Ah, ah, comment apprend t on à lire ? question plus qu'intéressante, posée par
Agnès Desarthe dans le titre. Cependant elle ne pose pas en fait de question, mais affirme,et je vais essayer de comprendre ce mélange de vantardise et de névrose avouée.
A 3 ans, je ne comprends rien , dit elle.(C'est normal, ma grande.)
Pour elle, lire c'est mourir un peu. Elle se sent personnellement attaquée par ces histoires. L'écriture est dangereuse. Et comme elle voit un thérapeute, il en ressort qu'elle est névrosée mais géniale. D'ailleurs, elle le dit elle même, elle a honte de lire
Prévert à 10 ans, c'est si facile. Puis le livre devient une épreuve qu'on lui afflige : » termine ton assiette, termine ton livre ».Alors, elle lit des livres policiers à 12 ans dont elle aime « l'argot léger, l'érotisme désabusé » dans les années 50 ? érotisme d'
Agatha Christie ? Et puis son père ( le grand psychiatre
Aldo Naouri) préfère l'arabe, le passé , son passé, plutôt que ses enfants. Il dévalue le français, et elle, elle hérite de cette haine paternelle vis à vis de la langue française.
A 13 ans, elle comprends déjà Salinger au delà de la traduction (la prostitution, le décrochage scolaire, l'obsession de la sexualité.) Mais c'est qu'elle est vraiment géniale, cette petite ! de plus, et c'est tout à son honneur, elle refuse la facilité : « Dès que je comprenais ou croyait comprendre, je ne pouvais poursuivre ( la lecture) . Bien sûr , elle passe par des moments de honte sociale, par exemple quand elle avoue aimer Camus , elle a 15 ans, âge auquel elle lit
Faulkner .C'est honteux d'aimer Camus à 15 ans, non ? NON ? Mais elle ne lit pas
Flaubert, ni
Balzac.
Avec une obsession pathétique sur elle même, Desarthe cite Genette, mais n'est pas sûre de l'avoir lu, veut s'intégrer, être comme les autres, et aussi être à la marge, être différente. Accumule les vantardises sur son génie incontesté, assorti de ses lectures dont elle choisit les plus ardues, et dans le même temps de son dégoût pour la lecture. Pourquoi écrit elle, d'ailleurs, pour nous dégoûter à notre tour ? ou pour qu'on l'admire ? ou pour qu'on se sente vraiment minables d'essayer de se mettre à son niveau, alors qu'on ne lui arrive même pas à la cheville ? Lire
Faulkner à 15 ans, pour une jeune fille qui n'aime pas lire ! Mais c'est admirable !
Venons en aux raisons qui l'ont poussée à détester la lecture : parce que son grand père maternel a été déporté , parce que la famille de son père avait été contrainte de quitter la Lybie et l'Algérie, « parce que, malgré nos efforts, nous n'étions pas suffisamment français » ( faux :
Aldo Naouri a dû quitter le Lybie et l'Algérie parce qu'il est français, justement, pas malgré. ) Une fille peut elle méconnaitre son père à ce point : OUI, elle l'avoue elle même : « j'ignore ce qu'il en était réellement pour lui et ne prétends pas le savoir ».
Deuxième raison à mourir de rire : elle se décrit en fille d'émigrés, de bougnoules dit elle, alors qu'elle se fantasme en blonde aux yeux bleus. Et comme elle a peur des garçons, elle a peur de lire car la lecture est la pénétration d'un cerveau dans le sien ! Raisonnement logique et imparable, vous en conviendrez ! Et comme l'alphabétisation commence avec la fin de l'indifférenciation sexuelle, c'est le début du corps féminin comme proie qui s'offre avec l'apprentissage de la lecture. Comme si seules les femmes qui savent lire se font violer.
Et pour mettre un peu de piquant à son propos, elle parsème son propre éloge de mots que tout le monde connaît : intradiégétique, stichomythie, syntagme. Elle est géniale, je vous dis. Et elle n'aime pas lire ? moi non plus je n'ai pas aimé la lire.