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EAN : 9782709668279
360 pages
J.-C. Lattès (13/01/2021)
4.06/5   51 notes
Résumé :
Hülya a quitté Istanbul à 16 ans et s'est installée à Paris. Elle s'est inventée peu à peu une vie ordinaire et a coupé tout lien avec sa mère : une actrice adulée, le "Trésor national " du cinéma turc. Le putsch raté de juillet 2016 l'oblige à se souvenir : d'une enfance passée sur les plateaux, de la diva flamboyante qu'était sa mère, de la disparition de son père, de cette Turquie laïque qui n'est plus, ces années d'insouciance fracassées par trois coups d'Etat.<... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (23) Voir plus Ajouter une critique
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Imagé, fort et émouvant l'auteure scénariste et metteur en scène envoûte avec ce récit aux influences cinématographiques et dresse un sidérant portrait de femme et d'un pays, la Turquie, à travers une ode au théâtre classique et aux films anciens. Après des années de silence mutuel la mère d'Hülya (la narratrice qui vit en France) Esra Zaman grande icône du cinéma turc, « Trésor National » vivant, la recontacte pour une dernière mise en scène extravagante, celle de sa propre mort. Âgée et malade elle demande à sa fille d'écrire un éloge funèbre pour son « show mortuaire » dont elle a déjà réglé tous les détails.
Son appel réactive la mémoire d'Hülya qui se remémore aussitôt son passé et leur relation tourmentée. Refusant d'abord d'écrire cette oraison c'est finalement un roman qu'elle écrira sur ce destin exceptionnel et sur son « mal de mère » sous forme de monologue. En quête de vérité, elle la raconte entre « moteur » et « cut » jusqu'au « clap de fin » à travers ses grands rôles, navets ou succès, pour tenter de la comprendre « Moi, je veux ma version du Trésor. Pas celui qui est le National ». le récit s'ouvre sur trois coups de théâtre qui font écho à trois coups d'état turcs ayant jalonné son parcours et scellé son destin en trois actes pour un lever de rideau sur un destin exceptionnel dans le moyen-orient des années 60 à 80. Un des putschs coïncide avec la disparition de son père photoreporter. Alors que le sombre amant de sa mère semble avoir joué un rôle trouble dans cette tragédie Hëlya se rebelle. Esra Zaman, personnage aussi flamboyant et fourmillant que sa « ville-monde » l'éclatante Istanbul qui lui ressemble, exaspère autant qu'elle attire, agace autant qu'elle touche.
Mère absente, éprise de 2 hommes, trop absorbée par la gloire elle perd sa fille qui s'éloigne « Je suis comme beaucoup d'ados : c'est physique, je ne te supporte pas. Se construire contre sa mère n'est en rien original, ce qui l'est plus, c'est d'être obligée de montrer publiquement son admiration pour la sienne ».
Elle la rejette au point d'effacer toutes traces d'elle, refusant « tout héritage émotionnel », de renier ses origines et de modifier son prénom.
« Tu m'as bâtie sur des mensonges ».
La raison cachée de ce rejet maternel se dévoile peu à peu et nous tient en haleine. Ce roman sera celui de la résilience et de la réconciliation. Alors qu'elle enquête sur son passé une amie de sa mère lui confie un sac empli d'affaires de ses parents : affiches de cinéma, coupures de presse, lettres … chaque objet lui permet de se souvenir et de raccorder les plans dispersés de la pellicule du film de sa vie pour en reconstituer la trame et en éclaircir les derniers mystères dans une Istanbul aux troubles politiques récurrents. Une intrigue policière sous jacente où se mêlent amours interdites et services secrets entretient le suspense.
Un trésor à lire, vraiment.
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Le Trésor National c'est Esra Zaman, la plus grande icône de tous les temps de Yeşilçam, le Hollywood turc, mère de la narratrice, Hülya. Tout débute quand Esra demande à sa fille de lui rédiger un éloge pour sa propre cérémonie funéraire –qu'elle s'apprête à mettre en scène au Théâtre de la Ville d'Istanbul. Vu que les deux ont coupé les ponts depuis longtemps, et que Hülya désormais devenu Julya, " la française " habite Paris depuis des décennies, cette dernière s'indigne et en un premier temps entreprend de refuser, et puis finalement l'idée lui plait, l'occasion à jamais de reprendre sa revanche sur une mère qui s'est souciée majoritairement de sa carrière de star et de son image publique au détriment de sa fille. Une mère perdue dans ses divers rôles, "Ces femmes, lorsqu'elles poussaient en toi, me léguaient à chaque fois un amas de sentiments impossibles à démêler pour la petite fille que j'étais. Je voyais bien que tu te transformais, je t'observais devenir cette autre et je ne savais pas comment t'aimer." Pourtant la vengeance n'en sera pas une........

Hülya ou Julya , est probablement l'alter-ego de l'écrivaine turque, scénariste et dramaturge, qui elle aussi vit depuis trente cinq ans à Paris. Elle aussi comme Esra Zaman initia à quatre ans à jouer à Yeşilçam et sur les plateaux du Théâtre de la Ville......Ce long monologue adressé à la mère de fiction est l'occasion pour elle de nous parler de son pays natal la Turquie, dont on sent la forte nostalgie bien qu'elle insiste sur le fait qu'elle est bien à sa place en France ( l'un n'empêche pas l'autre). Elle parcourt l'histoire de la jeune république turque jusqu'à nos jours, à travers l'histoire d'Esra qui lui a envoyé "le sac de papa". Ce sac déballe des photos et souvenirs, déployant un film de la Turquie politique et sociale des années 30 jusqu'à nos jours. Elle reprend les évènements clés de l'histoire politique du pays , les superposants à la vie sociale et professionnelle de sa mère, une femme émancipée ( qui sont beaucoup plus nombreuses dans ce pays que l'on ne le pense, aussi bien au passé qu'au présent* ). Les femmes sont un thème cher à cette écrivaine et dramaturge que je viens de découvrir et qui m'a impressionnée vu son parcours . C'est son premier roman donc, écrit directement en français, moi qui ne lit pas de théâtre, mais adore le voir sur scène, je vais vite me procurer ses pièces.

Un roman intéressant et riche sur une relation compliquée mère-fille ("Tu as passé ta vie à raconter des histoires pour ne pas voir la tienne"), sur les plateaux de cinéma et théâtres turcs, un milieu que l'écrivaine connaît bien et surtout un livre sur la Turquie, plus précisément İstanbul, une ville mythique qui dépasse même l'imagination d'Italo Calvino ( Les villes invisibles). Une histoire sur fond des coups d'état de la Junte militaire , celui du 15 juillet 2016 et des 19 dernières années du règne de l'AKP. le tout pimenté d'une petite énigme qui va faire chemin comme un caillou dans la chaussure jusqu'à la fin. Nostalgie, nostalgie.......Un livre très bien écrit, que je conseille vivement vu l'originalité de sa construction et son sujet.

".......une nostalgie collective, celle de « l'ancien monde » ... , en opposition à ce que les néo-islamistes appellent « la nouvelle Turquie."
"Ce sont les rêveurs qui changent le monde, les autres n'en ont pas le temps"(Camus)

*A ce sujet conseille l'article du Monde du 26 février 2021, disponible sur internet, "Turquie : trois femmes sur la route d'Erdogan, Meral Aksener, dirigeante du Bon Parti (nationaliste) ; Sebnem Korur Fincanci, figure de la société civile ; Canan Kaftancioglu, représentante du Parti républicain du peuple (centre gauche) pour İstanbul . Des opposantes de différents horizons défient le dirigeant islamo-conservateur, tenant du modèle patriarcal. Et ces femmes sont directement dans l'arène, actuellement......



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Trésor national se présente comme  une longue lettre passionnée, oscillant entre amour et haine: celle d'une fille à sa mère, de Hülya à Esra.

 La grande Esra Zaman,  est âgée, elle va mourir, brouillée avec sa fille Hülya qui vit, travaille et écrit en France comme l'auteure, qui sans doute a dû se projeter dans cette narratrice exilée.

La mère prépare, de son vivant, ses propres funérailles, et entend confier l' éloge funèbre à sa fille, opérant ainsi un rapprochement contraint et une forme d'absolution des fautes et malentendus passés, malgré la distance de rigueur: Hülya étant considérée comme personna non grata par la dictature d'Erdogan ne peut se déplacer à Istamboul.

 Téléphones, mails et documents vont donc remplacer la dernière entrevue entre mère et fille et permettre à la jeune femme de se laisser reprendre par une espèce de tendresse mêlée d'exaspération pour son monstre sacré de mère... tout en maintenant une distance géographique qui l'assure d'une distance critique!

L'éloge funèbre devient un roman, la lettre privée  une fresque épique.

Esra est  une vraie diva, une "star" du Hollywood turc, Yeşilçam, élue " Trésor National"  en Turquie, avec toute l'ambiguïté de cet adjectif dans un pays en proie aux tentations nationalistes depuis Mustapha Kemal, nationalisme dont le dernier régime en date  a fait sa marque de fabrique...

En passant du théâtre au cinéma, de  la tragédie classique  à la sitcom, du drame à la comédie de boulevard , Esra Zaman a incarné toutes les facettes de l'art scénique,  sans renoncer à  son aura d'artiste populaire.

Elle n'a pas craint non plus, dans sa vie privée, d'incarner le scandale et la bohème,  mais sans jamais passer le cap de la subversion, de l'opposition politique frontale. 

Scandaleuse, mais juste ce qu'il faut, émancipée mais dans les limites de son personnage, elle aurait traversé presque sans encombres régimes dictatoriaux, censure politique et mesures de répression, s'il n'y avait l'ombre portée sur sa vie par la disparition de son mari, le bel  Ishak, le père de Hülya..et sans le rôle trouble joué dans cette disparition par son amant attitré, un homme très proche du pouvoir. Mais aussi l'ami de toujours, le frère ennemi  d'Ishak...

L'ombre de la noire Clytemnestre plane sur  Esra,  la solaire.
Nouvelle  Electre, Hülya tente de faire la clarté sur la vie de sa mère, et de choisir entre le pardon ou la vengeance, en puisant dans le sac d'Ishak, d'où sortent comme d'une urne antique, des lettres, des témoignages, des traces des drames passés qu'Esra, fine mouche, a su rassembler et envoyer à sa fille, dans l'espoir de dissiper tous les malentendus et les secrets enfouis.

Cette intrigue privée prend des dimensions mythiques-la Grèce n'est pas loin!- et permet de faire défiler, en toile de fond, la fresque de la grande Histoire turque, agitée de coups d'états, tandis que se débattent quantité de silhouettes attachantes qui brièvement s'affrontent à la tourmente historique ou sont emportées par elle.

Un roman passionnant,  plein de souffle et de vitalité, qui se lit d'une traite.
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Sedef Ecer est une dramaturge franco-turque ; parmi son oeuvre remarquable écrite en langue française, j'ai admiré inconditionnellement deux pièces, caractérisées par cet esprit humaniste typique de la littérature migrante fait de communication interculturelle, de repérage des ponts entre cultures, de leurs similitudes autant que de leurs pierres d'achoppement : À la périphérie, et E-passeur. Trésor national, paru à grand bruit en janvier 2021, est son premier roman.
Il contient plusieurs ingrédients, chacun desquels peut être interrogé – comme il est souvent pertinent de le faire dans un premier roman de littérature migrante – sous le prisme autobiographique ou autofictionnel, dont l'auteur souvent se défend. Mais aussi sous le prisme du besoin de montrer patte blanche à la culture d'adoption. Et il faut respecter ces réserves.
D'abord, le texte se présente comme une lettre ouverte d'une narratrice dans la force de l'âge, solidement établie en France au point d'avoir francisé son prénom de Hülya en Julya, adressée à sa mère mourante avec laquelle elle a depuis longtemps coupé les ponts, laquelle lui demande de rédiger son éloge mortuaire dans le cadre de la cérémonie de funérailles très spectaculaire qu'elle est en train d'organiser dans les moindres détails pompeux. En effet, cette mère, Esra Zaman, est une icône du cinéma turc de Yeşilçam et, bien que l'insigne de Trésor national qui intitule le roman n'existe pas en Turquie, certaines actrices à la carrière semblable dont est inspirée celle de l'héroïne, ont pu s'élever au rang de star-emblème de la nation. Après hésitation et réception du support matériel des objets contenus dans un sac envoyé par la mère et qui lui-même revêt une importance sentimentale pour la fille, grâce aussi à l'intermédiation des fidèles amies maternelles, celle-ci s'acquittera de la tâche, en reconstituant, année par année, la carrière artistique et la biographie de sa mère à travers les rôles évoqués par ces objets et ses images. Par cette reconstitution, on peut apercevoir une histoire du cinéma turc de la seconde moitié du XXe siècle. En réalité, l'histoire commence plus tôt, car la grand-mère de la narratrice est présentée comme la première comédienne musulmane de Turquie, dont Esra est l'héritière naturelle et fière.
En parallèle, le deuxième ingrédient du roman, c'est la nature très conflictuelle des rapports entre Hülya-Julya et Esra. Au-delà du stéréotype de la diva accaparée par sa carrière et ses amours, donc d'une mère distraite, sans doute même une mère malgré soi, le grief que la fille nourrit contre sa mère est propre à la tragédie classique : un triangle amoureux s'est formé entre l'actrice, son mari qui est le père de la narratrice et un amant que celle-ci tient pour responsable de la séquestration politique et de l'assassinat de son père. La mère aurait fait en sorte de ne pas s'apercevoir qu'elle est la maîtresse de l'assassin du père de son enfant. Et la maturation de ce soupçon est la cause de la rupture entre mère et fille et de l'émigration en France de celle-ci, de son assimilation par éradication de l'héritage maternel. Les deux personnages masculins représentent des stéréotypes que l'on connaît bien désormais, même par les quelques auteurs turcs traduits en français : l'homme issu de la bourgeoisie urbaine (de plus minoritaire, ici juive), laïque et progressiste – le père, Ishak – et celui qui est issu de la classe populaire, rurale anatolienne, le « fils de concierge », revanchard, conservateur et hyper-nationaliste, mêlé par barbouzerie à « l'État profond » et aux multiples coups d'État militaires de Turquie – l'amant, Ismaïl.
Le troisième ingrédient du roman est donc socio-politique. le rythme de la narration est scandé par « Les trois coups [d'État] comme au théâtre » : celui de 1960 qui a provoqué la rencontre des parents de la narratrice, celui de 1971 qui a provoqué la disparition de son père, celui de 1980 qui coïncide avec la prise de conscience de la fille du rôle de l'amant dans ce drame familial et politique. En effet, au cours de la reconstitution de la carrière maternelle, il apparaît que le milieu artistique est naturellement affecté par les répressions politiques : les amis des parents, dont un avocat défenseur des droits humains, plusieurs militants de gauche, une trans fidèle amie subissent aussi différents préjudices voire l'emprisonnement et la torture, et le carriérisme de l'actrice, peut-être son rôle d'icône nationale, elle le paie au prix fort d'une volontaire cécité parmi d'autres compromissions.
La conclusion amère que la narratrice tire ce cette dialectique entre l'activité artistique de la mère et les circonstances politiques est que la société turque dans son ensemble choisit toujours l'amnésie de sa nature à la fois de bourreau (des Arméniens jadis, des humanistes et progressistes depuis l'après-guerre) et de victime du politique. Cette cécité-amnésie est incarnée autant par sa grand-mère que par sa mère, la solution adoptée par la narratrice est l'exil, en attendant que la génération suivante, celle de la propre fille de Julya abandonne complètement la « malédiction » de la lignée maternelle des arts du théâtre, en héritant de son père la passion pour la botanique et en particulier pour le lotus, « fleur de l'oubli ».
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Elle est d'un ancien monde, un monde qui n'est plus qu'un musée pour nous autres qui ne l'avons pas connu; un monde fait d'extrêmes aussi bien dans les jouissances et les plaisirs que dans les idées et les combats. Nous sommes dans les années 50, 60, 70 et elle, c'est Esra Zaman, une diva turque sulfureuse, capricieuse, exubérante et libre, follement et dangereusement libre car sa liberté s'exprime dans un pays, la Turquie, qui a dû mal à la penser ; la faute à ses règles sociales qui, comme ailleurs, figent les femmes dans un statut imposé, la faute à ses névroses politiques qui privent régulièrement ses citoyens de leurs droits fondamentaux. Et faut-il, pour être libre dans cette Turquie « malade », être comme Esra Zaman, c'est à dire totalement déjantée, au dessus de tout, au dessus de la réalité ? Faut-il, pour vivre et non survivre, s'enfermer dans les rêves et les chimères, épouser la légèreté des strasses et paillettes pour fuir la gravité du monde réel miné par la pauvreté et la répression? Sans doute mais au risque d'être totalement antipathique et détestable car Esra Zaman est une femme que l'on n'a pas envie d'aimer. Insaisissable, impénétrable, elle fricote avec des tortionnaires mais fréquente leurs victimes. A-t-elle une conscience politique? Laquelle est-ce? Peut-on s'en priver dans un pays où tout est/devient politique? Par son inconsistance, Esra Zaman en devient abjecte. Et elle m'a fait penser à toutes ces célébrités qui fricotent avec le pouvoir turc, peu importe la nature du gouvernement et la quantité de sang qu'il fait couler. Ils se sont attablés avec Kenan Evren (à la tête du coup d'État militaire de 1980), ils s'attablent aujourd'hui avec Recep Tayyip Erdogan. Sont-ils obligés ou sont-ils simplement écervelés ?

Sedef Ecer signe ici un bon roman. Bien écrit, bien mené, il tient en haleine, nourrit le suspens. On veut savoir, en effet, ce qu'a fait Esra Zaman pour mériter la colère de sa fille. On veut savoir le crime qui a été commis. On veut connaître le dénouement, le fin mot de l'histoire. On croit deviner mais on tombe à côté. La fin, une déception, laisse à désirer mais pourquoi pas. Bouillon de cultures, ce roman est plein de références culturelles, artistiques. C'est intelligent car jamais pédant.

Mais si le roman a ses qualités, indéniables, il a ses défauts. Il m'a semblé, en lisant Sedef Ecer, qu'elle ne parvenait pas, elle non plus, comme Elif Safak dans certains de ses romans, à sortir des discours éculés, notamment en ce qui concerne les Kurdes. Je précise: sous sa plume, les révoltes kurdes, initiées par quelques tribus au début du Xxème siècle, sont menées pour « renverser le gouvernement laïc » afin de « restaurer la charia ». le discours, largement répandu en Turquie, est d'un mensonge patent car il n'est pas vrai que les révoltes kurdes aient été menées principalement par opposition à la laicité à la turca. Sinon la révolte de Koçgiri (Dersim), par exemple, c'était quoi ? Quant à Firat, personnage d'origine kurde qui se profile dans le roman, il semble, comme dans les romans d'Elif Safak, sans consistance. C'est un homme né en colère, anti-système, anticapitaliste mais on n'en connaît pas la raison. Pourtant, elle est largement connue. Des lecteurs kurdes, en tout cas. Mais les autres, qu'en sauront-ils ?

C'est mon bémol dans ce roman. Il évoque l'histoire politique de la Turquie mais grossièrement, sans jamais expliquer ni raconter la complexité de ce pays. L'auteure évoque le massacre de Sivas sans jamais le nommer, ni l'expliquer ; parle du massacre de la place Taksim sans jamais vraiment le situer ; n'évoque jamais la Question kurde qui n'existe pas dans son roman. Elle y parle à la place de conflits entre extrême droite/extrême gauche ; entre conservateurs et laïcards. Et les Kurdes, dans tout cela ? On ne peut pas quand on évoque, comme elle le fait, l'État profond en Turquie faire l'impasse sur ce qui se passe en territoire kurde car c'est là qu'il déverse ses puanteurs, c'est de là qu'il puisse sa force et sa richesse ; c'est en raison de son rapport néfaste avec les Kurdes que l'Etat turc se retrouve pourri jusqu'à la moelle. Sedef Ecer n'en dit mot, son rapport à l'histoire politique turque manque de profondeur et de consistance. Et je m'interroge: pourquoi parler de l'histoire politique si c'est pour rester en superficie et faire, du coup, dans les clichés ? La Turquie est complexe et mérite, de ce fait, qu'on l'aborde sans trembler ni hésiter. Dommage donc qu'elle n'ait pas été au bout de la démarche. Mais sans doute son roman aurait pris une tournure qu'elle ne voulait pas initialement lui donner.


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Citations et extraits (28) Voir plus Ajouter une citation
Je te vois au bord de la Corne d’Or, dans les rues bondées, dans les souks, les parcs, sur les collines et les plages qui n’existent plus. Parfois tu es ma mère mais le plus souvent tu es une autre. Une sublime blonde en Vespa, une musicienne de rue, une étudiante à lunettes, une prostituée, une femme du monde, une chanteuse en robe fourreau, une danseuse de chachacha devant un orchestre cubain, une paysanne voilée fraîchement débarquée en ville, une entremetteuse lasse d’un cabaret minable, une mendiante ou une jeune ingénue. Tu es toutes ces femmes et tu marches devant des caméras –des Arriflex de mon enfance, la modernité absolue –qui te suivent dans des rues aujourd’hui détruites pour la plupart qui ont laissé place à des avenues sans âme et à des shopping malls hideux avec mosquées intégrées pour abrutir les gens en les poussant à acheter et à prier en permanence.
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Depuis, le pont du Bosphore, symbole de tout ce qui lie l’Europe et l’Asie, de tout ce qui soude l’Occident et l’Orient, a été rebaptisé le pont des Martyres. Il célébrait la vie ; ils l’ont rempli de cadavres jusque dans son nom. Il nous racontait la rencontre, l’harmonie, le métissage, désormais il sépare, il divise.
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Je compose ton numéro. Le répondeur me dit « Laissez un message et je vous rappelle si je veux. Vive la République laïque ! »
( Nous sommes en Turquie, de nos jours)
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J’ai six ans, tu en as trente-sept. Une voiture officielle vient de vous raccompagner à la maison après une cérémonie au Théâtre de la Ville d’Istanbul. Je vous entends parler à Melek, notre concierge qui me garde le soir et rire aux éclats avec elle dans l’entrée.

Tu entres dans ma chambre, suivie par Ishak. Avec ta longue robe fuchsia aux motifs psychédéliques, tes faux cils peints en bleu et ton rouge à lèvres orange, tu es soleil. Vous êtes beaux, jeunes, éméchés. Tu me dis Le ministre m’a élevée au rang de Trésor National. Je ne comprends pas, tu répètes. Tu te rends compte il a dit je vous élève au rang de Trésor National, tu répètes encore Trésor National et vous riez. Je ne sais pas ce que ça veut dire. Tu me montres une statuette sur laquelle ton nom est inscrit en lettres dorées. Je demande le nom de la fleur qui l’orne. Papa me répond que c’est un lotus et que son fruit est magique. Vous riez encore. Puis tu t’assois et tu me racontes cette histoire – je vais l’apprendre plus tard – extraite de l’Odyssée: Après une tempête, un bateau échoue sur une île ou les habitants se nourrissent du lotus, fruit de l’oubli. Le capitaine envoie trois de ses hommes explorer le village mais ne les voyant pas revenir, il part à leur recherche. Lorsqu’il les retrouve, ses compagnons ne le reconnaissent plus: les naufragés avaient goûté au fruit et dès cet instant, comme les habitants de cette île, ils avaient oublié d’où ils venaient. Ils voulaient juste rester là et se rassasier éternellement de ce lotus. Le capitaine y goûte et à son tour désapprend qui il est.
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2. « Oui, papa t'a follement aimée, personne ne peut se remettre d'être aimé comme ça et tu ne t'en es jamais remise.

Et puis il y a eu l'autre. Le puissant. Le dominant. Le flic. Le mâle. Le conquérant. Le Méphistophélès en uniforme. L'exact contraire de papa.

Ton mari était un être profond, discret, bienveillant, jamais vraiment sûr de lui alors que ton amant portait en permanence cette virile certitude, cette autorité mâle, cette intransigeance animale. » (p. 234)
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Vidéo de Sedef Ecer
Ce dimanche 14 mai 2023, les électeurs turcs sont appelés aux urnes. Après plus de 20 ans passé au pouvoir, Recep Tayyip Erdoan, fragilisé, va-t-il enfin passer la main ? C'est en tout cas ce que souhaite une grande partie du monde de la culture et du monde intellectuel.
Guillaume Erner reçoit : Ahmet Insel, professeur retraité de l'université de Galatasaray à Istanbul et éditeur Sedef Ecer, romancière franco-turque, autrice de Trésor national (Lattès, mai 2023) Emin Alper, cinéaste
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