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Critique de NMTB


NMTB
20 décembre 2014
La collection Quarto de Gallimard est, à mes yeux, tout à fait indispensable. Aucune autre collection ne permet aussi bien de s'immerger dans l'oeuvre d'un écrivain qui nous est inconnu. Des gros pavés (ici, je crois bien qu'on dépasse le kilo) qui sont généralement accompagnés d'une iconographie abondante et parfois inédite. Et puis, ce sont des livres très maniables malgré, ou grâce à, leur volume et leurs couvertures souples. J'ai longtemps feuilleté ce livre avant de m'y plonger. Et ce qui m'a d'emblée frappé, loin de l'image que je pouvais avoir de Duras - qui correspondait à peu près à celle de la photo de couverture - c'est la beauté mutine, et un brin exotique, de l'adolescente Marguerite Donnadieu. Mais ce n'était qu'une première dans le bousculement de mes a priori sur cette écrivaine. J'avais lu beaucoup de commentaires sur le style de Duras, en bien ou pas, et donc je m'attendais bêtement à une écriture très figée. Ce n'est pas le cas. Si on reconnait Duras, ce n'est pas tant par le style, qui est effectivement assez identifiable mais en constante évolution (définir un style Duras qui engloberait l'ensemble de ses livres me semble relever de l'utopie), que par les thèmes. D'un barrage contre le Pacifique à L'amant de la Chine du nord le style a complètement évolué. Aussi, peut-on réellement parler, comme le titre de ce livre l'indique fort justement, de parcours. Un parcours qu'on pourrait caricaturalement résumer ainsi : Un barrage contre le Pacifique est sûrement son premier grand livre, d'un réalisme social un peu à l'américaine, genre Steinbeck. Ensuite, Duras explore différents genres, de l'existentialisme au nouveau roman, en passant par le policier. Il y a aussi une difficulté à dire, un empêchement de la parole, qui est patent dans Hiroshima mon amour, mais présent dans presque tous ses livres. Après le ravissement de Lol V. Stein, il me semble que son écriture est plus personnelle et marquée dans tout ce qu'on appelle « le cycle indien » (Le vice-consul, India song, ainsi que les films et les pièces de théâtres) par la psychanalyse. Il y a comme une sorte de libération, d'écriture plus instinctive, moins conventionnelle. Alors que Hiroshima mon amour exprimait l'impossibilité de parler de la défaite humaine que fut la seconde guerre mondiale, La douleur en est une expression libérée. J'aurais aimé lire L'amant, mais à défaut L'amant de la Chine du Nord exprime aussi une libération de la parole qui confine à l'impudicité. Tout ce qui était non-dit, tapi, dans Un barrage contre le Pacifique est clairement exprimé dans L'amant de la Chine du Nord, et même exagérément souligné. Duras est-elle une romancière absconse ? Oui et non. Un barrage contre le Pacifique, Dix heures et demie du soir en été, La douleur, sont des écrits conventionnels, qui ne présentent aucune difficulté de lecture, qui ne versent dans aucun intellectualisme. Par contre, Les chantiers, le square, le ravissement de Lol V. Stein sont plus déstabilisants. Mais je dirais quand même que Duras n'est pas du tout l'intellectuelle que l'on veut bien en faire, elle est au contraire très sensualiste d'une certaine manière. Son grand thème c'est le désir et le désir charnel, mais souvent traité avec une distanciation… toute cinématographique, pourrait-on dire. Duras est-elle imbue d'elle-même ou narcissique ? Là aussi, oui et non. Oui, parce que l'oeuvre de sa vie est bien sûr tout ce qu'elle a tirée de son adolescence en Indochine. Sans ça elle n'aurait jamais rien écrit de personnel et peut-être pas écrit du tout. Elle me fait beaucoup penser à Proust, il y a du Proust dans Duras comme il y a du Balzac dans Proust. A la fin de L'amant de la Chine du nord -comme Marcel à la fin de la recherche découvre sa vocation d'écrivain- alors que l'enfant quitte définitivement l'Indochine sur un paquebot, Duras écrit ces très belles phrases qui, à mon avis, justifient parfaitement son oeuvre : «… sur la mer, avec le parcours du soleil dans le ciel et celui du bateau, se dessine, se dessine et se détruit à la même lenteur, une écriture illisible et déchirante d'ombres, d'arêtes, de traits de lumière brisée reprise dans les angles, les triangles d'une géométrie fugitive qui s'écoule au gré de l'ombre des vagues de la mer. Pour ensuite, de nouveau, inlassablement, encore exister. » Seulement, ce ressassement infini ne laisse quasiment aucune place à l'imagination. Duras devrait être une sorte de grande prêtresse pour les écrivains d'autofiction (et Proust aussi). Malgré tout, elle ne fait preuve d'aucune autosatisfaction et la place énorme que tient la culpabilité, assumée ou pas, dans beaucoup de ses écrits la préserve de toute accusation de complaisance envers elle-même. C'est vraiment dommage que ce recueil ne contienne pas L'amant, mais comme tout recueil, c'est le fruit d'un choix, aussi ma vision de l'oeuvre de Duras est certainement biaisée et incomplète. J'ai aussi l'impression que les concepteurs de ce livre ont un peu mis de côté les oeuvres les plus obscures de Duras et ont privilégié celles qui étaient plus accessibles, mais je ne sais pas, je me trompe peut-être.
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