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EAN : 9782857048169
320 pages
Pygmalion-Gérard Watelet (23/04/2003)
3.67/5   3 notes
Résumé :
Epouse infidèle, mère dénaturée, reine félonne : tel est le triple réquisitoire que l'historiographie traditionnelle dresse contre Isabeau de Bavière, la femme du roi Charles VI. N'a-t-elle pas été la maîtresse de son beau-frère, le duc d'Orléans ? N'a-t-elle pas abandonné son mari, le pauvre roi fou, et renié son propre fils, le futur Charles VII ? N'a-t-elle pas signé le " honteux traité de Troyes " qui vendit la France à l'Angleterre ? Face à l'éclatante figure d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
ISBN : 9782857048169

A l'exception de Marie-Antoinette, que le peuple et ceux qui montaient contre elle d'infâmes cabales avaient pris l'habitude de surnommer "l'Autrichienne", aucune reine de France n'a été aussi cordialement haïe et vilipendée qu'Elisabeth von Wittelsbach-Igolstadt, mieux connue dans L Histoire sous le nom, péjoratif, d'Isabeau de Bavière. Mais cette haine, qu'elle n'eut guère à affronter de son vivant, elle la doit à certains historiens du XIXème siècle, les mêmes sans doute qui ont fait de Catherine de Médicis une empoisonneuse obsédée par les devins et la magie et d'Anne d'Autriche, une femme entièrement dominée par Mazarin. A leurs yeux, Isabeau - gardons-lui le prénom sous lequel elle devait devenir si célèbre - avait le tort irréparable d'être femme et étrangère, dans un pays déstabilisé par les rivalités entre les oncles du roi son époux, Charles VI le Fol. Philippe Delorme, visiblement tombé sous le charme de cette destinée injuste, tente de rétablir ici une vérité évidemment plus nuancée.

Mariée par les bons soins du duc de Bourgogne, Philippe II le Hardi, Isabeau est, dès le départ, sous l'influence du tout-puissant oncle de son mari. Elle n'a que quatorze ans, son futur époux seize à peine et elle aura de lui douze enfants dont quatre seulement dépasseront les trente ans. Jusqu'à sa septième grossesse, la reine se retrouve enceinte tous les deux ans, voire tous les ans. Après la naissance de Michelle de France, qui épousera Philippe III de Bourgogne, petit-fils de Philippe le Hardi, Isabeau aura un répit de quatre ans. Mais, à partir de 1397, les grossesses reprennent avec un délai d'un à deux ans. Trois ans cependant sépareront le petit Charles, futur Charles VII, de son frère Philippe, dernier enfant du couple, mort à quelques jours, en 1407. Certains s'étonneront, après ces douze grossesses, que la petite princesse fine et svelte soit devenue, avec les années, une reine en surpoids qui avait parfois bien du mal à se déplacer. le pire est que les historiens machistes du XIXème se sont servi de cette image d'obèse pour accabler un peu plus Isabeau, accusée de se goinfrer à ne plus finir.

Se vengeait-elle sur la nourriture, cette femme qui, dès août 1392 - elle n'a que vingt-et-un ans mais a déjà donné le jour à cinq enfants - réalise qu'elle est mariée à un dément - de nos jours, on parlerait probablement de schizophrénie ? A compter de la crise de folie du 5 août 1392, dans la forêt du Mans, Charles VI ne retrouvera plus jamais la raison. Certes, il y aura des accalmies pendant lesquelles il tentera de reprendre plus ou moins les rênes du pouvoir mais elles ne seront jamais suffisamment longues pour prévenir le mal qui guette, puis envahit le royaume : la guerre civile. Pour Isabeau par contre, il n'y aura pas d'accalmies. Vaille que vaille, elle devra protéger ses enfants et elle-même au sein de la terrible lutte de pouvoir qui oppose le duc de Bourgogne, dont, bien que reine de France, elle demeure l'obligée, et Louis, duc d'Orléans et frère de Charles VI. Et les choses ne cessent d'empirer jusqu'à ce que Jean Sans Peur, fils de Philippe le Hardi, met à profit la mort de son père pour faire assassiner le duc d'Orléans dans une ruelle du Paris médiéval.

Le duc de Bourgogne est allé trop loin mais qui osera le lui dire ? qui osera l'en punir ?

Pendant les années qui suivent, Isabeau louvoie entre les deux factions, celle du Bourguignon assassin et celle des Orléans, qui réclame justice. Il faut se rappeler que, son mari étant toujours en vie et revenant de temps à autre à la réalité, elle doit agir sans l'aide des outils d'une régence normale. Contrairement à ce qui se passa pour Blanche de Castille, mère de Louis IX, ou encore pour Catherine de Médicis et Anne d'Autriche, Isabeau ne fut jamais régente et ne disposa jamais de la légitimité et de la puissance conférées par cette fonction.

Face à elle et sans se soucier un seul instant du bien de l'Etat, des mâles qui concluent alliances et traités contre nature. Dès l'assassinat de son cousin d'Orléans, Jean Sans Peur s'allie avec une faction populaire parisienne dominée par les écorcheurs et les bouchers (les Cabochiens, ainsi appelés du surnom de leur chef, Simon Caboche) : de véritables massacres ensanglantent la capitale qui aspire bien vite à voir les Armagnacs - ou partisans des Orléans - reprendre le pouvoir. (Entrés à Paris, les Armagnacs ne s'y comporteront pas mieux.) Mais Jean Sans Peur va faire bien pire : il s'allie aux Anglais, dont le roi, Henry V, le vainqueur D Azincourt, rêve de reprendre la couronne de France à son compte.

Les Armagnacs profitent d'une entrevue que le Dauphin Charles accorde au duc de Bourgogne pour assassiner celui-ci. le Dauphin était au courant du projet et ne s'y est pas opposé. Les Bourguignons crient alors au scandale et juge cette complicité indigne d'un futur roi. Isabeau essaie toujours de concilier l'inconciliable et ne se résout qu'au dernier moment à accepter le honteux traité de Troyes qui, le 14 mai 1420, nie l'habileté à succéder à son père du Dauphin en raison de ses "crimes énormes." Certes, les Bourguignons songent bien à mettre en doute sa légitimité mais la campagne de calomnie s'achève assez vite car cela embarrasserait trop sur le plan diplomatique - d'autant que Henry V va épouser la soeur de Charles ... La rumeur, une fois lancée, sera mise en sommeil - et les pseudo-historiens du XIXème siècle n'auront qu'à la relever, faisant de Charles VII le fils adultérin d'Isabeau et de l'un des ses amants. (Cette femme accablée de grossesses, ce qui implique kilos à prendre et kilos à perdre, aurait passé son rare temps libre à lever la jambe un peu partout, avec la légèreté et la souplesse d'une danseuse de cancan. On peut s'interroger sur la nature exacte de la haine qui engendre de tels fantasmes ... )

Assez ironiquement, la rumeur prêtera également à Isabeau un autre enfant, lequel ne serait autre que ... Jeanne d'Arc, celle qui "bouta les Anglois hors de France" et qui rétablit en son droit le "soi-disant Dauphin Charles". La logique machiste et catholique atteint ici son summum (de ridicule ) : perdu par une femme (Isabeau-Jézabel, la Putain), le royaume de France est remis sur les rails par une femme (Sainte Jeanne, la Pucelle).

Isabeau de Bavière devait s'éteindre le 24 septembre 1435, à Paris. Jeanne d'Arc l'avait précédée de quatre ans dans l'Au-delà, les Bourguignons et les Armagnacs venaient enfin de se réconcilier, les Anglais avaient réembarqué et son petit-fils, Louis, futur Louis XI, l'un des plus grands rois de France, avait douze ans et songeait déjà à faire tourner son père, Charles VII, en parfaite bourrique.

Lisez "Isabeau de Bavière", de Philippe Delorme, écrit peut-être sans grandes envolées mais qui rend humanité et honneur à l'une des reines de France les plus courageuses et les plus injustement calomniées. (Et passez aussi les pages Wikipédia sur la malheureuse : Michelet n'aurait pas fait pire.) ;o)
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
[...] ... Cela étant, existe-t-il des témoignages authentiques de l'inconduite d'Isabeau de Bavière ? Et, en particulier, de sa prétendue liaison avec Louis d'Orléans ? Il convient tout d'abord d'éliminer les sources tardives ou apocryphes. Sans s'arrêter aux élucubrations d'un Brantôme, il est tout à fait invraisemblable que Louis XI - si fier de la supériorité de sa race - ait confié, comme on le lit parfois, que sa grand-mère était une "gran putana - une grande putain."

Aucun auteur contemporain n'accuse la reine d'adultère, à moins de s'arrêter à de très vagues allusions. La plus marquée est peut-être celle du Religieux de Saint-Denis, évoquant Isabeau et son beau-frère en ces termes : "Indifférents à la défense du royaume, ils mettaient toute leur vanité dans leurs richesses, toute leur jouissance dans les délices du corps. Enfin, ils oubliaient tellement les règles et les devoirs de la royauté, qu'ils étaient devenus un objet de scandale pour la France et la fable des nations étrangères."

Dans le "Songe Véritable", l'allégorie de la Fortune adopte un ton menaçant : "Je lui ferai avoir telle honte, et tel dommage et telle perte, qu'en la fin, en sera abandonnée." Plus loin, Raison tente, à son tour, d'intimider la princesse fautive : "Si devers moi bientôt ne viens, je t'enlèverai tous les tiens. Je te mènerai à tel malheur que tu n'auras membre ni chef qui ne te tremble de forte ire. Mais je ne te veux ores plus rien dire, parce que femmes ont peu de honte et font de mes dits peu de compte. Mais en la fin t'en souviendras, quand Fortune sur toi viendra. [...] On dit en proverbe souvent que nul ne sait ce qu'à oeil lui pend."

Ces quelques citations suffisent-elles à conclure à la culpabilité d'Isabeau ? Certainement non. D'autant que son péché supposé aurait été d'une gravité extrême. En effet, les théologiens médiévaux assimilent les relations sexuelles entre beau-frère et belle-soeur à un inceste, dont le "Ménagier de Paris" fait la "quinte branche de luxure" : "Quand homme ou femme a affaire charnellement à sa cousine, ou qu'elle soit de son lignage, soit loin ou près, ou à sa mère ou à celle qui est du lignage de sa femme, ou la femme a affaire à celui du lignage de son mari."

Or, aux yeux de l'Eglise, l'inceste - comme la sodomie ou la zoophilie - est passible de la corde ou du bûcher. Encore faudrait-il ajouter dans ce cas le crime de "rapt d'honneur" commis par un vassal sur l'épouse de son suzerain, et celui de lèse-majesté que constituerait le commerce illicite avec une princesse ointe et sacrée. Replacée dans le contexte du temps, une liaison charnelle entre Isabeau de Bavière et le frère de Charles VI apparaît donc des plus improbables. Sans compter qu'elle aurait été matériellement bien malaisée. Une reine de France, sans cesse entourée de ses dames et de ses servantes, ne reste jamais seule, même la nuit. Ainsi, en 1416, les comptes d'Isabeau mentionnent l'achat de "deux quartiers de serge vermeille [et] dix livres de plumes appelées fleurin [...] pour servir à coucher dessus les femmes qui veillent de nuit devers icelle dame." ... [...]
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[...] ... Avant de juger la conduite d'Isabeau de Bavière à partir de 1392 - et de prendre pour argent comptant les calomnies qui ternissent sa mémoire - il est nécessaire de connaître le sort terrible que le Destin lui a réservé. D'abord, la folie ne s'abat pas sur Charles VI de manière tout à fait imprévisible. "Bien savions-nous que cette faiblesse de chef le travaillait moult fort," avoueront ensuite ses médecins. Déjà, à Amiens, au printemps, il était tombé "en fièvre et en chaude maladie." Depuis longtemps, son besoin continuel d'activité, l'ardeur de ses désirs, la brusquerie de ses dégoûts, dénotaient une nature vulnérable. L'attentat contre le connétable [de Clisson], l'excitation des préparatifs [de l'expédition punitive] achèvent d'ébranler sa résistance nerveuse. Sur la route de Bretagne, il est obligé de se reposer plusieurs semaines à Saint-Germain-en-Laye, puis au Mans. Dans les premiers jours d'août, il donne les premiers signes de démence, "par des propos insensés et des gestes indignes de la majesté royale", selon le témoignage de Michel Pintoin qui participe à l'expédition.

La scène de la forêt du Mans reste gravée dans toutes les mémoires. Le 5 août 1392, quoique encore faible, le roi donne l'ordre de reprendre la route [vers la Bretagne]. La canicule, oppressante, est presque insupportable, et "la terre desséchée jusque dans ses entrailles." Charles VI, coiffé d'un chaperon de vermeille écarlate, étouffe dans son justaucorps de velours noir. Au cou, il porte le chapelet d'Isabeau.

A peine sorti de la ville, un misérable, couvert d'une cote en haillons, le visage hideux, se précipite vers le cortège en vociférant : "Ne passe pas outre, noble roi, car tu es trahi !" Dans la littérature médiévale, la forêt est ce lieu sombre où rôdent les forces du mal. Là où le héros perd la raison. Semblablement, l'"homme sauvage" - c'est-à-dire l'homme de la forêt, silva en latin - incarne l'anti-chevalier par excellence. Le fou est celui qui se dépouille de ses armes et de ses vêtements pour errer presque nu et mener l'existence des bêtes. Or, de telles références peuplent l'imaginaire de Charles VI, grand amateur de romans courtois. L'apparition de ce faux ermite "à la face défigurée" le fait basculer dans l'univers obscur de la forêt interdite ...

Vers midi, alors que le soleil frappe d'aplomb, la colonne royale traverse les landes du Bourray, près de Parigné-le-Pôlin. Soudain, un page, somnolant, laisse tomber par mégarde sa lance sur le casque du cavalier qui le précède. Le fracas fait tressaillir le roi, qui tire son épée du fourreau, éperonne son cheval et, se croyant attaqué, frappe tous ceux qui se tiennent à sa portée. Au paroxysme de la fureur, il massacre quatre écuyers et veut tuer son propre frère. Pendant une heure, Charles se démène comme un forcené, jusqu'à ce qu'il s'effondre d'épuisement. Sans connaissance, le malheureux est alors allongé sur une litière et ramené au Mans. ... [...]
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