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Citations sur Sur le territoire de Milton Lumky (11)

Il connaissait bien les petits commerçants. Ils avaient eu la même réaction lorsque les premiers supermarchés avaient ouvert juste après la Deuxième Guerre mondiale. Et à certains égards, leur animosité l'enchantait. Elle prouvait que les gens commençaient bel et bien à se fournir dans les magasins discount ou, du moins, à connaître leur existence.
« C'est l'avenir, se répétait-il une fois encore. Dans dix ans, personne ne s'amusera plus à acheter des lames de rasoir un jour, et du savon le lendemain ; tout le monde fera ses courses une fois par semaine dans un endroit où on peut trouver de tout, depuis les disques jusqu'aux voitures. »

[Philip K. DICK, "In Milton Lumky Territory" / "Aux pays de Milton Lumky" / "Sur le territoire de Milton Lumky", années d'écriture du roman : 1958 et 1959, publication posthume, The Estate of Philip K. Dick, 1985 — traduit de l'américain par Isabelle Delord-Philippe pour les éditions Christian Bourgois-10/18 (Paris), coll. "Domaine étranger", 1992 ; traduction revue par Sébastien Guillot pour les éditions J'ai Lu (Paris), 2012 — Chapitre I, page 15]
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« Je suis facile à vivre, affirma-t-il.
— Je l'espère, dit-elle, parce que pas moi. J'ai mes humeurs. Je déprime. Quand tu es passé hier, j'avais une de mes crises de dépression. Mais tu m'as secoué les puces. » D'un mouvement primesautier, elle l'attrapa par la manche et l'entraîna en direction de l'auto. « Tu es une bonne thérapie pour moi », lui dit-elle par-dessus son épaule.

[Philip K. DICK, "In Milton Lumky Territory" / "Aux pays de Milton Lumky" / "Sur le territoire de Milton Lumky", années d'écriture du roman : 1958 et 1959, publication posthume, The Estate of Philip K. Dick, 1985 — traduit de l'américain par Isabelle Delord-Philippe pour les éditions Christian Bourgois-10/18 (Paris), coll. "Domaine étranger", 1992 ; traduction revue par Sébastien Guillot pour les éditions J'ai Lu (Paris), 2012 — Chapitre 4, pages 66-67]
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— Et les parents d'élèves, alors ? Ce sont eux qui terrorisent les professeurs. Ils en font renvoyer tous les jours — un seul parent en colère dans le bureau du directeur a davantage de poids que tous les syndicats d'enseignants du monde. Tu sais pourquoi j'ai quitté l'enseignement ? » Elle s'arrêta de marcher pour rajuster son chemisier. « On m'a demandé ma démission. Je n'avais pas le choix. A cause de mes opinions politiques. C'était en 1948. Pendant les élections. J'avais adhéré au Parti progressiste, je militais beaucoup pour Henry Wallace. C'est quand la question du renouvellement de mon contrat s'est posée qu'ils m'ont mise au courant. Bien sûr, je leur ai demandé des explications. » Et ils me les ont données. Je n'ai donc pas fait d'histoires. C'était ma faute. Et plus tard, j'ai signé cette maudite pétition pour l'Appel de la paix de Stockholm. C'est Walt qui m'y a poussée. Lui aussi était très actif au sein du Parti progressiste. Bien sûr c'est du passé tout ça.
— Je n'en ai jamais rien su, dit-il.
— Des parents se sont plaints que j'enseignais ce qu'ils appelaient le "mondialisme" en classe. J'avais des documents des Nations unies. Et quand ils ont mené leur enquête, ils ont découvert que j'étais inscrite au IPP [1]. Et voilà ! C'est comme si je parlais d'une autre époque, celle de Hoover [2] et du WPA [3] . J'en ai souffert quelque temps mais c'est du passé à présent. Je suppose que je pourrais me remettre à enseigner. Peut-être pas en Idaho, mais dans un autre Etat, comme la Californie. Ils ont tellement besoin de professeurs de nos jours. C'est tout le système scolaire qu'ils ont détruit avec leurs chasses aux sorcières... Ils ont rendu les enseignants si timides, ce n'est pas étonnant qu'on n'enseigne plus rien. Un professeur qui osait ouvrir sa bouche sur l'éducation sexuelle, la contraception ou la bombe atomique se faisait renvoyer.
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[1] "International People Party". Parti populaire international, d'obédience trotskiste.
[2] Herbert Clark Hoover, président des Etats-Unis de 1928 à 1932.
[3] "Work Projects Administration". Administration des Grands Travaux, fondée par le Président Roosevelt pour lutter contre les effets de la crise économique de 1929.

[Philip K. DICK, "In Milton Lumky Territory" / "Aux pays de Milton Lumky" / "Sur le territoire de Milton Lumky", années d'écriture du roman : 1958 et 1959, publication posthume, The Estate of Philip K. Dick, 1985 — traduit de l'américain par Isabelle Delord-Philippe pour les éditions Christian Bourgois, coll. 10/18 (Paris), 1992, traduction revue par Sébastien Guillot pour les éditions J'ai Lu (Paris), 2012 — Chapitre 7, pages 128-129]
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Toute sa vie, on lui avait glissé à l'oreille que son frère Frank était plus brillant que lui.
Et à l'évidence, pensait-il, c'était vrai. « Il suffit de voir où en est Frank . Et où moi j'en suis. »
Mais Bruce avait beau s'y efforcer, il ne parvenait pas à se sentir découragé. « J'aime ça, se disait-il. J'en tire un grand plaisir... Ça me plait vraiment. Il y a là une certaine satisfaction, une forme d'ordre, une unité. » Qu'une figure de sa vie passée parvienne à le ramener ainsi en arrière lui donnait le sentiment que toutes ces années n'avaient pas servi à rien, en fin de compte. A l'époque, il avait bel et bien été dans l'incapacité de s'aider lui-même. Il se contentait d'imiter les autres. Il jouait aux billes après l'école ; lui aussi. Le samedi, ils faisaient la queue pour le film réservé aux enfants au Palais du cinéma Louxor ; lui aussi, même si le film était minable. Ces années répétitives, vaines, avaient été si ennuyeuses que, maintes fois, il avait senti le désespoir s'emparer de lui. Qu'est-ce que tout cela signifiait ? Qu'est-ce qu'il en avait tiré ? Rien, apparemment.

[Philip K. DICK, "In Milton Lumky Territory" / "Aux pays de Milton Lumky" / "Sur le territoire de Milton Lumky", années d'écriture du roman : 1958 et 1959, publication posthume, The Estate of Philip K. Dick, 1985 — traduit de l'américain par Isabelle Delord-Philippe pour les éditions Christian Bourgois, coll. 10/18 (Paris), 1992, traduction revue par Sébastien Guillot pour les éditions J'ai Lu (Paris), 2012 — Chapitre 4, pages 72-73]
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Environ une heure plus tard, ils rentraient à Pocatello. Un enterrement leur bloqua alors le passage ; phares allumés, des voitures défilaient avec arrogance sous leur nez les unes après les autres, protégées par des agents de police arborant uniformes et casques rutilants. Milt observa tout d'abord la scène en silence derrière son volant, puis il se mit à injurier les véhicules. «Regarde-les, dit-il en s'interrompant. Ça doit être le maire. » Les voitures , luxueuses et flambant neuves pour la plupart, s'engageaient dans ce qui ressemblait à un parc public mais qui était sans doute le salon mortuaire le plus chic de la ville. « Cette maudite rosse puante de maire de Pocatello... » Il éleva la voix. « Regarde-moi les casques vernis de ces flics ! On se croirait en Allemagne nazie. » Baissant sa vitre, il cria d'une voix forte, en pleine rue : « Espèces de sales SS, et qui se pavanent avec ça ! »
Les forces de l'ordre ne lui prêtèrent aucune attention. Le dernier véhicule de la procession funéraire passa enfin devant eux ; les policiers jouèrent de leur sifflet et la circulation repartit.

[Philip K. DICK, "In Milton Lumky Territory" / "Aux pays de Milton Lumky" / "Sur le territoire de Milton Lumky", années d'écriture du roman : 1958 et 1959, publication posthume, The Estate of Philip K. Dick, 1985 — traduit de l'américain par Isabelle Delord-Philippe pour les éditions Christian Bourgois, coll. 10/18 (Paris), 1992, traduction revue par Sébastien Guillot pour les éditions J'ai Lu (Paris), 2012 — Chapitre 11, page 210]
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« Dire que je suis né dans une bâtisse aussi délabrée », se dit-il en poussant la grille.
Un chien se mit à hurler dans l'arrière-cour. Bruce aperçut une lumière jaunâtre derrière les stores des fenêtres du séjour, d'où braillait la télévision. Devant le garage en ruine se trouvait la même carcasse rouillée inutile d'une Dodge 1930 ; Bruce s'était souvent amusé dedans dans son enfance.
« J'habitais ici quand j'allais à l'école primaire Garret A. Hobart. »
Les fenêtres de la cave étaient couvertes de toiles d'araignée ; l'un des carreaux présentait une fissure qui avait été bouchée au moyen d'un chiffon. Son père ne dormait donc plus en bas, maintenant que lui et Franck avaient quitté la maison. Il devait avoir pris une de leurs anciennes chambres à l'étage.
Jadis, son père dormait le jour, se levait à 22 heures et soulevait la trappe pour faire une brève apparition, le temps de se raser et de manger quelque chose , avant de partir à son travail. Dans la journée, il se reposait sous leurs pieds, sous le plancher. En compagnie des bocaux d'abricots, des vieux meubles et des rouleaux de fil électrique.
Le matin, de retour à la maison, son père tapait ses vêtements pour en faire tomber la poussière blanche dont il était recouvert ; dans son emploi à la Boulangerie Blanche-Neige, il restait constamment enfoui dans la farine jusqu'aux coudes. Ensuite dans la cave, il se plongeait dans une autre poussière blanche : celle du plâtre, due à son éternel bricolage de nouvelles cloisons. Il avait l'intention d'aménager plusieurs pièces dans la cave, d'installer un appartement indépendant, avec W.-C. et cabinet de toilette, qu'il pourrait louer. La guerre avait mis un terme à son approvisionnement en matériaux. Dehors, le long de l'allée, des rouleaux de fil barbelé et des tas de panneaux de contreplaqué rouillaient et pourrissaient sous les fientes d'oiseaux. Des sacs de ciment s'humidifiaient et se désagrégeaient, hérissés par endroits de maigres herbes. Avant d'aller se coucher vers 14 heures, son père sciait du bois dans la cave, remplissant ses poumons de sciure. Consciencieusement, il inhalait poussière de bois, de farine, de plâtre, plus, en été, le pollen des champs.

[Philip K. DICK, "In Milton Lumky Territory" / "Aux pays de Milton Lumky" / "Sur le territoire de Milton Lumky", années d'écriture du roman : 1958 et 1959, publication posthume, The Estate of Philip K. Dick, 1985 — traduit de l'américain par Isabelle Delord-Philippe pour les éditions Christian Bourgois, coll. 10/18 (Paris), 1992, traduction revue par Sébastien Guillot pour les éditions J'ai Lu (Paris), 2012 — Chapitre 8, pages 157-158]
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Au coucher du soleil, un air âcre en provenance du lac vint souffler dans les rues désertes de Montario, dans l'Idaho. Des nuées de mouches jaunes aux ailes effilées l'accompagnaient, s'écrasant contre les pare-brise des autos en circulation. Les conducteurs s'efforçaient de les chasser à coups d'essuie-glaces. Tandis que les réverbères continuaient à illuminer Hill Street, les magasins fermèrent un à un jusqu'à ce qu'il ne reste plus que les drugstores d'ouverts, un à chaque bout de l'agglomération.

[Philip K. DICK, "In Milton Lumky Territory" / "Aux pays de Milton Lumky" / "Sur le territoire de Milton Lumky", années d'écriture du roman : 1958-1959, publication posthume, The Estate of Philip K. Dick, 1985 — traduit de l'américain par Isabelle Delord-Philippe pour les éditions Christian Bourgois-10/18 (Paris), coll. "Domaine étranger", 1992 ; traduction revue par Sébastien Guillot pour les éditions J'ai Lu (Paris), 2012 — Chapitre I, page 9 : "incipit"]
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— Walt, mon mari – je veux dire mon ex-mari –, vivait dans la hantise qu'un de nous n'attrape une dysenterie amibienne au cours de l'été que nous avons passé à Mazatlan. C'est très grave, paraît-il. Parfois même fatal. Vous êtes déjà allé là-bas ?
— Non.
— Vous devriez essayer un jour.

Bruce avait son idée sur Mexico ; il avait discuté avec deux types qui étaient partis de Los Angeles pour passer la frontière à Tijuana. Leurs histoires avaient fait naître en lui des images de filles en maillot de bain et de côtes de bœuf à 40 cents dans de bons restaurants, les meilleures chambres d'hôtel à 2 dollars la nuit, une pléthore de personnel. Pas de taxe sur le whisky et tous les plaisirs de la terre à saisir séance tenante, en pleine rue. L'essence à seulement 20 cents le gallon, ce qui lui plaisait particulièrement vu qu'il en consommait une sacrée quantité dans ses tournées professionnelles. Sans compter qu'on trouvait dans les magasins de vêtements des lainages anglais à des prix défiant toute concurrence.
Effectivement, il fallait faire attention à ce qu'on mangeait, mais si on évitait la nourriture locale, tout se passait bien.

[Philip K. DICK, "In Milton Lumky Territory" / "Aux pays de Milton Lumky" / "Sur le territoire de Milton Lumky", années d'écriture du roman : 1958 et 1959, publication posthume, The Estate of Philip K. Dick, 1985 — traduit de l'américain par Isabelle Delord-Philippe pour les éditions Christian Bourgois-10/18 (Paris), coll. "Domaine étranger", 1992 ; traduction revue par Sébastien Guillot pour les éditions J'ai Lu (Paris), 2012 — Chapitre 2, page 29]
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Après avoir roulé sans but pendant une heure, il fit une halte dans un drive-in pour s'acheter un milk-shake à l'ananas. Pendant le long trajet sous le soleil, il trouvait que ça l'aidait à oublier la monotonie de la route ; le goût lui évoquait les filles, la plage et la mer bleue, les transistors et les bals, le temps insouciant du lycée. Ce qu'il en avait connu.
Dans la plupart des autos qui entouraient la sienne, il apercevait des adolescents. Des gosses avec leurs petites amies garés dans des coupés Mercury, qui écoutaient leur autoradio en mangeant des hamburgers et sirotant des milkshakes.

[Philip K. DICK, "In Milton Lumky Territory" / "Aux pays de Milton Lumky" / "Sur le territoire de Milton Lumky", années d'écriture du roman : 1958 et 1959, publication posthume, The Estate of Philip K. Dick, 1985 — traduit de l'américain par Isabelle Delord-Philippe pour les éditions Christian Bourgois-10/18 (Paris), coll. "Domaine étranger", 1992 ; traduction revue par Sébastien Guillot pour les éditions J'ai Lu (Paris), 2012 — Chapitre I5, page 275]
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Vous avez déjà vu une chaussée aussi abominablement défoncée ? Dans n'importe quel autre État, ce serait un chemin vicinal à l'usage des paysans et de leurs carrioles de melons. Ici, c'est la grande route fédérale. Et tous ces insectes autour de Montario ! Ces nuées de saloperies silencieuses qui ne pensent qu'à vous piquer... vous en avez déjà tenu une de près pour l'observer ? Ces saletés ont l'air de ricaner. Comment un insecte peut ricaner alors qu'il n'a ni dents ni gencives ni lèvres, ça me dépasse...
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