Ce printemps capricieux m'arrache à la tiédeur de chez moi, à une langueur bienheureuse qui me fait accepter de bon gré les giboulées cinglantes, les gelées blanches matinales, ultime sillage laissé par le manteau froid de l'hiver en déroute.
Réceptive aux brusques embellies tièdes, à l'affolement général des plantes en délire, des insectes hésitants au seuil de l'affairement du plein soleil, je ne cesse de tenter des sorties vite douchées de frais. Je ne tiens plus en place.
Ce matin pointe un soleil pimpant. dans un joli ciel bleu pâle, aucun nuage ne menace... Vite ! Dehors !
Une grande promenade a rosi mes joues, gelé mon nez carminé. Avec mes légères bottes de caoutchouc, j'ai la démarche dansante et souple d'une petite fille à l'école buissonnière. Où est la femme alanguie, où sont ses efforts pour supporter la vie, acceptée du bout des lèvres ?
La petite lutine est entière maîtresse des lieux autrefois dévastés. Elle en profite, me suggère de continuer la promenade dans un autre monde.
Depuis mon incursion dans les ténèbres, l'autre jour, j'ai savouré sans vergogne la légèreté paradoxale remontée du gouffre terrible. J'ai tourné et retourné le souvenir de cette plongée inattendue, les éléments horribles de cette vision ne m'ont laissé que soulagement, allègement ...
Une lourde peine familière m'accompagnait dans ces tréfonds. J'y ai vu, l'incompréhensible, l'insensé, l'indicible.
Bouleversée, j'en suis revenue soulagée, contre toute attente.
Et l'incroyable nuit qui a suivi ! Et l'amour...
je vis cette horreur intensément, de l'intérieur. Je meurs : mon sang, ma vie, mon âme se délitent dans le néant.
L'autre petite forme blanche est inerte. Immobile et froide. Seule sa main solitaire, éperdue, a glissé doucement vers son ventre, d'où jaillit un gros cordon.
Elle l'agrippe, le serre, si fort que s'arrêtent les pulsations. Le foetus se décolore, ses membres se détendent comme si la vie le quittait. Cette petite mort le sauve : la main inerte a libéré le cordon qui, dans un soubresaut, reprend ses pulsations vitales.
Cette impuissance devant la mort de la moitié de son être, ce suicide intra-utérin inabouti, je les reçois comme un douloureux cadeau, comme une vérité révélée, lourde à porter, mais indispensable.
Autour de la petite âme solitaire à la recherche infinie de ce qui lui manque, les ténèbres se resserrent.. Dans un désir de réconfort, je tends vers elle mes bras vides, et n'enlace que des lambeaux évanescents de noirceur déserte.[...]
D'une vapeur blanche fugitive et glacée,sortent ces mots distincts :
---Je vivrai, je vivrai ! Il ne reste que ton corps, je l'habiterai... Pour toujours !
La ténuité des vibrations de ce sifflement haineux et la détermination inouïe de ces paroles résonnent longtemps à mes oreilles.
Vide, exténuée, bouleversée, j'oublie la porte et tombe dans un sommeil comateux.