquables… pour ne pas oublier Tatiana, Fatia, Juliette, Dolma, Keïko, Émilie,
Antigonepeut-être…
Apprenons à nos petites filles à dire NON. Et rappelons leurs qu'
Antigone est faite « pour partager l'amour, non la haine » (
Sophocle 1999 : 64).