L'avenue Révolucion semblait être celle de la jeunesse. Outre les enfants du pays, des troupes de jeunes Gringos foulaient joyeusement le sol de ce territoire libre. En Californie, ils sont mineurs jusqu'à 21 ans et, bien qu'ils trouvent de l'opium et des armes de guerre à chaque coin de rue, ils ne peuvent entrer dans un bar et commander une bière, encore moins visiter les antres où la vie danse, une fleur argentée sur chaque téton. Ils viennent donc à Tijuana et cela se comprend. Encore que comprendre soit une chose, supporter en soit une autre. Si cela ne tenait qu'à moi, je les enverrais tous travailler pendant 6 ans dans une usine de sous-traitance, puis pendant quatre autres, ils iraient gagner leur vie aux champs; je les obligerais à s'habiller comme des êtres humains, je leur imposerais le voeu de silence et les récalcitrants seraient muselés. Telles sont les méthodes pédagogiques de Carlos Hernandez.
Au millier de livres hérités de mon père -"Lis, mon garçon. Le secret de l'échec de l'humanité est contenu dans les livres"- s'ajoute un autre millier que j'ai moi même rassemblés en 25 ans. Certes, il y en a beaucoup que je n'ai pas lu faute de temps, mais cela me rassure de savoir que ces étagères abritent la plus grande enquête sur les crimes commis durant le million d'années écoulées ainsi qu'une tentative de réponse à la grande interrogation des hommes: si la vie est brève comme un soupir, pourquoi nous obstinons nous à la vivre de la pire façon, à être si irrémédiablement cons et à en baver autant?