C'est quoi d'ailleurs l'amour...
C'est quand on pense à l'autre en souriant
La pente des yeux, la couleur de la peau, l'orientation des sourcils, l'implantation du nez, le dessin des lèvres. Parfois, un visage vous bouleverse. Le contempler vous blesse et vous console.
— À tes amours, lance Jérôme en levant son verre.
— À l’amour en général, corrige Paula. Soyons généreux. Élevons le débat. C’est quoi, d’ailleurs, l’amour.
C’est Marina et Armand. C’est Armand et Marina, pense Jérôme, mais il ne le dit pas.
— C’est quand on pense à l’autre en souriant. Quand on a tellement envie de prononcer son nom qu’on est prêt à raconter n’importe quoi pour le dire, pour l’entendre, déclare-t-il.
— Quand je t’ai vu la première fois, fait Paula, dont la diction comme à être légèrement altérée par la boisson, j’ai trouvé que tu ressemblais à Clint Eastwood. Quand je parlais de toi à mes amis, je disais Clint.
— C’est parce que tu étais amoureuse de Clint Eastwood, alors, remarque Jérôme. Sinon, tu aurais dit Jérôme.
- Je ne crois pas à la parole, déclare Rosy d'un ton catégorique.
Jérôme admire sa fermeté. Lui non plus n'y croit pas, mais il n'oserait cependant pas l'affirmer. Il sent que quelque chose cloche dans les échanges. Il ne saurait le formuler plus précisément. Il est souvent frustré, et presque toujours craintif, à l'idée de devoir s'exprimer, avec la certitude qu'il ne sera pas compris. Il blâme les mots, l'approximation du vocabulaire. Il ne songe pas à remettre en cause le système lui-même.
Quand il était rentré, Paula l'avait accueilli en lui disant: " C'est encore moi qui ai dû vider la poubelle."
Jérôme avait pensé qu'il faudrait changer quelque chose, que la vie pouvait sans doute être plus plaisante. mais il n'avait pas trouvé comment s'y prendre
Il se surprend, une fois encore, à envier le silence des animaux, leur fatalisme. Manger, être mangé, donner la vie, la perdre. Les bêtes filent, suivant une trajectoire parfaite, jamais elles n'hésitent, jamais elles ne renoncent, jamais elles ne changent d'avis. Elles ignorent les carrefours, propulsées comme des flèches par l'arbalète divine, avec pour seule mission d'accomplir une courbe parfaite, de la naissance à la mort, de fuser depuis le néant vers le néant, avec grâce et légèreté. Les destins humains, en comparaison, lui semblent si tortueux, si maladroits, lourds, corrompus.
Le chagrin déferle sur lui d'un coup, comme une interminable poursuite. "Je t'ai trouvé, hurle le chagrin triomphant. Tu es revenu dans la forêt et tu es à ma merci." Mais, presque aussitôt, à la manière d'une vague qui se brise et se retire, le chagrin recule, s'éloigne, s'estompe, laissant Jérôme plus seul que jamais.
La pente des yeux, la couleur de la peau, l’orientation des sourcils, l’implantation du nez, le dessin des lèvres. Parfois, un visage vous bouleverse. Le contempler vous blesse et vous console.
Que faire de son enfant quand l’enfance est finie ?
Quand on cherche, il faut, à tout prix, oublier que l’on espère trouver.