Dix-huit ans, état mélancolique limite toxique.
Trente-trois ans, âge significatif s’il en est, renouveau psychologique.
Quarante-cinq ans, je revendique mon état poétique et mélodique.
Cinquante ans, la vie est ludique, je muscle mes zygomatiques !
Oui, j’aurais pu commencer cette petite nouvelle avec ce genre de phrases fatidiques, thérapeutiques, tragicomiques ! Mais non ! De plus, j’avais ce titre énigmatique avant la nouvelle… cela ne collait pas. Je recommence...
Je n’avais peut-être pas deux ans. En tout cas, c’est mon premier souvenir. Papa et maman se sont disputés, c’est cyclique. Papa est encore parti en claquant la porte, la maison résonne d’une secousse sismique. Après les cris, on reprend son souffle pendant quelques secondes d’un silence traumatique.
Ma sœur aînée, quatre ans, pleure et crie, quasi épileptique. Bon, il y a de quoi, papa est parti, maman est en pleurs. Maman s’assied en bas de l’escalier, sur la deuxième marche, et prend ma sœur vampirique dans ses bras pour consoler son chagrin volcanique.
Et moi, où suis-je ? Eh bien, là... et pas là. Ma sœur a l’émotion symphonique, limite tyrannique et maman, qui balance entre deux états, spasmodique et psychodramatique est si malheureuse que je ne me sens pas le droit de leur imposer ma propre émotion, à elles qui n’arrivent pas à comprendre et gérer la leur ; ni celui de quémander un câlin identique, de toute façon, il n’y a plus de place, l’escalier n’est pas élastique. Je voudrais qu’on m’explique, mais je ne demande rien. Je ne dis jamais rien, je suis d’un silence narcoleptique. Et puis, classique, papa est revenu après avoir fait le tour du quartier.
Véridique : ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort...
Dans les premières années de ma vie, rue Michel de Montaigne, quartier des Minimes à Toulouse, mes émois étaient en sépia, mes confusions en noir et blanc, mes peurs en rouge, mes découvertes en technicolor, et mes amours en or.
(…)
Aux informations télévisées, le monde nous était présenté scindé en deux couleurs primaires et opposées.
Les États-Unis étaient bleus ; l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, rouge.
Giscard d’Estaing et le baron Empain, bleu ; la Fraction armée rouge allemande, rouge.
Aldo Moro, bleu ; les Brigades rouges, rouges.
Cela entrainait beaucoup de questions que je n’osais pas poser, comme : le téléphone rouge de Jimmy Carter était-il bleu chez Leonid Brejnev ?