Dans un ouvrage qui est bien plus qu’une vulgarisation de sa pensée, sans être pour autant un traité savant, Pascal Engel nous propose, de façon à la fois sérieuse et ludique, une introduction à sa propre philosophie de la connaissance scientifique.
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Une invitation à l'argumentation par le biais de dialogues passionnants et accessibles. Lecture chaudement recommandée.
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Mais les inconvénients du relativisme naïf sont bien illustrés par une anecdote qu'aime à raconter le philosophe britannique Simon Blackburn (Being Good, Oxford U. P., 2001). Les représentants des principales religions du monde sont réunis dans un débat télévisé. Le bouddhiste prend la parole et vante les mérites de la sérénité et de la sagesse. Les autres intervenants s'exclament en choeur: "Merveilleux, si cela marche pour toi, c'est génial!" L'hindou parle alors de la métempsycose et des enseignements de Krishna. Les autres intervenants s'exclament en choeur: "Merveilleux, si cela marche pour toi, c'est génial!" Le catholique prend la parole et expose le message du Christ et la promesse du salut et de la vie éternelle. Les autres s'exclament en choeur: "Merveilleux, si cela marche pour toi, c'est génial!" Mais le catholique tape alors du poing sur la table et s'écrie: "Mais non, la question n'est pas que cela marche pour moi! C'est la vérité du Dieu vivant, et si vous n'y croyez pas vous serez damnés!" Les autres intervenants s'exclament: "Merveilleux, si cela marche pour toi, c'est génial!" Le relativisme rend inaudible la position absolutiste: si toutes les confessions religieuses sont vraies "selon leur perspective" et si la perspective scientifique - darwinienne en particulier - devient elle aussi un perspective parmi d'autres, ni plus vraie, ni moins vraie que les autres, toute prétention à l'autorité, à la certitude ou à la vérité disparaît. Le catholicisme, l'Islam ou tout autre confession, ne peuvent plus proposer que leur certitude et leur vérité respectives, au même titre que la science qui ne peut proposer qu'un point de vue parmi d'autres. La religion y gagne, puisque la science se trouve ainsi mise sur le même plan qu'elle dans sa prétention à la vérité, mais toutes deux y perdent aussi, puisque cette prétention se révèle tout aussi déçue d'un côté que de l'autre. Il n'est guère difficile de comprendre que dans de telles conditions, les créationnistes tout comme leurs adversaires darwiniens aient envie de taper sur la table et de se récrier qu'il ne s'agit pas simplement que "cela marche pour eux".
EPILOGUE
L'automne approchait. Au loin dans la vallée de la Seine les arbres commençaient à roussir. On était fin août et j'avais passé près d'un mois au manoir d'I***. Je sentais mon amie mélancolique. Cette mélancolie me gagna. Un matin alors que nous devisions au salon, un silence se fit, et pendant un instant très fugitif je craignis d'être aussi balourd que Frédéric face à Madame Arnoux. Je n'ai pas encore décrit la Marquise d'U***. On ne peut pas vraiment dire qu'elle était belle. Elle était maigre, et son visage anguleux, son air de bas bleu lui donnaient une allure un peu sévère. Mais elle avait un beau regard profond et intelligent, la taille bien tournée, toute la finesse d'une femme d'idées, et un grand charme. J'aurais pu lui dire que la vue de son pied me troublait, mais je ne le lui dit pas. Elle avait encore, me dit-elle, du travail avec son intendant avant de rentrer à Paris, et ne voulait pas me retenir. D'ailleurs, me confia-t-elle, elle s'apprêtait à recevoir quelques jours un célèbre philosophe hédoniste et athée, avec lequel elle voulait s'entretenir, pour tester avec lui si sa foi tenait mieux qu'elle ne l'avait fait avec moi. Ne voulant surtout pas croiser ce disciple de la Mettrie, je saluai mon amie et m'en revins à Paris.
U. - Bravo! Bravissimo! On croirait entendre Monsieur Bergeret d'Anatole France!
E. - Vous ne pouviez, Madame, me faire plus joli compliment.
Conférence de Pascal Engel
Avec une nouvelle saison consacrée à la croyance, ce cycle de conférences interroge cette notion complexe et en examine les enjeux.
Les croyances sont souvent considérées comme des états psychologiques et associées à des illusions cognitives; or elles n'ont pas que des causes, mais aussi des raisons, ce qui autorise à esquisser une conception rationaliste de leur formation.
Conférence par Pascal Engel, philosophe, directeur d'études à l'EHESS, enregistrée le 20 mars 2024 à la BnF I François-Mitterrand.