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EAN : 9782021375374
656 pages
Seuil (04/01/2018)
3.27/5   188 notes
Résumé :
1868-1927 : de l'invention de l'impressionnisme à la traversée de l'Atlantique par Lindbergh, un Normand établi à Étretat entreprend le récit de sa vie. Orphelin de mère, jamais reconnu par son père, il s'est installé chez son oncle, dans la splendeur des falaises, après avoir été blessé lors de la sanglante aventure coloniale en Algérie.

Sous son regard, un homme peint : c'est Monet. Pour le jeune homme, qui ne connaît rien à la peinture, c'est un ch... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (55) Voir plus Ajouter une critique
3,27

sur 188 notes
La « Terrasse à Sainte Adresse » (1867) qui orne la couverture de la « Falaise des fous », m'évoque mes arrières grands parents. le siège du Havre en 1870 fut la première tragédie de mon grand père, alors nouveau né, qui connut plus tard les affres de la grande guerre. Mes parents sont nés entre les deux guerres mondiales dans le Pays de Caux et j'ai grandi dans le triangle Rouen, Dieppe, Honfleur où Patrick Grainville nous emmène sur la trace des impressionnistes...

Autant dire que ma critique est forcément biaisée par mon attachement à la Normandie et l'éblouissant talent avec laquelle l'auteur évoque les falaises d'Etretat, Fécamp et Varengeville, les plages de Deauville et Trouville, les pluies et les brumes normandes et nous restitue l'animation du Havre et de Rouen à la charnière entre le XIX et le XX siècle. La peinture qu'il brosse est exacte, détaillée et superbe … les galets ne changent guère au fil des millénaires … renouvelés par la falaise qui recule progressivement.

« Jadis, j'ai embarqué sur la mer un jeune homme qui devint éternel.
J'ai du apercevoir Claude Monet aux extrémités de la grève, au pied de la falaise d'Aval. Mais ce n'était pas le premier peintre que je voyais hanter Etretat ».
Ce génial et mémorable incipit ouvre 643 pages qui couvrent les soixante années 1868-1927 et dessinent ce que la Normandie et Etretat ont apporté au monde des arts, dans un univers bouleversé par la technologie, les moyens de transport et l'évolution des mentalités.

L'invasion et la Commune revivent avec Bazille, Courbet et Victor Hugo. L'affaire Dreyfus avec Zola et Péguy. La grande guerre avec Alain Fournier et Apollinaire. La révolution russe et l'ascension de Hitler. Mais aussi le Titanic, les tragédies minières et les grèves ouvrières. Blériot, Nungesser et Coli puis Lindbergh.
Et, dans ce contexte, nous accompagnons Boudin, Degas, Flaubert, Hugo, Maupassant, mais aussi Paul Durand-Ruel et François Depeaux qui les firent connaitre dans l'ancien et le nouveau monde.

Cette fresque est intéressante, instructive, mais parfois laborieuse avec des chapitres non titrés qui s'étirent et se répètent. Cette oeuvre est plus proche des « choses vues » de Victor Hugo que d'un roman … car il n'y pas d'intrigue et le narrateur Charles Guillemet et les femmes qui l'entourent ne sont guère emphatiques.

Mais ce livre est une véritable mine d'or de citations extraites des correspondances ou des articles d'Aragon, Breton, Cendars, Clémenceau, Courbet, Degas, Hugo, Lorrain, Léger, Monet, Poughon, etc. qui montrent les évolutions de leurs pensées, voir leurs contradictions, au fil des mouvements de l'opinion publique dominante…

Regrettons enfin que l'éditeur n'ait pas relu sérieusement ce texte et laissé passer en page 363 une manifestation à « Barre-le-Duc » … de quoi faire sursauter Michel Bernard dont, à mon humble avis, « Les deux remords de Claude Monet » restent la plus merveilleuse évocation du grand artiste.
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Bon, c'est du lourd. Une fresque à la jointure de deux mondes, la fin du XIXº, le début du XXº, avec comme fil conducteur l'art, la peinture et comme lieu emblématique la Normandie, plus précisément les falaises d'Etretat.
En fait, malgré quelques fulgurances et une chronique impeccable de la guerre 14-18, ce roman représente assez bien ce qui m'insupporte, la littérature feuille-de-route.
Je crois que Proust a fait une métaphore là-dessus, en décrivant ces fleurs japonaises qui de bouton sec et rabougri éclosent au contact de l'eau. Un (bon) roman c'est ça : le projet de départ s'est métamorphosé en un truc pas complètement prévu, bousculé par les mots toujours plus connotés qu'on ne le croit, l'inconscient jamais assez bridé et ce relou de lecteur capable de voir des trucs que l'auteur n'avait pas mis et qui y sont pourtant.
Un roman feuille-de-route, c'est l'inverse: l'auteur part de la fleur déployée parce que c'est celle-là qu'il a en tête et pas une autre et il la rentre à grands coups d'écrabouillages dans le bouton d'origine pour que le projet et l'oeuvre finale soient identiques comme si le romancier était un maître d'oeuvre consciencieux arc-bouté sur son devis.
Le résultat est une oeuvre laborieuse, aux effets soulignés à grands traits, sans espace de liberté.
Par exemple, le narrateur n'existe pas. Il n'a pas de vie propre. Il n'est là que pour servir les plans de l'auteur. Il naît en 1847 pour pouvoir évoquer la guerre de 1870. Il passe son temps à se promener sur les plages, ce qui lui permet de rencontrer Monet à dates fixes, ce grand dadais ne va qu'une seule fois au bordel, c'est pour y croiser Maupassant, il fournit moult détails de ses exploits sexuels, c'est pour mieux évoquer Courbet et l'origine du monde, sa voix s'exalte à décrire les Meules de Monet en un pastiche des Illuminations, tiens c'est Rimbaud qui se radine, il déteste son père, il est vrai que Freud a découvert l'inconscient en 1900...
Et pour être sûr que le lecteur a bien compris qu'il s'agit pour Grainville d'exalter l'art de la Belle Époque, le roman multiplie les citations, les pastiches, les connotations, les références, les clins d'oeil appuyés et l'entre soi. Il faut dire, et ça c'est drôle, que le narrateur s'apelle Guillemet. La description d'une plage ? C'est « Pierre et Jean » De Maupassant. Un accouchement bien saignant ? Piqué à Zola. Une phrase réunissant éventail, miroir et cygne (« effleuré par un éventail, reflété dans un miroir, vacillant, vieux cygne incliné, raffiné que peignit, jadis, Manet »), on tourne la page en soupirant : bien sûr, le narrateur croise Mallarmé. Un cattleya surgit au détour d'une phrase, pas de surprise, c'est bien Proust qui vient faire coucou. On se croirait dans les quizz culturels du Nouvel Obs d'été.
L'histoire parfois pose problème. Bien sûr, l'affaire Dreyfus c'est du nanan: Zola peut débarquer en majesté. La Commune aussi est facile à caser: il suffit de faire la liste des artistes qui l'ont défendue et de ceux qui l'ont honnie. Mais pour rester dans le thème jusqu'au bout, quelques acrobaties sont souvent nécessaires. Comment relier la catastrophe de Courrière et les peintres impressionnistes ? Fastoche: « Le feu. Pendant des jours et des jours, sans repères, sans le soleil levant, sans le couchant, sans aube. le plein air de Boudin, de Monet, tu parles ! » L'éruption du Vésuve , quelques mois après, peut-elle trouver sa place dans cette évocation de la peinture au tournant du siècle ? Grainville ne recule devant rien : « C'est un Vésuve de couleurs que font jaillir les nouveaux trublions de l'art, les fauves ». Blériot traverse la Manche ? « Impression, soleil levant : à ma montre, il est 4 h 30. le moteur est en marche. Blériot lance : « Lâchez !  » . Un navire est coulé par un sous-marin allemand ? « Ainsi, nos eaux sont hantées par la présence allemande, son ubiquité. La Vague de Courbet masque les torpilleurs ». Lindbergh vole au-dessus de l'Atlantique? de Lindbergh à Monet, il n'y a qu'un pas: « Plus au nord, l'océan encore et toujours, semé de glaçons bleus et roses, de nénuphars de porcelaine immaculée »... Etc.
Ce matraquage systématique est pourtant loin de nous raconter l'époque. Les faits sont là, les personnages historiques aussi, mais leur intimité est celle de nos contemporains. le narrateur gifle sa maîtresse qui l'accuse d'avoir violé des kabyles. Mais on est au XIXº! Y'avait pas de hashtag « Balance ton porc »! Quelle femme en voulait à un homme d'avoir lutiné une Indigène ? Quel homme se sentait humilié d'être ainsi accusé ? Ou bien, on se retrouve à lire des affres de nouveau père: « Je dus m'avouer que je n'étais pas tout à fait sur la bonne voie. Je m'étais aperçu qu'en cas d'angoisse Charlotte rejoignait toujours les bras de sa mère. de ce donjon, elle me regardait et me repoussait d'un geste d'une grande injustice. Aline me disait avec douceur que je ne pouvais pas tout à fait être un compagnon de jeu d'égal à égal et détenir l'autorité d'un père. ». Crédibilité zéro, Aldo Naouri, sors de ce texte!
Et je passe sur les évidences assénées d'un ton pénétré (« L'homme aime la guerre, Charlotte ») ou les capacités divinatoires des personnages (genre demain les postiers n'existeront plus ou bien l'Allemagne va vouloir se venger et déclenchera une nouvelle guerre).
Quant au style... oui, c'est vrai que parfois il nous emporte. D'autre fois (assez souvent) j'ai baillé. Et de temps en temps, je me suis demandée si Grainville atteignait le sublime ou s'il barbotait dans le pur grotesque: « un gros grain de beauté sombre tel le caca d'un cake planté dans le pli des seins… » ou alors c'est qu'il ne s'est pas relu (et je le comprends: une fois suffit): « La Manneporte n'a pas le maniérisme gothique de l'Aval. Elle n'est pas une métaphore. Elle ne rampe pas comme la porte d'Amont biscornue. La Manneporte se carre, plein cadre. Large et trapue. Campée sur son châssis tellurique. C'est une basilique. » Ah ben non, Patrick, si l'arche d'Etretat n'est pas une métaphore, elle ne risque pas d'être une basilique.
Maintenant, je suppose qu'en cas de vacances sur la côte d'Albatre, c'est une lecture qui se tente. Ou pas.










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Ou comment un livre qui possède tous les ingrédients pour me plaire se révèle finalement plutôt ennuyeux et décevant… L'époque (dernière moitié du 19ème siècle et début du 20ème), le thème (les peintres, l'art, la passion…), les lieux (Etretat, la Normandie, les paysages immortalisés par Monet, Courbet, Pissaro…), tout conspirait à me faire acheter ce livre, y compris la magnifique illustration choisie pour sa couverture (Terrasse à Sainte-Adresse de Claude Monet, toile peinte en 1867). Et puis ça commençait bien avec ce superbe incipit : « Jadis, j'ai embarqué sur la mer un jeune homme qui devint éternel ».

Alors, que s'est-il passé ? Rien de désagréable à vrai dire. L'auteur met en scène un narrateur, Charles, qui entreprend de raconter sa vie, une vie passée en Normandie, notamment à Etretat. Revenu blessé d'Algérie dans les années 1860, il accepte la proposition de son oncle de s'occuper de ses différentes propriétés normandes et mène une vie assez oisive, ne se lassant de contempler les magnifiques paysages offerts par les falaises, y compris depuis la mer sur laquelle il navigue avec son petit voilier. Il est bientôt fasciné par les peintres et les personnalités qui se succèdent dans la région, Monet, Courbet, Boudin mais également Maupassant, Flaubert et Hugo. La liaison qu'il entretient avec Mathilde, une femme plus âgée que lui, mariée et habituée au grand monde parisien contribue à forger sa culture et à lui ouvrir des horizons artistiques. Plus tard, ce sera Anna, la belle-fille de Mathilde qui prendra le relai. En 1927, au crépuscule de sa vie, Charles a vécu les belles années de transformation dans tous les domaines artistiques, architecturaux, industriels et économiques mais également deux guerres meurtrières alors qu'une autre se profile mais qu'on n'en connait pas encore les monstruosités à venir.

Je crois que le manque d'intrigue est venu à bout de mon intérêt premier. J'ai commencé par être agacée par cette concentration de célébrités, cette impression de « name-dropping » qui laisserait penser qu'il n'y avait pas d'autres promeneurs à Etretat que des peintres et des écrivains. Un agacement que j'avais déjà ressenti avec le livre de Gaëlle Nohant, Légende d'un dormeur éveillé mais qui s'était dans ce cas rapidement dissipé parce que l'intrigue avait vite pris le dessus, portée par la magnifique figure de Robert Desnos. Là, ça n'a pas été le cas. Je n'ai pas réussi à m'intéresser au personnage de Charles ni à sa façon de traverser la période. Surtout, pour avoir beaucoup lu à la fois sur la période, sur les peintres (qui sont des personnages de roman que j'affectionne particulièrement) et ceux qui les entourent, j'ai eu l'impression à chaque moment de ne rien apprendre et surtout d'avoir lu des choses bien meilleures sur chacun des grands hommes dont il est question. Je pense, entre autres, au merveilleux livre de Michel Bernard, Deux remords de Claude Monet ou encore à celui de Judith Perrignon, Victor Hugo vient de mourir qui possèdent une force bien plus convaincante. Enfin, le style quelque peu désuet ne contribue pas à dynamiser la lecture.

Ce fut donc une lecture décevante malgré la qualité littéraire certaine de ce texte qui pour moi manque surtout de modernité, ceci expliquant peut-être cela.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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J'avais lu des critiques dithyrambiques. J'ai donc voulu m'en faire ma propre opinion. Et je m'étonne : tout ça pour ça ? Certes, le littérateur a eu envie de parler de nombreux artistes, du changement d'époque, des écrivains. Tout cela entremêle de quelques histoires d'amour et d'un narrateur fade. Trop de culture tue le plaisir. Dans un langage trop soutenu, l'auteur s'étale sur des pages interminables de tout ces artistes connus qui ont peint à Etretat. Pour les lecteurs qui ne sont pas férus de peinture, ils seront découragés dès le départ. J'apprécie Monet, mais voir ce personnage perpétuellement grimper sur les falaises et peindre. Une fois, deux fois, fallait-il remplir un quota de page pour en arriver à une telle logorrhée ? Mais il n'y a pas que Monet, rassurez-vous, vous aurez aussi droit au fameux nu de Courbet, vu et revu, des passages et repassages. Pendant que notre narrateur prend pour maîtresse la femme de son voisin, et ensuite la fille. Lui de même doit égrener ses conquêtes et gonfler le nombre de lignes.
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1927: Un vieil étretatais nous livre ses mémoires...
Tous ces fous, ces barbouilleurs de couleurs: Monet, Courbet et quelques autres originaux scribouillards face à l'océan et au ciel infini: Maupassant, Hugo, Flaubert...

Ce roman est un livre d'images, une rétrospective picturale d'amoureux de la Normandie, de ses ciels, de la mer, du travail des hommes. On y parle de couleurs tout azimut, d'Histoire de l'Art au plus près des artistes. On s'immerge dans le tourbillon créatif d'une Belle Époque coincée entre deux guerres (70 et 14/18), ses progrès technologiques, ses soubresauts sociaux et politiques. La période est une manne romanesque pour composer une intrigue, dessiner un décor, comprendre les mentalités de modernité.

Il est donc bien dommage qu'en dépit d'un fort intérêt pour l'époque, je me retrouve à besogner pour avancer dans un récit dont l'érudition au burin casse le plaisir de lecture. Dans cette photographie de groupe de célébrités, il manque de la matière, une consistance des personnages, un liant romanesque pour les faire vivre et non les énumérer ou les décrire. le livre semble hésiter en permanence entre roman et essai. À mi-parcours, constat pour ma part de ne rien apprendre de nouveau, je passe l'éponge...

Car Grainville, c'est un style!

Impertinent et bourratif, foisonnant et lyrique, un sens de la formule, un jeu de plume où les mots s'amusent d'expressions détournées et de clins cocasses littéraires ou artistiques. On déguste (ou pas) l'écriture avec gourmandise jusqu'à l'indigestion, tout en saluant la connaissance historique. L'auteur en fait malheureusement un peu trop et on peine à le suivre dans ses envolées, à se demander s'il ne cherche pas à coller à son titre de « Fous » par cette frénésie débridée.

Juste mon avis...

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critiques presse (7)
LaPresse
22 mars 2018
Dans une fresque historique dépeinte sur 60 années, Patrick Grainville met au premier plan les impressionnistes et l'histoire. L'auteur brosse le portrait d'un jeune homme, Charles Guillemet, blessé en 1867 en Algérie.
Lire la critique sur le site : LaPresse
Bibliobs
23 février 2018
Ici, les personnages s'appellent Courbet, Boudin, Monet, Flaubert, Maupassant. Une belle fresque signée Patrick Grainville.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LePoint
30 janvier 2018
Fresque flamboyante signée Patrick Grainville, « La Falaise des fous » (Seuil) relate l'épopée impressionniste sur la Côte d'Albâtre.
Lire la critique sur le site : LePoint
LeMonde
19 janvier 2018
Dans « Falaise des fous », l’écrivain brosse une histoire de la peinture de Courbet à Monet à travers le parcours immobile d’un petit rentier d’Etretat.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeFigaro
17 janvier 2018
Patrick Grainville s'attache au singulier destin d'un groupe de peintres et d'écrivains liés à Étretat, la ville dont les falaises inspirèrent tant de chefs-d'œuvre.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LaCroix
05 janvier 2018
Le flamboyant Patrick Grainville, Goncourt 1976, brosse une vaste fresque, de la naissance de l’impressionnisme aux années 1920. Son plus beau livre.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LaCroix
05 janvier 2018
À 70 ans, l’ex-enfant terrible des lettres n’a rien perdu de sa fougue, revendiquant toujours son enivrante liberté romanesque.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (76) Voir plus Ajouter une citation
Picasso se moque des vieux soleils du père Monet. La lumière, c'est lui. Il peint Verre et Bouteille de Suze ! Il inscrit la marque publicitaire populaire, en relief, sur un foisonnement de fragments de journaux collés, de novembre 1912. Des articles sur le conflit des Balkans et sur le meeting de l'Internationale ouvrière au Pré-Saint-Gervais contre la guerre, les canons Krupp et Schneider. Quarante mille voix chantent alors l'hymne au 17e regiment mutiné : « Salut, braves pioupious ! » Proudhon, partisan d'un art social utilitaire, aurait été indigné de voir l'Histoire ravalée à l’état de fond illisible, la lutte ouvrière servant de quadrillage gribouillé, de collage à des entourloupes cubistes et à une bouteille de Suze. Mais l'art moderne ne recrache pas le réel littéral. Il le défigure et démultiplie ses efflorescences dans un geste de liberté et de transgression. Monet le sait bien. Et si, un jour, les archives sociales de 1912, pour des descendants lointains, n’étaient plus déchiffrables que par la Suze de Picasso, dans un recoin de quelque musée épargné, bunker américain ?

Vive Picasso ! Vive le Pemod !
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C'est au Havre que ma mère est née. Au Havre que l'impressionnisme est né. Au Havre que Courbet se lie avec Boudin dont il admire les marines. Au Havre et à Paris que Boudin découvre les caricatures que Monet dessinait alors et devient son maître. Boudin, parrain et passeur de Monet. Un beau jour, au débotté, en 1868, Monet et Courbet débarquent chez Alexandre Dumas, le père des Trois Mousquetaires, installé dans la ville. Grandes embrassades tonitruantes des deux ogres : Courbet et Dumas se découvrent, se reconnaissent et s'empoignent. Des bustes, des crinières ébouriffées, des chemises béantes. À tu et à toi tout de suite ! Dumas invite à dîner Gustave et Monet jouvenceau. On dirait un conte. Non, ils ne mangeront pas le jeune homme aux petits oignons. Dumas leur sert une omelette aux queues de crevettes.
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Boudin a peint l'effervescence extraordinaire du port de Bordeaux où les terre-neuviers de Fécamp pouvaient débarquer, à la belle époque, soixante mille morues par bateau. Oui, Boudin était fait pour saisir les quais de Fécamp saturés de foule et d'adieux. Il a peint encore ces extraordinaires régates du Havre grouillantes de cohues, de vent, de voiles, de mouvement marin. Ou le futur Pissarro des ports et des foules urbaines ? Boudin et Pissarro, dans sa dernière manière, possédaient le génie du charbonnement métaphysique de la création, de son grain rude que Monet allait volatiliser dans la lumière hallucinée. Mais l'âme de Fécamp est une secrète fulmination de ténèbres. Pour Monet, le dieu de la peinture était le soleil. Et la brume légère qu'il n'en finissait pas de percer. Pour Boudin, c'était Jupiter transformé en nuage. Les baigneurs et les baigneuses, les crinolines de Trouville et de Deauville étaient lo sous la caresse du divin, du précieux nuage.
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À bord de la Ville de Saint-Nazaire, un capitaine perdu rejoignait l'île du Diable. Dreyfus était en route pour le bagne. Le même jour. Le Gaulois annonçait qu'une lettre d'Emile Zola faisait savoir à l'Académie qu'il posait sa candidature pour le fauteuil de Ferdinand de Lesseps. Il serait débouté. Rien ne reliait encore le misérable déporté de l'Atlantique et le romancier briguant un titre honorifique. Un océan d'iniquité et d'ignorance les séparait. Pourtant, le destin, à qui il arrive d'avoir des envolées d'albatros, réservait au damné le trône absolu de l'innocence et à l'exclu qui lui porferait secours le Panthéon du Juste, auprès d'Hugo. Personne n'aurait parié, ce jour-là, que la mer de l'exil était le chemin de deux éternités qui marchaient l'une vers l'autre.
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Je lis tout haut un paragraphe à ma petite famille :

- «Une seule injustice, un seul crime, une seule illégalité, surtout si elle est officiellement enregistrée, confirmée, une seule injure à l'humanité, une seule injure à la justice et au droit, surtout si elle est universellement, légalement, nationalement, commodément acceptée, un seul crime rompt et suffit à rompre tout le pacte social, tout le contrat social, une seule forfaiture, un seul déshonneur (...). C'est un point de gangrène qui corrompt tout le corps. »

- C'est quoi la gangrène ? demande Charlotte, plus impressionnée par mon émotion que par le contenu du discours.

- C'est la pourriture, la décomposition, le mal.

Péguy, fou de conscience, rejoindra dans mon cœur, lors de ma lecture de 1910, l'Olympe de ma Falaise des Fous de création.
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Vidéo de Patrick Grainville
Lecture de Patrick Grainville tiré du livre Figures d'écrivains, dirigé par Étienne de Montety.
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Pour en savoir plus : https://www.albin-michel.fr/figures-decrivains-9782226436351
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