AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782890915961
320 pages
Éditions du Remue-Ménage (09/04/2018)
4.19/5   44 notes
Résumé :
Malheureux, désemparés, culpabilisés... À en croire certains, les hommes traverseraient une crise de la masculinité dans les sociétés occidentales hyper féminisées. De quoi cette prétendue « crise » est-elle le symptôme ? Dans une enquête éclairée et nécessaire, Francis Dupuis-Déri discute l’origine et la signification politique de cette rhétorique qui a pour effet de susciter la pitié envers les hommes, de justifier les violences masculines contre les femmes et de ... >Voir plus
Que lire après La crise de la masculinité : Autopsie d'un mythe tenaceVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Le suprémacisme mâle et son discours contre l'égalité

« le discours de la crise de la masculinité est à ce point répandu qu'il s'agit aujourd'hui d'un « cliché » ou d'une « sorte de lieu commun », comme le soulignent des spécialistes de la condition masculine en Australie, au Canada, aux États-Unis, en France, au Royaume-Uni et ailleurs ». En introduction, Francis Dupuis-Déri revient sur « cet homme en crise », sur le discours qui fait des hommes des victimes des féministes, sur la soi-disant indifférenciation et l'égalitarisme. Un discours qui ne vient pas seulement de la droite et de l'extrême droite. le discours de crise de la masculinité « (ré)affirme perpétuellement une différence et même une opposition entre le masculin et le féminin, mais par des notions floues et mal définies, des stéréotypes et des clichés, dont la « psyché mâle », l'« identité masculine innée », la « nature masculine, autant de concept empruntés de manière aléatoire à la psychanalyse ». Un homme n'est donc (surtout) pas une femme,… qui ne serait peut-être pas vraiment un être humain ! Il faut conforter les places sociales pour les un es et les autres, dans un ordre de « complémentarité » et assurément d'inégalité revendiquée. « le discours de la crise de la masculinité est donc fondamentalement misogyne, puisque ce qui est féminin est présenté comme un problème, une menace, un élément toxique qui plonge le masculin en crise, qui le détruit, qui le mue en son contraire le féminin ». Un discours de mobilisation sociale des hommes.

Un mouvement social, un mouvement d'hommes, pour les droits des pères, hoministe ou masculiniste, « Face au mouvement féministe qui milité pour la liberté et l'égalité des femmes et des hommes, le masculinisme est un contre-mouvement qui cherche à freiner, arrêter ou faire reculer le processus d'émancipation des femmes, au nom des « droits » et surtout des intérêts des hommes par rapport aux femmes ».

Un mouvement transnational, parfois aux dimensions terroristes (par exemple à l'Ecole polytechnique de Montréal), dont des membres n'hésitent pas à qualifier le féminisme de « menace extrême ».

Comme le souligne l'auteur, le discours sur la crise de la masculinité est en décalage avec « la réalité des rapports entre les hommes et les femmes », la sur-représentation des hommes dans les instances de pouvoir, les différences salariales, le travail (gratuit) des femmes pour accomplir des tâches parentales et domestiques, la double journée de travail des femmes, les violences et les viols qu'elles subissent. En réalité le monde est encore un « boys' club » où la solidarité entre mâles vise à maintenir le statu quo et refuser toute modification permettant une réelle égalité…

Francis Dupuis-Déri aborde aussi la valorisation des caractéristiques dites masculines, les modèles masculins conventionnels, les « batteurs, violeurs, tueurs de femmes » célèbres et célébrés…

« Ce livre présente ce discours dans l'histoire et dans l'actualité, s'intéresse à sa signification politique et sociale et à ses effets possibles sur le mouvement féministe et sur les rapports entre les hommes et les femmes ».



Dans un premier temps, Francis Dupuis-Déri interroge, Crise ou discours de crise ?, la récurrence dans le temps et l'espace, Représentation ou réalité ?, le discours de la crise, la transformation du « contrôle des ressources et des bénéfices concrets tirés du travail des autres » en question « de caractère et de force psychologique », les effets réels du discours, la mise en mouvement d'un ensemble de forces et d'acteurs socio-politiques, « le discours de la crise de la masculinité est un outil pour mobiliser les hommes (et possiblement certaines femmes) contre la menace que représenterait le féminisme et les femmes émancipées, même si les hommes sont encore clairement dominants dans les sociétés », la réaffirmation d'une « identité masculine définie en fonction de critères conventionnels », la logique suprémaciste, le mythe de la pureté de l'identité et le refus de toute hybridation, l'encouragement au mépris des femmes, la haine contre les femmes en général et des féministes en particulier, la panique – la thèse de la pente fatale – face à la promesse de l'égalité, « Il est donc possible de déclarer la fin des hommes parce qu'ils disent qu'ils se sentent assiégés par les femmes, même s'ils ne le sont pas du tout »…

L'auteur revient sur la petite histoire de la masculinité en crise, entre autres, ses expressions survenant « toujours en réaction à l'attitude de femmes qui remettent en cause un tant soit peu quelques normes patriarcales », l'amalgame entre discours sur la crise de la masculinité et discours nationalistes et racistes, Rome avant l'ère chrétienne, la dérive misogyne de l'Eglise catholique vers le XIIe siècle, la loi salique, la recherche d'une nombreuse population, « forte natalité et donc contrôle des corps des femmes », les premiers hommes accoucheurs « comble de la prétention masculine », la mobilisation des institutions au profit des hommes, la distinction des deux sexes, Jean Jacques Rousseau (en complément je souligne les travaux de Geneviève Fraisse), les crises de la masculinité vers 1900, la conquête de l'Ouest aux Usa, la guerre de sécession et la panique « à la fois raciste et sexiste », la soi-disant influence néfaste de l'éducation livresque, la ségrégation scolaire, les notables français à la rescousse du patriarcat, « le discours de la crise de la masculinité de l'époque est aussi une réaction face aux mobilisations des féministes qui tenaient des assemblées, organisaient des congrès, manifestaient pour le droit de voter et d'être élues, pour « l'amour libre » et la contraception et pour la protection des prostituées », la mâle inquiétude face aux premières femmes obtenant le statut d'avocate et autres professions de prestiges, l'importance de « consolider la binarité des sexes et hétérosexualité », l'antiféminisme et le sexisme, « le féminisme était alors accusé de détruire la famille, car il prônait le travail salarié des femmes, il détournerait celles-ci de la maternité et détruirait la différence entre les sexes », les politiques natalistes après la première guerre mondiale, en Allemagne la nation contre l'émancipation des femmes, la crise de la masculinité et la masculinisation des femmes, l'antisémitisme et la répulsion contre les femmes émancipées…

L'auteur discute aussi des soi-disant « Nations matriarcales », du retournement des assassins en victimes, des guerres et des génocides, de la déresponsabilisation des hommes, « Même si les masculinistes s'amusent à traiter les féministes de « féminazis », il n'y a jamais eu un tel génocide féministe – jamais », des justifications des mesures de coercition par des gouvernements autoritaires, de ceux qui sont considérés soit castrés ou super-virils, du recyclage des discours racistes et masculinistes au gré des générations, de la valorisation de l'identité « par les mêmes références à l'action, à la force et à la violence », de la revendication de la suprématie mâle, de cette crise permanente – un contresens en soi – qui permet de poursuivre certains objectifs « discréditer les femmes et présenter leurs avancées comme une menace, un scandale, une catastrophe, une monstruosité ; réaffirmer une division binaire des sexes assignant des fonctions supérieures aux hommes, et mobiliser ou développer des ressources pour les hommes ». Il convient de connaître la longue histoire de la rhétorique masculine qui prétend que les femmes sont trop influentes et dominatrices…

Le troisième chapitre est consacré au mouvement des hommes des années 1960 à aujourd'hui, les premières organisations créées par des hommes pro-féministes, les lignes de tension et les éléments contradictoires, les évolutions du pro-féminisme anti-sexiste au masculinisme misogyne et antiféministe, « Il faut dire que la non-mixité pour les dominants n'a pas la même signification politique ni le même effet que pour les subalternes », la tangente prise par le « mouvement des hommes ». L'auteur détaille les tendances masculinistes et leur perspective « défensive » des « droits des hommes », leur souvent anti-féminisme implicite, le discours haineux envers les femmes et les féministes, les réseaux néo-nazis et la place du déclin de la nation ou de la « race », les suprémacistes blancs affirmant « que l'égalité et les politiques antidiscriminatoires représentent des menaces pour la supériorité naturelle des Blancs et aboutissent fatalement au génocide de la « race » blanche », sans oublier l'odieuse expression de « féminazisme »…

Francis Dupuis-Déri revient sur l'« identité masculine », l'idéologie de détermination des identités masculines et féminine par la configuration morphologique des organes génitaux, « Les envolés lyriques et théories farfelues au sujet de nos organes génitaux ne servent qu'à justifier l'accaparement des fonctions politiques, économiques, sociales et culturelles différentes et inégales pour les hommes et les femmes, qui ont pourtant les mêmes capacités humaines », le mythe de l'« âge des cavernes » et des spécialisations des rôles sexués dans la préhistoire, les références « à Dieu, à la préhistoire, au pénis ou aux hormones » et à la définition d'une identité masculine « puissante et dominante, active et violente », les réponses féministes en terme de lutte pour l'égalité et la liberté des femmes…

« DE TOUTES LES TENDANCES du Mouvement des hommes contemporains, celle des groupes de pères divorcés ou séparés est sans doute la plus influente et la plus militante ». Francis Dupuis-Déri détaille le profil des groupes de pères, le lobbying pour obtenir une loi imposant la garde alternée, la dénonciation de l'« Etat féminofasciste », les procédures judiciaires, leur médiatisation comme en égalité avec les mobilisations des femmes pour leurs droits…

Dans le chapitre suivant, l'auteur discute de l'identité masculine et du travail salarié dans l'oubli des difficultés des femmes (il rappelle à juste titre les grèves déclenchées contre le travail salarié des femmes), des Angy White Men, « Ils se prétendaient floués par les femmes et les immigrants qui auraient volé leurs emplois, entre autres grâce à des programmes préférentiels d'embauche », de l'inégalité persistante entre hommes et femmes, du travail gratuit de femmes pour les hommes célibataires, de la prostitution et de la suprématie mâle, de l'auto-victimisation des hommes alors « qu'ils tirent profit du travail domestique et de la sexualité des femmes ». Il insiste sur le brouillage de la compréhension sociale et le détournement de l'attention de réalités. Il rappelle aussi que les problèmes économiques et leurs effets sur les populations sont « le résultat de la libéralisation économique imposée par l'élite du pays, en grande majorité masculine ». Une sous partie est consacrée aux « marxistes et anarchistes masculinistes » (l'exemple d'Alain Badiou aurait pu être complété par le rappel de son soutien aux pires exactions de la révolution culturelle chinoise, à la dictature albanaise et aux génocidaires khmers rouges). Une histoire banale du refus de l'égalité, de Sylvain Maréchal à Joseph Proudhon, de syndicalistes révolutionnaires d'action directe du début du XXème siècle aux « célèbres philosophes anticapitalistes ».

Si cette « crise » n'a pas le mérite de la nouveauté, il convient de s'interroger sur les symptômes et les discours dans leurs formes actuelles, le remplacement de la domination de l'« épouse acariâtre » par la « femme divorcée », les discours sur la séduction et le soi-disant féminisme « puritain, antisexe et anti-homme », l'inégalité et la domination comme stimulant du désir, les difficultés scolaires des garçons mis sur le compte des femmes, les clichés de comportement dérivés ou inspirés par les comportement des animaux, le « garçon » permettant de ne pas s'interroger sur qui réellement a des difficultés, « L'école n'est pas un espace neutre », la valorisation des comportements agressifs et violents…

Francis Dupuis-Déri discute, entre autres, des suicides, de la symétrisation des violences familiales, des soi-disant responsabilités des femmes, « Les femmes ont certes gagné le droit de divorcer, mais on les accuse de tuer leur ex-conjoint si elles l'exercent », des discours masculinistes ne mentionnant pas « le racisme, l'homophobie et la transphobie comme facteurs de risque pour le suicide », de la pression sociale à se conformer au modèle hétérosexuel, « l'identité masculine conventionnelle semble faire partie du problème du suicide, et non de la solution », d'acceptation ou non de sa vulnérabilité, de l'éducation traditionnelle et machiste, de l'idée du « père sacrifié », de la division sexuelle du travail, des règlements à l'amiable dans 80% des divorces (et des 10% de jugements par défaut) et des 10% qui donnent lieu à des batailles juridiques, des conceptions conservatrices des rôles parentaux, des hommes violents considérés comme de bons pères, de l'argent qui semble bien la principale préoccupation des pères lors des divorces, des problèmes de contestation et de non-paiement des pensions alimentaires, de la référence à l'égalité bien oublieuse des inégalités existantes, de l'inégalité post-divorce, des pères qui prétendent que les enfants formulent de fausses allégations en matière de violence physique et sexuelle, de l'invention de la symétrie des hommes battus, des demandes d'arrêt de subventions aux centres d'hébergement pour femmes violentées, des contestations des lois protégeant les femmes contre les violences (ne pas oublier les exemples de l'église orthodoxe russe ou du parti d'extrême-droite Vox dans l'état espagnol), du faible nombre de femmes portant plainte, de l'emprise du conjoint, de la macabre réalité des femmes tuées par les ex-conjoints, des femmes qui ont parfois recours à la violence et même au meurtre « comme moyen de défense contre un conjoint violent », des tactiques d'occultation, de la psychologisation et du refus de l'analyse politique de tous les meurtres de femmes (féminicides), des logiques politiques de domination et de prise de contrôle, « la violence conjugale sert souvent à restreindre l'autonomie et la capacité d'affirmation des femmes dans le but d'assurer aux hommes le contrôle de leurs conjointes et de leurs enfants »…

En conclusion de ce chapitre, l'auteur souligne « La propagande de la crise de la masculinité à l'époque actuelle en Occident est traversée par quatre principaux discours, à savoir les difficultés scolaires des garçons, le suicide au masculin, les problèmes des pères lors des divorces et des séparation et la symétrie de la violence conjugale ainsi que des hommes battus », la réponse en termes de (ré)affirmation d'une identité masculine associé à quelques clichés sexistes, « Ces discours permettent de contester l'idéal féministe d'égalité entre les sexes et d'accuser les féministes et les femmes – mères, institutrices, épouses – d'être responsables de tous les problèmes des hommes »…

Dans sa conclusion, « Crise de la masculinité et refus de l'égalité », Francis Dupuis-Déri parle de l'élasticité de la notion de crise de la masculinité, de discours de propagande pour la suprématie mâle, de discours de crise plutôt que d'une réelle crise, « Les hommes ne sont pas en crise, mais ils font des crises, réellement, au point de tuer des femmes », d'égalité, « Si le masculin est synonyme de hiérarchie, de domination et d'inégalité entre les sexes, le masculin serait par essence incompatible avec l'égalité des sexes, et donc par essence antiféministe »…

Une étude remarquable à faire connaître.

Masculinité, virilité, féminité, les habits bariolés du système de genre, les travestissements tenaces d'une catégorisation et d'une hiérarchisation sociale. Les oripeaux d'identité politique, « Malgré l'illusion qui nous pousse à croire que l'identité masculine est quelque chose que nous avons en nous, il s'agit donc en fait de quelque chose que je fais et pratique avec moi et les autres, dans mes rapports matériels et symboliques avec les femmes et les autres hommes », de l'inégalité sexuée valorisée au nom de dieu, la nature, de la bandaison… « le discours sur la crise des hommes relève donc d'une attitude antiféministe, c'est-à-dire qu'il s'agit d'une rhétorique servant à freiner ou faire reculer le féminisme en discréditant, ou en le déclarant coupable de la souffrance des hommes et de tous leurs problèmes ».
Lien : https://entreleslignesentrel..
Commenter  J’apprécie          60
« La crise de la masculinité : autopsie d'un mythe tenace » est un essai d'une rare finesse, tant il est rendu accessible à tous-tes et son ambition pédagogique impeccablement atteinte. Dans cette surprenante enquête, Francis Dupuis-Déri procède au démantèlement du discours d'une hypothétique crise de la masculinité au travers duquel certains hommes affirment être dépossédés de leur identité genrée par la faute des femmes. L'ouvrage, composé en plusieurs chapitres, accoste au moyen d'une dialectique convaincante divers terrains plaidés par les hommes : la dépression masculine étudiée selon le versant historique, du moyen-âge à nos jours ; les stratégies des groupes défendant les droits des pères divorcés et l'adhésion des femmes dans une économie capitaliste et vecteure de la mondialisation. C'est à l'aide d'abondantes sources qui ne soustraient aucune perspective que l'auteur offre au·à la lecteur·rice une rigoureuse analyse et une argumentation, frisant parfois le cynisme, perspicace qui révèlent alors le postulat pragmatique d'études féministes -ainsi que ses propres recherches- soutenant bien le paradoxe entre le discours de crise et la réalité empirique. Si cet essai d'adresse à chacun·e d'entre nous, il s'avère être un redoutable outil contre les détracteur·rice·s antiféministes et un ingrédient essentiel pour une éducation féministe. Indispensable !
Commenter  J’apprécie          233
Depuis ma lecture de l'excellent "Mythe de la Virilité" d'Olivia Gazalé, la question masculine m'interpelle de deux manières. Déjà, j'ai besoin de comprendre mieux et plus en profondeur de quelle manière le patriarcat oppresse les hommes. Ensuite, la multiplication des discours masculinistes, entre autres sur les réseaux sociaux, m'interroge. Pourquoi ces discours ? Comment les comprendre ? Pourquoi ces hommes, sous prétexte de défendre leur genre, sont-ils en général dans l'attaque systématique du féminisme ? Enfin, existe-t-il, ou non, une crise de la masculinité ?

Voilà pourquoi, lorsque j'ai découvert l'existence de l'ouvrage qui nous intéresse aujourd'hui, je me suis empressée de le dénicher. Surtout que je trouvais intéressant que cet essai soit non seulement écrit par un homme, mais que ce dernier soit professeur de science politique au Canada. Bref, ça promettait une lecture passionnante…

Clair, documenté, précis et construit, "La Crise de la Masculinité" s'est révélé une lecture primordiale pour ma compréhension de l'antiféminisme. Non seulement monsieur Dupuis-Déri se penche sur cette prétendue crise de la masculinité pour comprendre si elle est réelle, mais il se penche aussi sur son fonctionnement. Tout d'abord, il nous rappelle que cette crise de la masculinité ne date pas d'hier et que l'histoire est ponctuée de ce discours. À l'antiquité déjà, Caton l'Ancien, en 195 avant J.-C réagissait à la protestation de femmes contre une loi leur interdisant la conduite de char en expliquant que « les femmes sont devenues si puissantes que notre indépendance est compromise à l'intérieur même de nos foyers, qu'elle est ridiculisée et foulée aux pieds en public ». Ou, encore, lors de la Révolution française de 1789, certains accusaient leurs adversaires d'être responsables « d'une féminisation de la France et de ses colonies ». Bref, l'auteur nous donne à voir ces crises de la masculinité à travers le temps.

Bien entendu, il analyse les arguments de ce discours d'une crise de la masculinité. Il les analyse et les abat comme un sniper. Que ce soit sur la question des suicides des hommes comme sur celle du droit de garde des enfants lors des divorces. Les chiffres sont là, les sources aussi.

Sincèrement, certains passages m'ont fait halluciner. Ainsi l'auteur rapporte qu'un député britannique, en 2017, a déclaré que c'était dommage qu'il n'ait qu'une possibilité limitée d'évoquer au Parlement des questions touchant les hommes. Or les députés étaient alors des hommes à 78 % :

"Il est donc possible d'entendre un homme se plaindre qu'il n'y a pas suffisamment de places pour les hommes dans une assemblée qui compte quatre fois plus d'hommes que de femmes." (page 27)

Plus sérieusement, "La Crise de la Masculinité" m'a permis de comprendre de quelle manière les masculinistes instrumentalisent des phénomènes réels — la différence entre le nombre de décès par suicide entre hommes et femmes par exemple — pour décrédibiliser la cause féministe sans pour autant solutionner les problèmes en question. Ou encore comment ces mêmes prétendus militants pour le droit des hommes avancent des arguments tout simplement faux — par exemple quand certains d'entre eux prétendent qu'il existe une symétrie de la violence conjugale entre les hommes et les femmes. (Bien entendu, jamais monsieur Dupuis-Déri ne prétend que les hommes victimes de violences n'existent pas.)

Cet essai est si intéressant, si important, si pertinent, que j'ai envie de tout répéter ici. Et vu que ce n'est pas possible, il ne me reste qu'une chose à faire, ami-lecteur, si le sujet de la crise de la masculinité t'importe : te conseiller de lire cet ouvrage.

Et pour mieux te convaincre, je te livre une anecdote qui m'a à la fois amusée et désespérée :

"À Birmingham, des hommes ont même déclenché une grève conjugale, une « grève des maris » en 1953, évènement discuté jusqu'au Canada. Se présentant comme victimes de leurs conjointes, ils exigeaient « que leurs femmes cessent de les forcer à couper le gazon lorsqu'il fait chaud, à peindre le portique ou à bercer le bébé ». " (page 201)

Bref, un livre indispensable pour comprendre les discours auxquels nous sommes confrontés sur les réseaux sociaux… Des discours masculinistes, parfois d'une grande agressivité, qu'il convient d'appréhender afin de mieux les combattre.
Lien : http://altervorace.canalblog..
Commenter  J’apprécie          86
Ayant lu divers livres qui parlent de féminisme, je me suis désormais penchée sur celui-ci dont le sujet est la masculinité en crise. Francis Dupuis-Déri est venu à la librairie de ma ville, La Nuit des Temps, afin d'animer une rencontre autour de son dernier bouquin paru (à savoir celui que je vous présente aujourd'hui). L'échange a été très intéressant et l'humour de l'auteur était vraiment appréciable : c'était un chouette moment !

Dans cet ouvrage, Francis Dupuis-Déri démontre en quoi la prétendue "crise de la masculinité" est en fait un "discours de la masculinité" (terme employé par Judith Allen) qui indique comment, selon les personnes qui tiennent ces propos, les hommes et les femmes devraient se comporter et quelles relations les deux genres devraient entretenir.

Selon les divers antiféministes contemporains, il existerait actuellement une crise pour les hommes, qui serait due à plusieurs raisons : l'égalité entre les sexes, l'homosexualité, la "féminisation" de la société et des métiers, et encore pleins d'autres. Mais, en faisant quelques recherches, l'auteur s'est aperçu qu'on parlait de "crise" depuis le XVIème siècle, soit bien avant que les femmes soient ne serait-ce qu'un peu considérées. Il suffit que l'égalité soit évoquée pour qu'un discours soit prononcé.

Cet essai aborde différents thèmes : l'histoire de la crise de la masculinité, le mouvement des hommes depuis 1960, la mobilisation des pères, la crise économique et les symptômes du discours. Je ne vais pas revenir sur chaque point, mais l'auteur cite de nombreuses personnes et faits (notamment venant du Québec, des États-Unis ou de la France) et j'avais parfois envie de me cogner la tête contre les murs en lisant des aberrations que certains "intellectuels" pouvaient déblatérer.

Pour vous citer quelques exemples, je vais évoquer certaines choses qui ont été rapportées dans le livre (que l'auteur démonte, donc). Je vais paraphraser Yvon Dellaire qui se désole "la propagande des féministes a mené des professeurs à refuser à toucher leurs étudiantes adolescentes". Eric Zemmour, quant à lui, a dit "je continue à penser qu'il y a une violence dans le rapport sexuel entre homme et femme, c'est une violence civilisée, évidemment." et qu'il y a "une attente de violence". Je pourrais continuer longtemps ainsi, et des propos encore plus violents ont été tenus, bien sûr...

Mais à côté de l'agacement que j'ai pu ressentir contre les masculinistes, j'ai aussi beaucoup appris sur le sujet traité dans l'ouvrage, dont je ne connaissais quasiment rien jusque-là. Et, par moments, Francis Dupuis-Déri m'a fait rire avec son ton ironisant (tout comme lors de la rencontre).

C'est un livre très intéressant, qui a été un travail immense pour l'auteur, et qui m'a permis d'approfondir mes connaissances, notamment sur l'antiféminisme et la crise de la masculinité. Il y a encore beaucoup de travail à faire et j'ai adoré lire cet essai, dont l'écriture est très fluide. C'est comme si je lisais un roman, tout en apprenant de nombreuses choses. Ce livre met en colère, mais il fait aussi rire par moments, et réfléchir, très souvent. C'est avec joie que je vais continuer de suivre les travaux de l'auteur.

Je vous mets la photo d'une page de l'ouvrage pour que vous puissiez vous faire une meilleure idée de son contenu et de la manière dont il est écrit.
Lien : http://anais-lemillefeuilles..
Commenter  J’apprécie          80
Excellent! Exceptionnel!

Ce livre reprend les discours sur une hypothétique "crise de la masculinité". Ces discours se retrouvent de tous temps et de tous lieux dès que des femmes revendique un peu plus d'égalité.

Déjà à Rome en 195 av. J.-C., Caton l'Ancien réagissait à la mobilisation de Romaines contre une loi leur interdisant de conduire des chars et de porter des vêtements colorés. Il affirmait que "Les femmes sont devenues si puissantes que notre indépendance est compromise à l'intérieur même de nos foyers, qu'elle est ridiculisée et foulée aux pieds en public".

Honnêtement, la lecture a la plupart du temps été dure émotionnellement pour moi, pas parce qu'il y a des descriptions de violences ou ce genre de choses, mais parce qu'il cite des discours de masculinistes comme Hitler, Dallaire, Zemmour, etc. et c'est très violent de lire à quel point il semble ok pour ces hommes de se plaindre que les femmes puissent échapper à leur pouvoirs. Ils ne demandent pas de meilleures conditions pour eux, ils veulent la domination, la soumission des femmes. Ils pensent que nous devons être des objets à leur disposition, que nous leur devons du sexe, des soins, du ménage, des enfants, de l'obéissance. La déshumanisation complète des femmes dans certains de ces discours m'a fait monter les larmes aux yeux.

Il est très important de pouvoir avoir accès à ces discours qui banalisent les violences faites aux femmes et luttent contre les droits des femmes; pour pouvoir les analyser, les fact checker et ensuite les démonter.

Justement c'est ce que propose ce livre et c'est en cela qu'il est essentiel: il analyse les discours, repère les point principaux, et y répond factuellement: il démonte les mensonges, rétabli les vérités, cite ces sources, etc.

C'est vraiment un livre à lire et à conserver dans une bibliothèque féministe.

Commenter  J’apprécie          70

Citations et extraits (58) Voir plus Ajouter une citation
L'homme est en crise, dit-on, quoi que fassent ou non les femmes. L'homme est en crise si elles exigent respect, sécurité, égalité et liberté. L'homme est en crise si elles touchent un salaire.
L'homme est en crise si elles sont mères et s'occupent seules des enfants. L'homme est en crise si elles sont entreprenantes sexuelle-ment. L'homme est en crise si elles ne lui sont pas disponibles,
sexuellement.
Or, le féminisme appelle justement à la crise d'une société injuste et inégalitaire, et c'est ce qui dérange tant les hommes. Même s'ils ne sont pas en crise, ils font des crises quand des femmes refusent le rôle de sexe qui leur est assigné, quand elles transgressent les normes de sexe, quand elles résistent et contestent. Les hommes font des crises, car ils ne supportent pas d'être contredits et contestés, de ne pas avoir ce à quoi ils pensent avoir droit, en particulier des femmes à leur service.
Les hommes ne sont pas en crise, mais ils font des crises, réellement, au point de tuer des femmes.
En termes de justice et d'injustice, le problème aujourd'hui n'est pas que la masculinité soit en crise, mais bien qu'elle ne le soit pas encore. Cette crise qui n'est pas encore là, les femmes l'ont trop longtemps attendue, puisque nous y avons trop longtemps résisté. Il est donc temps d'arrêter de discourir sur la crise de la masculinité, et de tout faire pour qu'elle advienne, enfin.
Commenter  J’apprécie          30
[...] visiter les musées comme le Métropolitan à New-York, où 95% des œuvres exposées dans la section d'art moderne sont signées par des hommes, mais où 85% des illustrations des corps nus représentent des femmes.
Commenter  J’apprécie          203
Nous sommes donc en proie à une illusion : notre modèle familial contemporain sert de calque à l' "âge des des cavernes" et nous pensons maintenant que les femmes et les hommes de la préhistoire vivaient réellement comme une famille "modèle" d'aujourd'hui, le mari ramenant son salaire pour nourrir sa famille comme son lointain ancêtre ramenait le mammouth.
Commenter  J’apprécie          101
L'odieuse expression de "féminazisme" et l'amalgame entre le féminisme et le nazisme contiennent donc deux faussetés : non seulement les féministes n'ont jamais mené des actions qui ressemblent aux massacres et aux génocides perpétrés par les nazis, mais ce sont les néo-nazis qui ont adopté le discours antiféministe et misogyne de la crise de la masculinité. Plutôt que d'imaginaires féminazies, il conviendrait donc de parler de véritables mascunazis.
Commenter  J’apprécie          71
Ne sont-elles pas en crise, ces femmes qui effectuent gratuitement toutes les tâches ménagères et parentales alors que leur conjoint sans emploi s'amuse à consommer de la pornographie et à se mesurer le pénis, quand il ne les agresse pas physiquement et sexuellement ?
Commenter  J’apprécie          100

Videos de Francis Dupuis-Déri (15) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Francis Dupuis-Déri
#rentréelittéraire #rl2023 #essais
*Septembre rouge* de Michael Lowy et Olivier Besancenot Un hommage aux militants qui ont dû affronter, le 11 septembre 1973, le coup militaire sanglant du Général Pinochet et de ses troupes. En librairie le 23 août 2023 !
*Manouchian* de Claire Mouradian, Astrid Atamian et Denis Peschanski Cet ouvrage reconstitue l'histoire de ces deux orphelins du génocide des Arméniens devenus héros de la Résistance française. En librairie le 1er novembre 2023 !
*Le Méprisant de la République* de Monique Pinçon-Charlot En livrant son diagnostique implacable sur la conjoncture actuelle, Monique Pinçon-Charlot signe un livre détonateur pour tout ceux qui ne supportent plus le "macronisme". En librairie le 6 septembre 2023 !
*Les hommes et le féminisme* de Francis Dupuis-Déri En tirant le bilan critique de plus d'un siècle d'expériences où la frontière entre faux-amis et alliés est souvent poreuse, le sociologue proféministe Francis Dupuis-Déri esquisse les pistes d'un féminisme au masculin. En librairie le 4 octobre 2023 !
*Pain et liberté* de Denis Saillard et Coline Arnaud Conçue par deux historiens passionnés, voici la première histoire politique illustrée du pain. Une abondante iconographie distribuée en cent focus documente les cinq chapitres chronologiques, du Moyen Âge à nos jours. En librairie le 8 novembre 2023 !
+ Lire la suite
autres livres classés : masculinitéVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (224) Voir plus



Quiz Voir plus

Les emmerdeuses de la littérature

Les femmes écrivains ont souvent rencontré l'hostilité de leurs confrères. Mais il y a une exception parmi eux, un homme qui les a défendues, lequel?

Houellebecq
Flaubert
Edmond de Goncourt
Maupassant
Eric Zemmour

10 questions
562 lecteurs ont répondu
Thèmes : écriture , féminisme , luttes politiquesCréer un quiz sur ce livre

{* *}