Deux livres comme deux jumeaux assis tête-bêche dans ce superbe écrin blanc immaculé.
Linda Lê et
Claude Eveno se sont associés, dans une sorte de chant du cygne, peu avant leurs propres morts, pour une oeuvre poétique, véritable ode à « l'irréel ».
« Souviens-toi que tu vas mourir, se répétait-il. Cette cantilène, curieusement, l'aidait à vivre ». N'est-ce pas un récit conçu comme un viatique que nous propose
Linda Lê, pour qui la mort est un des thèmes de prédilection ? Sa langue bien pendue, avec des mots ciselés et choisis avec le plus grand soin, usant souvent d'allitérations et assonances suggestives nous emportent dans le rêve éveillé de ce narrateur sans nom, mais dont il nous semblera au final tout connaître, car nous suivons son évolution de l'enfance jusqu'à la quarantaine.
« Tout appartenait au cauchemar et au rêve. […] Il était le héros d'histoires horrifiques, le protagoniste de contes des milles et un mauvais rêves, le personnage central de fables meurtrières, le spectre suceur de sang, le fantôme qui hantait les nuits de vampire, le
roman-photo illustré par des clichés sanglants. »
Ce « nageur à contre-courant », chez qui tout est dans « l'entre-deux » est obnubilé par la mort et trouve refuge dans l'admiration constante et sans bornes de collages « où la mort se trouvait omniprésente », où elle figurait comme une salutaire « possibilité d'aller à la rencontre de son autre moi, si avide de sensations inédites, si quémandeur de frissons nouveaux ».
Le lecteur est vite sensible à l'esthétisme de cette oeuvre bicéphale, car à lui aussi après tout « il lui semblait que le duel avec la MORT avait toujours constitué l'essentiel de son existence ».
Je retiens avec grand émoi ce collage expressément nommé (p. 38) et intitulé « Tristesse ».
Je me suis d'abord imprégnée de la grande délicatesse des collages pour ensuite goûter le texte de
Linda Lê, qui m'a une nouvelle fois renvoyée à l'observation plus attentive des collages dont les diverses sources sont citées en fin d'ouvrage.
Un livre magnifique des éditions Sens & Tonka que je découvre ainsi.