G. Courbet: Sa Vie et ses Oeuvres

Au Salon de 1850-51, il n'expose pas moins de neuf tableaux, dont trois sont considérés comme ses oeuvres les plus caractéristiques. L'enterrement à Ornans, les Casseurs de pierres, les Paysans de Flagey revenant de la foire. Les cinq autres étaient le portrait de l'auteur, celui de l'apôtre Jean Journet partant à la conquête de l'harmonie universelle, le rival en fouriérisme de Considérant, qu'il a accablé des plus violentes invectives, les Bords de la Loue, une vue du Château de Scey en Varais le portrait de Francis Wey, exécuté en 1848, et celui de Berlioz, au sourire de diplomate amer.

En 1854, le peintre représente sur une toile de moyenne et même de petite dimension, le futur poète des Fleurs du mal. Assis sur des coussins rouges, Baudelaire tient de la main droite un vieux livre brun à tranches rougeâtres ; sa lèvre serre une pipe fortement culottée ; ses cheveux sont coupés ras, et le visage à l'oeil noir et brillant, aux teintes roses et éclatantes est presque imberbe. Le costume est sinon bizarre, du moins d une étrange couleur. Baudelaire porte une cravate d'un jaune d'or et une chemise bleue, mais les deux teintes s'harmonisent à merveille. Il était alors fort jeune, et sa célébrité ne dépassait guère le quartier latin. Les premières Fleurs du mal, venaient de paraître. Il était l'un des meilleurs amis de Courbet, ce qui ne l'empêcha pas de manifester plus tard la haine la plus vive contre l'oeuvre et le peintre.

Voici un artiste à la popularité tapageuse, dont les oeuvres ont soulevé autant de dénigrements passionnés que d'admirations enthousiastes qui du premier au dernier jour a marché dans la vie, escorté de bruit, entre deux haies de clameurs contraires. Ses admirateurs l'ont placé au-dessus du Titien et de Rubens ; ses adversaires l'ont déclaré le dernier des barbouilleurs, charlatan grossier et sans valeur.

En 1847 il envoie au Salon le portrait d'un de ses compatriotes, M. Urbain Cuënot, au visage vigoureux et sensuel : une déception nouvelle l'attend : Le jury refuse le tableau. Le peintre ne se décourage pas et l'exposition de 1840 compte sept de ses toiles, Une après dîner à Ornans, la Vendange à Ornans, le portrait de l'auteur, celui de Trapadoux, et trois paysages, la vue du Château de Saint-Denis, les Communaux de Chassagne et la Vallée de la Lotie. Ces divers ouvrages attirent l'attention, et on commence à croire au talent du peintre, à voir en lui un artiste indépendant, doué d'une rare vigueur d'exécution. L'après-dîner à Ornans, réunion de types provinciaux, reproduits avec une sincérité et une énergie surprenantes, révèlait un effort original et fut surtout chaleureusement accueilli.

Son influence, son talent ont été étudiés et appréciés dans de nombreux articles de revues et de journaux, dans diverses brochures d'écrivains d'un haut mérite ; un récit complet et détaillé est encore à faire. Les biographes du peintre n'ont pris de sa vie que ce qu'il en fallait pour éclairer, expliquer et justifier son oeuvre, et se sont le plus souvent bornés à quelques anecdotes, à quelques traits généraux. C'est l'ensemble de cette existence mouvementée, laborieuse et féconde que je me propose de retracer, c'est non seulement l'homme, c'est l'oeuvre du maître que j'examinerai, en la retirant du faux jour que peuvent jeter sur elle l'éloge d'amis trop ardents, et le blâme d'adversaires systématiques.