Il m'aura fallu plusieurs jours pour digérer cette lecture et me forger une opinion sur ce livre que, au bout du compte, je recommande.
Mais je dois commencer par une mise en garde : la dernière de couverture ne donne pas une image fidèle de ce roman qui vaut le détour à condition de savoir ce à quoi l'on s'engage, car il n'est pas à mettre entre toutes les mains.
Vous vous attendez à lire une sorte de huis-clos impliquant trois femmes enfermées dans un appartement dans une ville, dans un pays en état de siège, avec une fenêtre s'ouvrant sur l'étranger grâce à la diaspora kosovare en exil en Europe et au-delà ? Genre un "Fenêtre sur cour".
Ce n'est pas faux.
Mais l'essentiel, en tout cas en termes de charge émotive, n'est pas là.
L'essentiel est dans ce qui se passe hors de l'appartement, quand il faut en sortir.
Dans les rues autour, dans les bâtiments avoisinants, sur les routes de l'exode dans la campagne kosovare.
Une population civile sans défense cherchant à survivre entre, d'une part, les bombes de l'OTAN qui ne les visent pas, "dommages collatéraux", et une armée serbe et des milices lâchées telle une meute sur le Kosovo avec pour mission de le vider par tout moyens de tout élément non serbe.
Et voilà le lecteur confronté à toute l'horreur d'une opération de "nettoyage" ethnique avec des scènes d'une violence indicible et particulièrement insupportable de part leur absurdité et leur injustice, visant essentiellement des femmes et des enfants. Mieux vaut être prévenu.
La narration juxtapose de telles scènes à vous retourner les tripes et des scènes plus légères, du moins le pense-t-on.
Un flash-back, une conversation avec un proche à l'étranger, une tranche de vie d'une médecin kosovare dont le travail consiste à soigner des serbes, une queue dans laquelle une mère serbe "adopte" une jeune kosovare pour lui sauver la vie et lui donner accès au précieux pain, des journalistes occidentaux prêtant leur téléphone à des réfugiés...en contrepartie de leur récit qui fera vendre du papier en Europe.
Mais la violence n'est jamais loin. Dans les mots, les informations reçues de l'étranger, les "ruses" des femmes kosovares pour échapper aux viols, une caméra qui tourne de manière indécente, une colonne de miliciens qui déboule de nulle part...
Cette juxtaposition d'un salon genevois et d'un charnier kosovar, d'un milicien transportant des cadavres (ou presque) et s'émouvant de ne pouvoir suivre l'actualité du festival de Cannes impose au lecteur de se remémorer: Mais que faisais-je à cette époque, durant ces journées marquées dans nos journaux télévisés par le bilan quotidien des frappes de l'OTAN,
Une petite guerre parfaite, pendant qu'à moins de 3 heures de vol de Paris des hommes, des femmes et des enfants perdaient la vie dans des conditions atroces ?
Ces quelques mois, tellement courts dans nos vies bien rangées, et tellement longs pour une population qui a peur et peut mourir à chaque instant, ou pire car parfois la mort semble préférable.
Par son roman,
Elvira Dones contribue à entretenir la mémoire de ce qui s'est passé en 1999 aux portes de l'Europe et nous invite à relativiser nos problèmes de populations privilégiées du seul fait que nous vivons en paix.
Espérons qu'il contribuera aussi à permettre à la famille humaine une prise de conscience collective de la responsabilité qu'elle a de protéger chacun de ses membres et de cesser de tergiverser pendant des mois voire des années.
Cette lecture trouve un écho très fort dans l'actualité. Comment ne pas faire le parallèle avec les événements au Darfour ou en Syrie ?
Comment est-il possible d'encore hésiter à intervenir de manière sérieuse pour mettre fin à de telles exactions, notre humanité nous l'impose, et tant pis si des soldats, dont c'est le métier librement choisi, doivent mourir. Ils l'auront fait pour sauver l'honneur de l'humanité et d'innocents.
Lu dans le cadre de Masse Critique. Merci à Babelio et aux éditions Métailié.