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Marguerite Capelle (Traducteur)
EAN : 9782072963773
288 pages
Gallimard (02/02/2023)
3.88/5   71 notes
Résumé :
Au Nigéria, dans la cosmologie igbo, lorsqu’un enfant est dans le ventre de sa mère, il est façonné par des esprits qui déterminent son destin. Mais à la naissance de la petite Ada, les portes entre le monde des humains et celui des esprits se sont temporairement ouvertes, le temps pour ces derniers de s’immiscer dans le corps de la fillette et de s’y trouver bloqués.
Un pied dans le monde des vivants, un pied dans le monde des esprits, Ada va ainsi grandir ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (22) Voir plus Ajouter une critique
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Je dois avouer que je lis rarement des autofictions et que je les apprécie encore plus rarement ; mais il arrive parfois que l'une d'elles se glisse dans ma PÀL et se révèle une vraie pépite quand elle finit par en sortir.

À la naissance d'Ada, les esprits qui, dans la cosmologie igbo, façonnent les enfants à naître, se retrouvent accidentellement coincés dans son corps. Partagée entre plusieurs voix et plusieurs personnalités, la jeune fille déménage du Nigéria aux États-Unis pour ses études. C'est là qu'un traumatisme va tout faire basculer et qu'apparaît un nouvel esprit, mû par la rage, qui prend le contrôle et l'engage sur une voie dangereuse.

Ada a très peu la parole au cours de cette histoire, qui est principalement narrée par les différents esprits qui la composent et se disputent son corps. L'ensemble apparaît très nettement comme une façon d'expliquer le trouble dissociatif de l'identité, et peut être lu autant de manière littérale que métaphorique : l'équilibre entre les deux est franchement réussi. Outre le TDI, l'oeuvre aborde de nombreux sujets parfois très lourds : la gestion des traumatismes (et la façon dont le TDI est une réponse pour s'en protéger), le poids des traditions, le sentiment d'être perdu entre ses racines et son pays d'accueil... C'est particulièrement perceptible lors des passages où l'on s'attarde sur la vie des étudiant·es africain·es sur un campus américain.

Le tout est porté par une écriture magistrale et puissante, qui peut paraître distante mais s'accorde parfaitement au sujet abordé. (D'ailleurs, j'ai rarement lu une scène de viol aussi bien écrite : on ressent parfaitement l'horreur de la situation plutôt que d'avoir l'impression de lire un fantasme dérangeant).

Une lecture coup de poing : aussi lourde qu'impressionnante !
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L'originalité de ce roman tient au fait que les narrateurs omniscients sont ici des esprits (exemple : les ogbanje), habitants de l'âme d'Ada, l'héroïne. Des esprits rarement bienveillants, souvent mal intentionnés, à qui la jeune fille sert d'enveloppe corporelle, de vaisseau qu'ils empruntent avec indifférence, n'ayant d'autre intérêt que de satisfaire leurs pulsions. Ici l'attirance pour le féminin, qui pousse Ada dans les bras d'une autre femme. Là, une soif de sang inextinguible qui mène Ada à la scarification. Ces esprits manipulateurs font d'Ada une marionnette, un zombie mal dans sa peau martyrisée, jouet des forces qui se disputent sa conscience. Pour apprécier ce roman à sa juste mesure, il faut être sensible à cette culture des ancêtres, à l'incarnation ou à l'animisme. Ce n'est pas mon cas. Je suis trop attachée au libre arbitre pour ne pas m'agacer de la passivité de cette jeune femme, de son fatalisme, d'une soumission qui ne la rend responsable d'aucun de ses actes. En lisant ce roman, on comprend mieux le sens du mot possession : Ada a été expropriée de sa personne, car les esprits en sont devenus les maîtres.
En définitive, ce que j'ai préféré, c'est la confrontation avec « nos croyances » occidentales, telles que la psychanalyse ou cette religion fondée sur un homme cloué sur une croix. le choc des cultures est alors à son comble, il met en évidence leur possible ingérence.
L'eau douce est un premier roman inspiré, impressionnant de maîtrise, mais difficile d'accès.
Bilan : 🌹

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Quel roman surprenant que L'eau douce'.
Akwaeke Emezi a choisi d'aborder la folie et les troubles de la personnalité d'une manière originale. Elle donne la parole aux esprits qui sont entrés en possession d'Ada, une jeune fille nigériane. Ces esprits maléfiques la guident dans les choix qu'elle fait dans la vie.
Rien n'est expliqué clairement, mais ce n'est pas difficile d'imaginer ce qui se passe.
Je peux dire que le livre se lit sans difficulté (pour moi en tout cas) dès qu'on s'habitue avec l'idée que ce sont les esprits qui parlent. Il faut cependant s'y trouver parmi leurs différents noms et fonctions qu'ils exercent.
A la fois fascinant, dérangeant et puissant, ce finaliste du National Book Award en 2019, ne laissera personne indifférent. Il faut pour cela oser s'y aventurer.

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Forte, puissante, animée par des esprits venus du fin fond de l'être, entre la vie et la mort, sur le fil du rasoir, Ada est une Déesse à elle seule.

De circonvolution, en circonvolution, naviguant dans les méandres de l'esprit torturé de Ada, on souffre avec elle, on est en équilibre constant entre la vie et la mort.

Ada est faite de colère, de douleurs, de désespoir. Nul paix en elle. Comment en serait-il possible autrement ? Elle renaît à chaque fois de ses cendres, mais à quel prix ? Scarifications, tentatives de suicide, lâcher prise pour se vautrer dans le sexe et l'alcool…

Entre le désespoir, la folie, la mort et la vie, Ada devra faire un choix. Mais lequel ?

Il lui en faudra des rencontres et des circonstances avant de parvenir au but.

Magnifique livre. Je vous déconseille de lire le 4ème de couverture. Simplement se laisser porter par l'histoire, laissez les esprits prendre possession de vous et entrez dans l'univers d'Ada. Ce premier roman de Akwaeke EMEZI est un des meilleurs livres que j'ai lus cette année.
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"Au Nigeria, dans la cosmologie igbo, lorsqu'un enfant est dans le ventre de sa mère, il est façonné par des esprits qui déterminent son destin." Tiens, cela rappelle quelque chose, un (excellent) roman récemment traduit de Chigozie Obioma : La prière des oiseaux. Eau douce, la première fiction d'Akwaeke Emezi, part donc sur les mêmes bases mais son livre n'a absolument rien à voir avec celui de son compatriote. Ou alors ce serait sa version maléfique avec une narration assurée par les mauvais esprits qui habitent le corps de l'héroïne, Ada, et se marient tellement avec son moi profond que le lecteur lui-même n'a plus possibilité de savoir qui est responsable de ses actes. Eau douce n'est pas un livre pour âmes sensibles : il y est question de viol, de scarification, de suicide et de violences diverses, même si tout n'est pas toujours dit explicitement. le roman est aussi chaotique que la fragmentation des pensées de son personnage principal qui se reflète sur ses actes, qui la font passer au mieux pour bizarre, au pire pour folle. Malgré quelques fulgurances et des passages très intenses, le livre, parait-il autobiographique en grande partie, se révèle insaisissable et souvent insoutenable par sa noirceur quasi permanente. Avec sa narration à hauteur d'esprit(s), Akwaeke Emezi (qui revendique une personnalité non-binaire) n'a pas choisi la facilité car les faits et gestes de Ada ne nous sont perceptibles qu'à travers un prisme déformant, comme si un voile nébuleux recouvrait ses actes alors que ses pensées, aussi contradictoires soient-elles, sont décortiquées jusqu'à plus soif. En s'éloignant du réalisme, la romancière courrait le risque d'écrire un ouvrage cérébral et conceptuel, peu déchiffrable et frustrant pour certains de ses lecteurs. Au moins peut-on lui accorder le courage d'avoir su rester fidèle à ses principes jusqu'au bout.
Lien : https://cin-phile-m-----tait..
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critiques presse (3)
Telerama
11 juillet 2023
Un roman d’apprentissage hors norme dans lequel l’autrice pulvérise les « concepts inadaptés de masculin et de féminin » en même temps que notre fantasme d’unité.
Lire la critique sur le site : Telerama
Telerama
07 mars 2023
De son enfance nigériane à ses études aux États-Unis, Akwaeke Emezi raconte, dans ce premier roman, l’histoire d’une jeune fille qui est d’abord elle-même. Ou « elles-mêmes », car la narration est plurielle, le roman écrit à plusieurs voix — celle d’Ada et des différents gbanje.
Lire la critique sur le site : Telerama
LeMonde
15 juin 2020
Entre récit d’une enfance au Nigeria, roman d’apprentissage et « campus novel » aux Etats-Unis, un premier roman singulier d’un auteur trans sur les troubles de la personnalité.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
De retour à la maison, l’Ada dénoua son mouchoir et le tint en l’air, déplié. Il y avait trois marques brunes, deux pour ses narines, une pour sa bouche. Nous aurions aimé qu’elle le conserve, mais les humains sont ainsi. Les choses importantes leur échappent dans l’instant, quand la sensation est vive et qu’ils sont assez jeunes pour croire qu’elle perdurera. Plus tard, l’Ada garderait un souvenir étrangement vif de cette nuit, comme l’un des rares moments véritablement heureux de son enfance. Ce moment-là, quand nos yeux se sont ouverts dans la poussière de la place du village et que pour la première fois nous étions en éveil dans son royaume comme dans le nôtre, ce moment-là semblait fait de pure lumière. Nous formions un seul tout, ensemble, en équilibre pour un bref instant de velours d’une nuit villageoise.
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Ma mère ne dort pas de la nuit
Elle s’inquiète. C’est dans l’ordre des
choses
Quand des dieux froids vous donnent un
enfant.
Je dors comme une gousse d’opium.

Elle s’inquiète. C’est dans l’ordre des
choses.

Si jeune et déjà folle, voyez-vous :
je dors comme une gousse d’opium.
Les jours de répit, je hurle.

Trop jeune et déjà folle, voyez-vous,
les autres impatients de me prendre,
Seuls les jours de répit, je hurle,
carcan de chair et peau brûlante.

Les autres impatients de me prendre
de boire à mes abîmes.
Carcan de chair et peau brûlante,
J’ai voulu mourir de ce corps.

J’ai bu moi-même à mes abîmes,
ma mère ne peut me protéger.
J’ai voulu me soustraire à ce corps,
les spectres la menacent de leurs griffes.

Ils salivent au pied de son lit.
Quand des dieux froids vous donnent
leur enfant,
assurez-vous de la garder en vie.
Ma mère ne dort pas de la nuit.
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5. « Nous l'avons ignorée aussi gentiment que nous en étions capables – ce corps était à nous, pas à elle ; cette fille était à nous, pas à elle, il fallait qu'elle comprenne où s'arrêtait sa juridiction, et que pousser plus loin était un blasphème.
L'Ada a eu recours à un psy pour accompagner notre projet de ciselage, et nous avons découvert que les humains avaient des termes médicaux – des mots pour désigner ce que nous essayions de faire –, qu'il existait des procédures, changement de sexe, transition. Nous savions que ce que nous projetions était juste. Même les aspects de son corps qui déplaisaient autrefois à l'Ada s'étaient émoussés depuis que nous avions laissé Saint Vincent aux commandes. Et puis, les larges épaules qui se resserraient en hanches étroites et petites fesses étaient enfin à leur place. Les vêtements d'homme tombaient convenablement sur ce corps : nous étions beau. » (pp. 210-211)
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3. « Mais sachez que la présence d'Asughara ne signifiait pas notre absence, non, jamais. Nous avons reculé quand elle a fait irruption au premier plan, c'est vrai, mais nous sommes en nombre et elle n'était que l'une d'entre nous, une bête, une arme qu'il fallait actionner. Nous l'avons laissée chevaucher l'Ada, nous avons lâché la bride – cette histoire a autant d'épaisseurs superposées que nous. En voici une : l'histoire des autres dieux.
Nous vous avons parlé de certains d'entre eux – Yshwa, par exemple. Ala, qui contrôle les divinités mineures, notre mère. Mais il y en a d'autres, et quiconque s'y connaît un peu le sait, sait pour les divins passagers clandestins qui accompagnèrent notre peuple volé par les corrupteurs, ce que les ventres des caravelles emportèrent à travers les flots houleux, les masques, la peau à l'intérieur du tambour, les mots sous les mots, l'eau dans l'eau. Les histoires qui survécurent, les nouveaux noms qu'ils adoptèrent, l'humeur de dieux anciens se répandant sur une terre nouvelle, la musique emportée avec eux, identique à la musique abandonnée là-bas. Et bien sûr, les humains qui survécurent, les élus parmi eux, ceux en blanc, ceux qui agitent des coquillages et des minerais, ceux qui sont chevauchés, choisis, ceux qui suivent, travaillent et servent parce que l'appel passe dans le sang, peu importe le nombre d'océans où vous semez la mort.
Ces humains nous reconnaissaient facilement ; c'était comme s'ils nous humaient sous la peau de l'Ada ou nous sentaient dans l'air qui palpitait autour d'elle. » (pp. 101-102)
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2. « La seule qui écoutait Yshwa c'était moi, et il voyait bien que je m'en moquais. Il avait cette manière de me regarder, avec cette mine mi-aimante, mi-désolée, la tête penchée de côté, tandis que le noir des ombres que je tentais de lui jeter au visage glissait sur ses épaules.
"J'essaie simplement d'aider, tu sais." Sa voix était retenue, douce. Je m'en moquais.
"Je m'en fiche, lui ai-je dit. Va-t'en.
- Toi aussi je veux t'aider. Toi aussi je peux t'aider.
- Je n'ai pas besoin de ton aide. Va-t'en.
- Asughara", dit-il, et dans sa bouche mon nom sonnait comme le bouillonnement d'une source.
[…]
"Tu penses vraiment que ça aide, ce que tu fais avec Ada ?" a-t-il demandé, et j'ai senti ma rage faire pousser mes ongles, longs et pointus, rouge sombre comme son sang une heure après qu'ils lui avaient percé le flanc. J'ai croisé les bras et l'ai regardé fixement. Je voulais qu'il parte.
"Tu es en colère contre moi ? a-t-il demandé.
- Je ne veux pas de toi ici. Tu la rends triste. Tu lui rappelles trop de saloperies. Tu sais que je n'en ai rien à foutre de toi, mais tu comptes encore pour elle, et ça – j'ai fait un geste pour désigner sa présence sur mon marbre – tout ça ne fait que rendre les choses plus difficiles. Pour elle."
Il m'a regardée comme si j'étais une plaie. "Tu es tellement loin de chez toi", a-t-il dit, si doucement que j'ai cru qu'il se parlait à lui-même. Puis il a ajouté : "Je ne l'abandonnerai pas. Tu comprends ? [...] » (pp. 98-99)
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Video de Akwaeke Emezi (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Akwaeke Emezi
Finaliste du National Book Award en 2019. « Eau douce » (Freshwater), le premier roman de l'écrivaine nigériane Akwaeke Emezi est paru chez Gallimard, en février dernier dans une traduction de Marguerite Capelle. Ces débuts bruts et extraordinaires explorent la métaphysique de l'identité et de l'être, plongeant le lecteur dans les mystères de soi. Embarquez dans un voyage tout à fait fascinant avec sa traductrice.
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