Livre trouvé chez ma grand-mère, et que je ne risquais pas de trouver ailleurs. Réimprimé il y a une centaine d'années en très petit tirage, il a été écrit par l'un de ses ancêtres.
Louis Demanche était quelque chose comme son arrière-arrière-arrière-arrière-grand-père, et quand on a le sens de la famille ou qu'on s'intéresse à ses ancêtres, ça compte. Il était commissaire des guerres dans l'armée de Napoléon, c'est-à-dire responsable de l'intendance et de la comptabilité.
Il prit part à la conquête de l'Espagne, une gigantesque et particulièrement inutile boucherie. C'est l'une des premières guerres où s'exprima un véritable sentiment national, et où l'armée française dut faire face à une impitoyable guérilla menée par toute la population. Après s'être rapidement emparé du pays, Napoléon se retrouva donc avec une révolte géante sur les bras. Mon ancêtre était rattaché au corps de
Pierre Dupont de l'Etang, qui se retrouva isolé par les rebelles appuyés par des troupes anglaises, et capitula contre l'assurance que ses 16 000 hommes seraient simplement désarmés et renvoyés en France. La promesse ne fut pas tenue, et ils furent envoyé en captivité dans des pontons (c'est-à-dire de vieux navires démâtés faisant office de prisons flottantes) à Cadix. C'est l'objet de ce récit.
Les conditions de vie sont dures sur les pontons anglais, elles sont abominables sur ceux d'Espagne. La nourriture est gâtée, l'hygiène inexistante. le typhus, la malaria et le choléra font des ravages. A tel point que les navires anglais ancrés dans la rade de Cadix finissent par se plaindre aux Espagnols de la quantité de cadavres qui stagnent dans la baie ! le problème est réglé grâce à une petite barque, qui remorque derrière elle une longue corde à laquelle on attache les cadavres en une macabre guirlande flottante…
Les officiers (dont mon ancêtre) bénéficient d'un sort un peu meilleur que les hommes de troupes, et ont leur propre ponton. Conformément à la tradition de l'époque, certaines sont accompagnés de leur famille – une femme accoucha même pendant le séjour ! Soldats comme officiers produisent et vendent un peu d'artisanat pour améliorer un peu leur sort – l'auteur raconte avoir appris la peinture pour réaliser de petits portraits de ses gardes et de leurs familles contre un peu d'argent.
Le plus intéressant dans le récit est cependant qu'il relate la seule évasion massive réussie de ce type de prison. Quelques mois après leur capture, l'armée de Napoléon vint en effet assiéger Cadix. Avant d'avoir été transférés, les prisonniers profitèrent d'une tempête pour neutraliser leurs gardes et couper leurs amarres. le ponton ayant encore son gouvernail, et en utilisant leurs couvertures comme voiles de fortune, ils parvinrent à jeter leur prison à la côte, au pied du camp allié. Ils échappèrent de très peu à la noyade et aux canons espagnols, mais cela reste l'une des évasions de masse réussie les plus importantes de l'histoire militaire.