Citations sur Puissance de la douceur (80)
La douceur est l'occasion d'une fête sensible. Le tact et le tactile, le toucher, le goût, les parfums, les sons en ouvrent l'accès. Si elle peut inclure de la violence dans la fragilité, être belle, érotique, entrer dans une danse sacrée avec le corps de l'autre désiré, elle n'est pas sans secret. C'est-à-dire sans liberté jusqu'au dernier instant.
La douceur a de multiple affinités avec la lumière. Son rayonnement, son intensité, sa diffusion, ses métamorphoses, sa nuit. S'il fallait la figurer dans l'espace, elle serait une courbe, en mouvement, même infime. La musique en serait la traduction la plus immédiate peut-être, avec le toucher.
La douceur fait apparaître l'écart entre ce qui est là et qui échappe.
Le charnel et le spirituel, mais pas seulement, aussi tous les écarts, les ellipses, dans la langue, dans le visible, dans la volute baroque, dans la doublure de l'anamorphose.
La douceur est ce qui nous permet d'aller au-devant de cet étranger qui s'adresse à nous, en nous. C'est la voix que le poète anime, et recueille.
C'est une part du monde sauvage déposée là.
Attenter à la douceur est un crime sans nom que notre époque commet souvent au nom de ses divinités : l'efficacité, la rapidité, la rentabilité.
On tente de la rendre désirable, échangeable, institutionnalisable, pour qu'elle ne bouleverse pas tout. On tue la douceur par la douceur. On en fait une drogue frelatée dont on veut nous inculquer le besoin.
Il n'y a pas de seuil à la douceur, plutôt une continuelle invitation à être contaminée par elle, qui peut se briser en un instant.
Rire, chanter, aimer - sont des actes puissants, dionysiaques, expressions d'une vie authentique. La douceur implique le corps, c'est-à-dire l'idée et la sensibilité d'un corps que la douceur aurait éduqué, élevé, anobli. Sa puissance distillée par les sens.
La douceur de vivre a posé son empreinte sur la Renaissance et trouvé son apogée au XVIIIe siècle avec l'art de la conversation, le partage de l'esprit, le secret de la fête charnelle, le goût de la liberté.
Ce fut une façon de penser le monde, d'être en amitié avec le corps érotique et pensé, ce fut un art des jardins, de l'architecture, de la lumière.
La merveille n'était pas seulement un fantasme mais une manière d'éprouver le réel.
A chaque époque, la douceur de vivre s'est incarnée dans le choix de vie de certains êtres ou certaines communautés, mais souvent dans la clandestinité.
On ne regarde pas la douceur de vivre avec la bienveillance attendue, car elle contient un irréductible attrait pour ce qui se risque en dehors des normes, des obligations et des jugements imposés ; elle est une révérence à ce qui dans le principe même de la vie ne s'oblige pas.
La douceur est ce qui retourne l'effraction traumatique en création.
Ce qui sur la nuit hantée pose de la lumière, sur le deuil un visage aimé, sur l'effondrement de l'exil une promesse de rive où se tenir.
C'est ainsi qu'entre la lumière, empreinte plus forte que l'envie d'y revenir, plus forte que l'objet perdu de la mélancolie ou du renoncement. (...)
La douceur est l'une des conditions de cette reconstruction.
Dessous est la douceur, tapie.
Sous chaque chose regardée, juste la ligne en dessous, c'est là, sous chaque chose touchée, chaque mot prononcé, chaque geste commencé, comme la ligne mélodique qui accompagne une ligne chantée.
La douceur a de multiples affinités avec la lumière.
Son rayonnement, son intensité, sa diffusion, ses métamorphoses, sa nuit.
(...) La musique en serait la traduction la plus immédiate peut-être, avec le toucher. Le contraste des lignes mélodiques s'accorde au rythme, à la voix et à l'instrument. (...)
L'image est une autre ouverture vers la douceur.
L'oubli de l'étymologie n'est pas une simple question de manque de culture, mais celle d'un rapport à la mémoire collective.