L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat de
Friedrich Engels
1ère éditions 1884, cette édition de 1891 est rééditée par Les Bons Caractères en décembre 2023
étude scientifique, 223 pages
livre reçu et lu dans le cadre de masse critique Babelio avec un superbe marque-page (jeunes mineurs)
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Friedrich Engels publia cet ouvrage en 1884, après le décès de
Karl Marx, dont il avait été l'ami et l'indéfectible compagnon de combat. Il réalisait un des derniers projets de Marx, en partant de ses notes. Exploitant les études les plus récentes sur les premières sociétés humaines, il y démontre que l'oppression des femmes, les inégalités, l'explication et l'Etat ont une histoire et sont voués à être dépassés.
Co-auteur avec Marx du Manifeste du parti communiste, partenaire de la plupart de ses oeuvres, il applique à cette étude la méthode, la matérialisme historique, qui servit aux deux penseurs et militants, pour étudier et décrire l'évolution des sociétés de classes, et il démonte le processus de leur naissance. le résultat, aussi révolutionnaire que le livre de Darwin sur l'évolution des espèces, a une valeur immense pour qui veut que la société actuelle laisse place à une société socialiste.
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Tout d'abord un mot sur l'objet livre. Les Editions Les Bons Caractères ont produit un beau livre, d'un format pratique et bien imprimé, le texte est lisible et aéré et j'ai apprécié tourner le papier des pages pendant ma lecture. Et joie immense, pas de coquilles ! Ce qui devient rare malheureusement. Les notes en bas de pages sont intéressantes.
Alors pourquoi ai-je été intéressée par la lecture de ce livre? Tout d'abord, le sujet développé dans le titre m'a attirée avant le nom de l'auteur, que j'avoue ne pas connaître plus que ça même si je le situe tout de même. Je me suis dit que c'était l'occasion de m'intéresser à l'idéologie et à la théorie communiste, avant son application funeste au XXe siècle qui fait que je ne suis pas du tout attirée par cette doctrine.
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Engels produit là une étude sérieuse et documentée, et évidemment comme tout travail scientifique les arguments sont présentés de manière à étayer sa propre thèse. Ses sources sont variées et il en cite des passages, en critiquant dans un sens ou un autre. Ce n'est pas juste un essai où tous ses arguments seraient de sa propre imagination. Sa thèse est intéressante et plaisante, elle déstabilise pour le moins car elle va à l'encontre de ce qu'on a pu apprendre, même de nos jours. Mais ça tient la route, c'est ça le truc. J'ai été agréablement surprise de constater que c'est un auteur féministe (mais homophobe semble-t-il). le mot patriarcat ne faisait pas partie du langage courant avant une décennie tout au plus et j'ai été surprise de le rencontrer ici dès les premières pages. Je n'irai pas jusqu'à dire comme il le sous-entend, que les sociétés barbares étaient féministes, ce n'est pas ce qui m'a semblé à la lecture de ses explications. On nous explique plutôt pourquoi les barbares avaient telles habitudes sexuelles; il s'agit avant tout de se reproduire, et pas de déviances ou de vice, d'avoir une descendance et d'éviter la consanguinité, sans au départ le formuler clairement mais l'instinct de la perpétuation de l'espèce humaine a parlé dans l'inconscient des groupes.
Engels nous parle de tribus antérieures aux Grecs, aux Romains et aux Germains pour remonter le temps de manière détaillée jusqu'au IXe siècle, puis de manière plus survolée jusqu'à son époque. Il pose les bases historiques et sociales qui lui permettent ensuite d'amener sa thèse qui dit qu'il faut dépasser l'Etat à présent. Force est de constater que son livre est toujours d'actualité et que son rêve ne s'est pas réalisé.
Il est parfois difficile de suivre les liens de parenté dans une gens / gente mais l'auteur s'applique à être le plus clair et le plus rigoureux possible.
Un bémol: Engels parle d'esclavage, au temps antique mais laisse de côté l'esclavage des Temps modernes, peut-être parce que les esclaves ne sont pas en Europe, là où il développe sa thèse, ce qui n'est pas cohérent avec ses mentions de sociétés hors d'Europe dans le reste de son livre. En termes d'exploitation ne pas parler du commerce triangulaire me semble être plus qu'un raccourci dommageable. J'ai particulièrement aimé les explications sur les tribus indiennes américaines qui donne un éclairage, nouveau, en tous cas pour moi, à ce qu'on peut lire par ailleurs. Ce que propose Engels en conclusion de son ouvrage va au-delà du communisme à mon sens, c'est un stade ultérieur de la société par l'émancipation des exploité.e.s pour un fonctionnement sociétal tout autre que l'actuel, de son époque et de la nôtre.
Je ne regrette pas du tout cette lecture qui m'a donné un angle de lecture différent et éclairé sur la famille actuelle, le cheminement des sociétés pour en arriver là. Lecture marquante, instructive, dérangeante, mobilisatrice.