Le
Kampuchea démocratique, c'est le nom du Cambodge, ce pays entre la Thaïlande, le Laos et le Vietnam, bordé par le Golf du Siam; ce pays fermé, ruiné par les Khmers Rouges.
Un roman en chroniques amères, un carnet de voyage dans l'espace et le temps, les paysages en réminiscences. C'est l'histoire de la Révolution des Khmers rouges, ses grandes figures, ces inculpés, c'est aussi celle de l'Indochine, de l'Europe coloniale, ses grandes figures, ces coupables, celle des guerres de la Guerre Froide.
" J'aimerais mettre en perspective le procès des Khmers rouges dans une durée moyenne, sur un siècle et demi, depuis que Mouhot, courant derrière un papillon, s'est cogné la tête, a levé les yeux, découvert les temples d'Angkor. "
" Pendant plus d'un siècle, jusqu'à la fin de la Guerre froide, se donneront libre cours, dans cette Indochine ravagée, écrasée de bombes, les folies de l'Europe puis de l'Amérique, de la Russie et de la Chine. Les rêves écroulés, les actes d'héroïsme grandiose et les lâchetés immenses, les barbaries. Tout ce contre quoi voulaient lutter, à juste titre, quelques étudiants idéalistes du tiers-monde. " [ ces étudiants parisiens qui deviendront les Frères de la Révolution khmère... ]
Pas moins d'une cinquantaine de chapitres pour 250 pages denses, rythmés par les slogans de l'Angkar ( l'organisation de la Révolution ), par les notes de notre découvreur national Mouhot, par des extraits de romans de ces auteurs français ( ainsi que l'Anglais,
Graham Greene ) dont l'oeuvre est si intimement liée à leur vie, leurs choix et engagements politiques, leurs itinéraires autant géographique que humain.
" Lorsque Loti s'approche enfin des ruines d'Angkor, en 41 après HM [
Henri Mouhot ] , il sait l'immense fatigue de cette civilisation khmère, qui consent à s'offrir aux barbares de l'Occident pour se protéger du Siam à l'ouest et des Viêts à l'est. La France manipulée comme une tribu un peu stupide mais puissante et armée. Il sait qu'il est un lointain barbare perdu en Asie. Et peut-être a-t-il déjà en tête, ce soir, à My Tho, des phrases du " Pélerin d'Angkor " qu'il écrira dans dix ans. Ces phrases qui seront une terrible semence pour le jeune
Malraux, lequel sans elles peut-être n'aurait pas écrit "
La Voie royale " , ni pillé le temple comme Loti avait pillé la mosquée. C'est toujours curieux, l'histoire des hommes et de leurs livres. "
Une sérieuse connaissance de la terre et du sujet qui souligne la subtile distinction entre peuple et nationalité, un regard aigu et élargi, une conscience désabusée des paradoxes, des correspondances, des enjeux imbriqués de cette Histoire, une mémoire pour les oubliés, les aventuriers occidentaux, les populations sacrifiées. Et un style : une poétique de l'image, le vitriol des portraits, l'acuité des visions, quelques papillons noirs et suffisamment de précisions, qui ne sacrifie pas la verve narrative, pour ne pas égarer le lecteur, le perdre en chemin dans les méandres géopolitiques du Mékong.
De nombreux extraits dans ce billet pour dire cette lecture exceptionnelle qui porte si magistralement l'expression de " roman sans fiction ".
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