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3,88

sur 162 notes
Gagnante du premier challenge NetGalley France, j'ai eu la chance de recevoir en cadeau un très joli colis de livres. Parmi tous ses trésors a été glissé Simple de Julie Estève.
Il s'agit d'une avant première car ce roman fait partie de la rentrée littéraire de la rentrée 2018, et ne sortira que le 22 août ! Hier, j'ai pris le temps de le dévorer pendant quasiment deux heures, pour mon plus grand plaisir.
On ne l'appelle jamais Antoine Orsini dans ce village perché au coeur des montagnes corses mais le baoul, l'idiot du coin. À la marge, bizarre, farceur, sorcier, bouc émissaire, Antoine parle à sa chaise, lui raconte son histoire, celles des autres, et son lien ambigu avec Florence Biancarelli, une gamine de seize ans retrouvée morte au milieu des pins et des années 80.
Qui est coupable ?
Le narrateur est donc Antoine, l'idiot du village. Il nous explique sa vie avec ses mots, c'est naïf, tendre. Il y a beaucoup de poésie dans sa parole. Et de la violence parfois, car il n'est pas toujours tendre, il peut être brutal parfois.
Dès le début nous savons que Florence est décédée, mais qui la tué ? Antoine ? L'extraterrestre, qui la courtisait ? L'homme mystérieux qu'elle rencontrait en boîte de nuit ? Ou... Car il y en a des coupables quand on creuse un peu ...
Nous découvrons la vérité des yeux d'Antoine. Parfois le récit est un peu décousu car il a tendance à passer du coq à l'âne, ce qui est crédible. Il est censé être simple d'esprit et donc il peut se perdre dans ses pensées par moment.
J'ai apprécié le ton de ce roman. C'est une bonne idée de faire parler Antoine, le ton est juste et l'auteure ne va pas dans la facilité. Il n'y a pas trop de clichés, c'est très intéressant.
Il n'est pas tout à fait le seul narrateur, à la fin son frère parle, et une autre voix termine ce récit. Mais le narrateur principal est Antoine.
J'ai aimé découvrir la Corse et la vie particulière de l'idiot du village.
C'est bien écrit, je me suis laissée par ce récit et en deux heures je l'avais lu. Vite lu certes mais pas forcément vite oublié, c'est un personnage que je n'oublierais pas tout de suite, c'est sur.
Je mets un joli quatre étoiles pour ma première lecture de la rentrée littéraire.
Une bonne surprise, que je vous invite à découvrir à sa sortie :) Bonne lecture ;)
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Le récit de vie d'un baoul, un idiot du village, qui vous amène, avec ses mots à lui, à sa vérité. Et vous révèle la noirceur ordinaire des hommes dans la lumière crue qui brasille le maquis corse.
Dans un village perché dans les montagnes corses, Antoine Orsini est connu sous le nom de baoul, l'idiot du coin. Il confie à sa chaise son histoire, celle des autres habitants ainsi que son lien avec Florence Biancarelli, une adolescente de 16 ans retrouvée morte en forêt dans les années 1980 et dont le meurtrier n'a toujours pas été retrouvé.
Entêtant comme la marjolaine sauvage, "Simple "n'est pas un livre que l'on referme facilement.
Lien : https://collectifpolar.blog/..
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e me souviens lors de la rentrée littéraire avoir lu beaucoup de chroniques sur ce roman mais j'ai attendu un peu avant de la découvrir, je savais de quoi il parlait, je voulais choisir le bon moment pour le lire. Pourquoi, un pressentiment, une prémonition que sais-je mais je me doutais qu'il allait avoir de l'effet sur moi. Bonne pioche. Dès les premières lignes j'ai été embarquée, bouleversée, émue, intriguée, interpellée :

On ne dira pas ici comment il est mort. Ce qui l'a tué. On écoutera dans les odeurs de maquis, de marjolaine sauvage, la voix d'un homme qui, pour certains ou le reste du monde, n'en était pas un tout à fait. (p5)

Le décor est planté : on est en Corse avec son côté sauvage, mystérieux, rude,  nature, dans un petit village où tout le monde se connaît, ou certains ont des côtés obscurs, comme Pierre qui parfois porte une cagoule. Et puis comme parfois dans les petits villages où tout le monde se connaît, il y a un être différent, un simple, vous savez l'idiot du village, celui dont on rit, celui dont on se moque, celui sur lequel on se venge, le responsable de tous les maux. 

Là dans ce village c'est Antoine Orsini de son vrai nom, car il a un nom, un prénom même si les autres l'oublient, qui erre de rue en rue, qui furète, qui observe, qui voit mais ne comprend pas toujours tout, mais qui ne peut partager avec personne ses pensées, ses découvertes car personne ne l'écoute, personne ne le comprend, personne ne s'intéresse à lui, c'est le baoul comme ont dit là-bas :

Et alors ils vont gueuler ferme-la le mongol ! Voilà ce qu'ils vont dire à coup sûr, oh ! je sais bien comment ils m'appellent, y a tellement de mots sales dans la langue en français pour causer de moi ! (p6)

Ce que j'ai particulièrement apprécié dans ce court roman, c'est le travail d'écriture de Julie Estève : se glisser dans la peau d'Antoine, restituer ses pensées, son parler, ses émotions et sentiments, avec réalisme avec ses mots à lui pour nous parler de ce qu'il subit dans sa famille, de son père alcoolique violent, de l'abandon de la part de Pierre, son frère qui a d'autres préoccupations, de Tomasine, sa soeur, qui a fui le village dans l'espoir d'une carrière à Paris.

On a tous rencontré un Antoine enfin moi j'en ai déjà rencontré, dans un village, un quartier, celui dont tout le monde se moque, livré à lui-même, ignoré de tous mais reconnu par eux dès qu'il se passe quelque chose d'anormal dans la communauté.

Dès le début du récit, Julie Estève n'y va pas par quatre chemins, on comprend qu'Antoine est mort et même mort on crache encore sur sa tombe, mais lui il va revenir pour nous révéler, à sa manière, l'histoire de sa vie.

Je n'en dirai pas plus, 116 pages, c'est court mais là c'est intense, moi cela m'a noué le coeur et les "tripes", on sent le drame arrivé, Antoine ne cache rien, il est naïf, il dit les choses comme elles sont, il éprouve des sentiments et les exprime, pas toujours bien, pas toujours au bon moment, pas toujours à la bonne personne, ne distinguant pas ce qu'il faut dire et ce qu'il faut taire et pourtant il détient des vérités. Quand il n'y a pas personne pour l'entendre il part dans la nature, il arpente les collines, il connaît les chemins et il parle à ceux qui peuvent l'entendre : les arbres, une chaise ou Magic, son seul ami....

L'écriture est délicate mais précise et percutante, dans le choix des mots pour restituer l'univers de cet homme, le milieu où il vit, l'ambiance, le parler de chaque personnage. Un exemple, page 108, la succession des mots pour faire ressentir, et c'est très réussi, l'effondrement du monde d'Antoine......

Les dernières pages m'ont chavirée : douleur, tristesse, gâchis, injustice, mais aussi colère sur nous, notre société, sa violence, quelques derniers mots, phrases, chanson sur fond de vérité, qui ne sera jamais révélée.

Quand je découvre un tel roman, je sais pourquoi je lis, pourquoi j'aime lire : pour partir pour un voyage dans les émotions, dans la vie, retrouver des sensations éprouvées, des sentiments vécus, écrits avec justesse, avec poésie mais aussi efficacité, nous faire rêver parfois mais aussi confronter à notre société, aux humains dans toute leur beauté parfois mais aussi dans toute leur noirceur.

Merci à Julie Estève de m'avoir alpaguée, émue, d'avoir si bien raconté Antoine, le simple qui était un poète à sa manière, qui aimait Florence, qui n'aurait pas fait de mal à une mouche et pourtant la souffrance il connaît,  elle fait partie de sa vie mais il ne l'exprime pas ainsi. Il raconte, il nous raconte, sans jugement, simplement ce qu'il vit.

Il avait ce rêve qui dévorait tout. Il faisait avec des fleurs des bouquets qu'il donnait aux autres. Les autres le traitaient de fillette, comme si être une petite fille était une vieille honte. En grandissant, les insultes ont pris du poids, la cruauté des galons. (p110)
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"Simple"
Je l'avais repéré, reposé.
Sans même savoir ce qu'allait me dire ce livre, je l'ai pris. Ne l'ai pas retourné : je fais fi des 4ème de couverture.
Premiers mots : le décor est planté ; le titre trouve sa justification.
Antoine : simple. le voilà qui m'entraîne en Corse dans son village, dans son débit de paroles. Dans les arbres. Dans ses délires joyeux. Dans la violence qu'il subit. Cascade de gestes durs, flots de mots qui blessent. Je ressens personnellement la douleur. Et lui ? Trop simple
La candeur côtoie la naïveté et la folie. Les uns souffrent et espèrent tandis que d'autres manipulent, échafaudent des plans. Simple de s'attaquer aux faiblesses. Trouver un coupable idéal pour un meurtre ? Simple.
Puis Antoine déverse sa peur, sa colère par quelques phrases, quelques suites de mots mais aussi par 91 mots isolés.
Une page et demi pendant laquelle je déverse mes larmes, pleure au rythme de la peur, de la souffrance scandée par Antoine. Pause : le 18ème chapitre me laisse le temps d'essuyer mes larmes. le 19ème chapitre les fera rejaillir. Elles célèbreront la fin de ma rencontre avec Antoine. Encore des larmes. Plus guère de mots.
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Il n'est pas facile, pour un adulte, de parler comme le ferait un enfant. Peut-être encore moins comme un simplet, un trisomique. Peut_on savoir ce qu'il pense, comment il arrange ses mots?
Ma lecture n'a pas été agréable, parfois ennuyeuse.
En revanche, j'ai rencontré des personnages bien typés, mesquins ou méchants, mais malheureusement ressemblants. Qui mettent mal à l'aise.
J'ai apprécié la construction du roman, mais pas adhéré à l'histoire.
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Le baoul, en Corse, c'est l'idiot du village, celui dont on se moque, celui qu'on accuse lorsqu'on retrouve le corps d'une jeune femme sans vie dans la forêt.

L'auteure a essayé de se mettre à la place du personnage en employant un langage qui pourrait être le sien. C'est parfois poétique, parfois cru, souvent cruel, parfois attendrissant, toujours empli de candeur. Ca a déjà été fait, ça n'en est pas moins intéressant, on se laisse prendre au jeu, on écoute ce personnage nous raconter son histoire, ou plutôt raconter son histoire à sa chaise. Il nous balade, Antoine, dans une direction, dans une autre, on se dit qu'il l'a fait, puis non, c'est plutôt cet autre personnage, puis non, encore un autre. Au final, on ne sait pas, puisqu'il ne le sait pas, mais on s'en fiche, ce qui nous importe c'est autre chose, ce sont ses mots, ses faux pas, ses réactions, sa vie, le regard des autres sur lui (il est pas bien beau l'être humain !).

J'ai avalé ce roman en deux gorgées, il se lit vite, trop vite, j'ai adhéré à l'histoire, elle m'a émue, par moments, elle m'a retournée un peu, mais pas suffisamment.

Une petite chose m'a agacée : trois séries d'énumérations, pas franchement indispensables, je les ai parcourues rapidement. La dernière s'explique, les autres non.

Et puis je pense que je l'oublierai assez vite, par manque de consistance.
Lien : https://www.babelio.com/livr..
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C'est l'enterrement d'Antoine Orsini. Qui ça, me dites-vous ? Antoine Orsini ?

Ah oui le baoul, c'est comme cela qu'on l'appelait dans le village.


Nous sommes dans un village de montagne corse. Antoine se souvient et nous raconte sa vie, enfin pas à nous mais à cette chaise trouée en plastique blanc qu'il avait trouvée.


Antoine lui raconte sa vie. A la marge, il était. C'était le "simplet" du village, différent des autres, il était la cause de tous les maux.


Antoine nous parle de son enfance. Cadet de trois enfants, à la maison il était déjà rejeté.


A l'école, les enfants étaient cruels avec lui, c'était le marginal que seule Mademoiselle Madeleine avait aimé, mais elle était au cimetière aujourd'hui ! tout comme son amie Florence Biancarelli qu'il avait retrouvée morte sous les pins l'été 87.


Mais qu'était-il arrivé ? Ses souvenirs, ils nous les conte comme ils lui reviennent, dans le désordre, lui qui un peu chapardeur, un petit peu voyeur savait tout ce qui se passait dans ce village.


Avec lucidité, poésie , il nous partage ses émotions, les secrets du village.


La construction est particulière, un peu déstabilisante au départ mais toute appropriée au récit. Une écriture poétique, un style bien propre qui nous permet d'entrer en quelque sorte dans la tête du "baoul", de le comprendre.


Un très joli récit sur la différence, le regard des autres, c'est si facile de juger, de rendre responsable de tous les maux celui que l'on ne connaît pas, ne comprend pas. C'est facile d'être jugé coupable lorsqu'on est différent.


C'est une LC avec ma binôme Julie des Petites lectures de Scarlett. J'ai été séduite par l'histoire, la sensibilité et la poésie apportée au personnage, en est-il de même pour elle ?


Son avis se trouve ici



Ma note : 8/10
Lien : https://nathavh49.blogspot.c..
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Simple est le second livre de Julie Estève… Je ne l'aurais certainement pas lu s'il n'avait pas fait exceptionnellement partie de la sélection des 68 premières Fois qui comporte aussi quelques seconds romans… et je suis ravie de l'avoir ainsi découvert.

J'aime bien m'interroger sur le sens des titres… Est simple ce qui est constitué de peu d'éléments organisés de manière claire ; est simple aussi ce qui est facile à comprendre, à suivre, à faire, à appliquer… ; est simple encore ce qui est réduit à l'essentiel, sans surcharges d'aucune sorte ; est simple ce qui se suffit à soi-même, qui n'a besoin de rien pour produire l'effet attendu… ; est simple tout ce qui ni complexe, ni compliqué…
Le personnage principal de ce roman est un idiot de village, un « baoul » comme on dit en Corse, un « simplet » comme on dirait chez nous, un « pas fini », un « pas futé », un innocent crédule et confiant… Il nous raconte à la première personne son histoire et celle de quelques autres et c'est tout, sauf simple… Certes, c'est naïf et ça manque un peu de finesse, c'est souvent scatologique, pas très ragoutant ; mais c'est toujours franc et direct, naturel et sans prétention, élémentaire et déterminé, primaire et sans détours…
Quand le « baoul » devient bouc-émissaire, il met en lumière l'intolérance, la différence… Quand Julie Estève lui donne la parole pour raconter la vie d'un village corse replié sur lui-même au coeur des montagnes, pour poser son regard sur des relations de couples, des ambiances familiales, des rebellions adolescentes, plus rien n'est simple si ce n'est la nature avoisinante…

Ce roman est construit comme un thriller psychologique où l'auteure distille au compte-gouttes des détails et des informations qui laissent entendre que l'enquête sur la mort de la jeune fille dont le corps a été retrouvé au milieu des pins il y a plus de quinze ans a été menée de manière un peu trop simple, justement.
L'écriture est déroutante car le narrateur parle à sa manière et que ses mots ne sont pas les nôtres… D'ailleurs, ce n'est pas à nous, lecteurs, qu'il s'adresse : il parle à une vielle chaise en plastique réduite peu à peu à un simple pied cassé… C'est une langue orale, délirante, grossière, imagée, poétique parfois, cruelle souvent…

Simple est un roman original et j'aime être surprise… J'ai souvent été bousculée dans ma lecture, écoeurée même par l'urine, la merde et les crachats, par les raccourcis bien-pensants de certains personnages aussi, émue finalement par les plus cabossés. J'ai été intriguée par un style, par les suites énumératives qui ponctuent la narration. J'y ai trouvé une certaine idée du tragique, au sens classique de ce qui provoque horreur et pitié, avec une notion de prédestination funeste aussi.
Julie Estève développe avec courage des thèmes qui ne sont pas simples, au-delà des apparences trompeuses, des idées reçues, de la notion de bouc-émissaire : la sexualité des personnes handicapées mentales n'est pas souvent abordée en littérature.
Moi, je dis « bravo ! ».
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On enterre Antoine Orsini. Que personne n'a jamais appelé ainsi. Anto, le mongol, le « baoul ». L'idiot du village et son bouc émissaire. Jusqu'au bord de la tombe on lui crachera dessus. Personne n'a jamais vraiment su le comprendre. Après ce prologue grave, c'est sa voix qu'on entend et qui ne vous quittera plus de tout le roman. Sa candeur touchante et enfantine contre des hommes qui ne cessent de le rejeter. Lui, il ne les comprend pas bien. Depuis tout petit, il essaie de s'intégrer de se prêter aux jeux (la plupart du temps, cruels et dirigés contre lui) en riant de bon coeur. Il ne met de pathos en rien, il décrit les choses telles qu'elles sont, simples et terrifiantes. Il ne porte jamais de jugements, n'enjolive jamais rien.

Il décrit son existence, et la manière dont ce village se moque de lui en permanence et le prend en grippe. le responsable de tous les maux sera forcément le "baoul". Alors quand il découvre cette jeune femme, Florence, morte assassinée, c'est lui qu'on soupçonne et qu'on condamne. Alors que lui c'est le simple d'esprit, pur et innocent. Si seul qu'il n'a pour véritable confident qu'une chaise à qui il raconte toute son histoire. En l'emmenant dans les hauts lieux de sa vie, en lui racontant les gens, la belle Vanina, sa « femme » qui fut si gentille avec lui un soir de bal et qu'il essaie sans cesse de revoir, même si elle n'est pas forcément d'accord. Madame Madeleine, son institutrice, la seule à avoir montré de la bonté envers lui et dont il chérit le souvenir. L'Extra-terrestre amoureux fou de Florence pendant des années et qui le charge d'espionner sa belle. Elle-même, entichée d'un affreux bonhomme qu'Antoine déteste.

La force de ce livre, c'est la voix incroyablement tangible qu'il donne à entendre. La sensibilité marginale dont il se fait l'interprète. Julie Estève a une force d'incarnation et de suggestion exceptionnelle. On connaît Antoine intimement, par son lexique naïf, par ses réactions souvent très drôles tant elles sont déplacées. Il ressemble à un enfant qui n'aurait aucun des codes pour se comporter en société. A travers son regard, elle paraît étrange, comique et totalement absurde. Les êtres autour de lui sont vicieux, cruels, sadiques. Il préfèrera toujours les choses aux hommes. Proche de la nature et des éléments, il aura l'intuition des désastres, presque des visions d'avenirs et de cataclysmes, des prophéties apocalyptiques.

On intègre son décalage, la colère rentrée qu'il laisse éclater parfois en souhaitant voir ce village et tous ses habitants balayés. Son innocence absolue, son incapacité à voir le mal et à en être pourtant sans cesse le témoin perplexe. La horde va forcément se liguer contre lui, un peu comme cette bourgade aux trousses de Robert Redford dans La Poursuite impitoyable de Arthur Penn. Quand la rumeur et les préjugés ordinaires mènent aux curées les plus affreuses. Quand la foule a besoin d'un bouc émissaire à condamner pour expier ses propres fautes. Forcément ça sera lui qui est si « indressable », lui qui comprend si peu les gens et souvent de travers. Dans son récit et ses mots presque enfantins on est témoins en creux de ce que l'incompréhension et la bêtise des bons citoyens peut faire subir au non-alignés, aux mauvaises herbes, aux « différents ». Plus le récit se developpe, plus on a peur pour lui et de la méchanceté autour de lui qui finira par causer sa perte, d'une manière ou d'une autre. La fatalité était annoncée d'emblée et l'étau se resserre. La gorge du lecteur se noue.

Antoine, on finit par l'aimer incroyablement fort. Il transforme la laideur du monde en curiosité, la méchanceté en rire et la bassesse en grâce. Sa façon de ne jamais penser à mal. Sa sensibilité chamanique à la nature, aux saisons, aux paysages. Sa manière de réagir à la mort, à la religion, à la prison, à son dépucelage aussi. Il est d'un naturel incroyablement touchant et désarmant.

On songe à ce sourire qu'il oppose à presque tout. A son incroyable besoin d'amour, à sa dévotion aux esseulés et aux exclus quand tout le monde les a lâchés. A sa manière de grimper aux arbres pour continuer à parler avec Florence et lui faire oublier un peu ses larmes. C'est un coeur incroyablement pur qui met en lumière toute la noirceur qui l'entoure. Il incarne un malentendu d'une grande noblesse.

Jamais on ne le quitte. Malgré le tout début, on se prend à lui souhaiter un peu de bonheur et un peu de répit. On rigole souvent avec lui. On est soulagés quand il croise des gens un peu bienveillants avec lui et ses étranges manières de gamin négligé.

A travers ce point de vue qu'elle épouse totalement, Julie Estève fait vivre et frissonner un monde, une galerie de portraits impressionnants de vérité, avec ce regard lucide, ironique et impitoyable sur la nature humaine qui était déjà le sien dans Moro-Sphinx mais qui est empreint ici d'une grande empathie et d'une tendresse immense pour son personnage. Antoine a éclairé l'univers de sa curieuse grâce d'insoupçonnable voyant, et bien souvent ses mots et sa simplicité deviennent éminemment poétiques. C'est puissant. C'est une sagesse brute. Ça fait sourire et même éclater de rire parfois. Ça fait peur et pleurer. Ça émerveille et ça désole.

Ce roman est un merveilleux oxymore. Il est délicat d'en rendre toute la finesse et toute la générosité, tout ce qui vous traverse quand vous le lisez. C'est fulgurant de justesse, de tendresse, d'humanité, de désespoir aussi.
Lien : http://www.nicolashouguet.co..
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Antoine Corsini est mort. Cela secoue un peu le village corse où il a vécu. Pas beaucoup. Que restera-t-il de lui, l'idiot, le simple, le baoul ? Ses années de prison après avoir été condamné pour la mort de la jeune Florence Biancarelli ? Sa chaise à laquelle il parle beaucoup ? Son ami Magic, mutique mais toujours présent pour l'écouter ? Il faut plutôt écouter le monologue de cet homme bousculé depuis l'enfance, moqué et dont il est si facile de tirer profit, mais qui jamais ne se laisse aller à la haine ou au repli. « C'est pas parce qu'on est abîmé qu'on est plus bon à rien. » (p. 17) Dans ce village rural, reculé, presque isolé et coupé du monde, tout le monde se connaît et, d'une certaine façon, tout le monde se hait. « Vu que c'est étroit ici, tout le monde a une vengeance en tête avec un mort non élucidé. » (p. 27) le meurtre non élucidé de Florence prend tout son sens quand on écoute le récit simple et plein de sagesse de l'idiot. Sans le savoir, le pauvre Antoine a toujours eu la preuve de son innocence et celle de la culpabilité de tout un village.

J'avais beaucoup apprécié le premier roman de Julie Estève, Moro-Sphinx, où il était également question de solitude et de détresse. Ici, l'autrice dépeint une terrible et sordide tragédie d'amour, d'autant plus insupportable que plusieurs coeurs purs sont piétinés. D'autant plus atroce que l'innocence d'âme et de fait est sacrifiée à la mesquinerie collective. Cependant, l'immédiateté du récit d'Antoine, sans fard ni mensonge, est comme un baume, car le lecteur sait qu'il ne lit pas une confession. Ce roman me rappelle un autre Simple, celui de Marie-Aude Murail, ô combien plus lumineux, mais qui porte un regard tendre sur les rejetés et les différents, ceux qui ne collent pas au modèle et sont donc d'autant plus précieux.
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