Au-delà des misères, des chiffres et des statistiques, au-delà de la peur, des erreurs et des manques, au-delà des apparences, de l’image que l’on projette et de ce qu’on est en réalité, au-delà des lâchetés, des trahisons, des jalousies, des larmes et de la solitude, au-delà de l’amitié, du soutien et de l’amour qui ne règle pas tout, il restera toujours le don du meilleur de soi-même.
Ce livre, c’est la petite voix qui murmure et veut se faire entendre à travers le bruit incessant des aléas de l’existence. Merci à mon chirurgien, le docteur Roger Poisson, de m’avoir donné l’idée d’écrire. Car ce projet fut la bouée de sauvetage qui m’a permis de garder la tête hors des eaux troubles de cette période.
Merci pour toutes les mains tendues, les paroles qui furent tout sauf vaines, les témoignages d’amitiés inébranlables ou insoupçonnées, la générosité de ces inconnues qui font des soins leur métier, la chaîne des personnes chères qui, avec moi, ont défié le sort et le hasard. Enfin, merci à ces femmes courageuses qui ont croisé ma route.
Je vous convie au jeu de l’oie, à la partie de dés que j’ai jouée avec la maladie, ne sachant qui de nous deux arriverait au paradis, ou en enfer, la première. Me voici face à elle, avançant case par case, au gré des chiffres et de leur symbolique, chiffres que de toute façon on fait parler pour ou contre soi, cela dépend de notre humeur du moment.
Autour de nous, des spectateurs se suivent, une humanité qui s’arrête un instant pour jeter un regard on ne peut plus personnel sur le jeu, fait trois petits tours et puis s’en va.
Lentement mais assurément, alors que je voulais écrire sur les autres, je n'ai pu faire autrement que de me retrouver sur le chemin du retour sur soi. Tous les chemins y mènent quand on a eu ou qu'on a un cancer. J'ai cette chance immense d'avoir reçu en cadeau à ma naissance la capacité de rêver ma propre vie, de la récupérer, de la transformer à ma guise, de lui donner la démesure de l'intensité, la justification de la contemplation de mon nombril, pour enfin l'écrire et la rendre. Bref, je suis une artiste. Mais elle, la femme à côté de moi, celle qui ne dit mot ne prend pas la plume, elle souffre, elle aussi.
À tous ceux et celles que j’ai tant aimés.
À tous ceux et celles que j’ai détestés
parce qu’ils ne m’aimaient pas.
À tous ceux et celles que j’ai rejetés
parce qu’ils m’aimaient.
À tous ceux et celles dont l’amour
m’a permis de vivre.
À celui que j’aimerai toujours.
Mais surtout, surtout, à toutes ces femmes qui ont connu, comme moi, ces moments de terrible angoisse, un peu avant l’aube quand, atteinte d’un cancer, on contemple seule dans le noir la vie qu’on a devant soi.
Quelque part une ombre tient dans sa main deux dés qu’elle réchauffe de son souffle froid. Elle m’attend depuis un moment déjà. Mais moi, je ne sais pas encore que la partie est commencée.
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En décembre 2008, l'auteure Sylvie Desrosiers a remporté le prix du gouverneur général pour son roman Les Trois Lieues. Visionnez cette capsule pour connaîtr...