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EAN : 9782908825084
Arfuyen (18/01/1996)
4.75/5   8 notes
Résumé :
Ce livre constitue la première traduction en français de l’une des grandes voix de l’Iran moderne.
J’ai froid
J’ai froid à tout jamais
O ami, unique ami /
Mais ce vin-là datait de quand ?
Regarde comme le temps est lourd ici
Reqarde comme les poissons mangent ma chair
Pourquoi me maintiens-tu toujours
au fond de la mer ?
Forough Farrokhzad est morte à l’âge de 33 ans dans un accident d’auto... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Iran, 1950, Forough Farrokhzad a 16 ans. C'est une jeune fille de bonne famille dont le destin semble tout tracé. Elle se mariera avec un bon parti, fera des enfants et tiendra bien sa maison. Mais cette vie confortable et sans éclat, la jeune Forough n'en veut pas. Adolescente ombrageuse au fort caractère, elle se refuse à un mariage de raison et obtient d'épouser son cousin dont elle est amoureuse, un poète de 12 ans son aîné, sans fortune. de cet amour naîtra un garçon. Mais très vite Forough, qui a commencé à écrire et à publier ses poèmes se sent à l'étroit dans son couple. Quatre ans après son mariage, les deux époux divorcent donc et Forough obtient enfin cette liberté à laquelle elle a toujours aspiré.

Mais la liberté acquise a toujours un prix, surtout pour une femme. Pour Forough, qui devra abandonner son fils, le prix sera exorbitant et lui laissera une blessure vive, une douleur jamais apaisée. Forough se jette alors à corps perdu dans la vie, les rencontres et l'écriture. Avait-elle le pressentiment d'une mort précoce? Entre 20 et 30 ans, Forough écrit beaucoup et sa poésie s'accorde à sa vie. Au cours de ces années, elle voyage, elle aime, elle expérimente les métiers d'actrice et de réalisatrice. Elle a soif de voir et de connaître le monde. Elle fuit également le pays qui lui vola son fils. Elle réclame l'oubli. "Je m'en vais pour me perdre comme une larme chaude dans les plis de la jupe noire de la vie", écrit-elle. La jeune fille devient femme et s'épanouit tandis que ses poèmes quittent la tradition de la poésie persane très codifiée pour acquérir une liberté de forme et de fond. Sensuelle, rebelle, la poésie de Forough affirme alors le droit à la liberté et le rejet de la société patriarcale. Mais tout s'arrête brutalement le 13 février 1967. Forough meurt dans un accident de voiture. Elle n'avait que 33 ans.

"Saison Froide" regroupe ses derniers poèmes. Ce sont pour moi les plus graves, les plus émouvants et peut-être aussi les plus sincères. La poétesse s'y livre dans une forme libre qui ne s'encombre plus du souci de plaire. Elle creuse sa douleur, celle de l'absence du fils qu'elle n'a plus revu depuis son divorce, celle aussi d'un certain exil volontaire, loin de ses racines et de sa famille.
"C'est une promenade mélancolique
Dans le jardins des souvenirs" qu'elle partage avec son lecteur.

Ces poèmes sont d'une grande sensibilité, presque à fleur de peau et parfois au bord des larmes. Forough souffre depuis toute jeune de troubles bipolaires qui lui font traverser des déserts d'ombre et de glace. Cette souffrance, cette vie qui parfois se met à distance sont la matière de ces poèmes de la saison froide.

"Je parle du fond de la nuit
Je parle du fond de I obscurité
Et je parle du fond de la nuit
Si tu viens chez moi, mon amour,
Apporte-moi la lumière et une lucarne
Pour que je regarde
La foule de la
ruelle heureuse" (Poème "Cadeau")

A cela s'ajoute une colère, celle d'une femme qui n'accepte plus de faire semblant.

"On peut être comme des poupées mécaniques,
Regarder son monde avec deux yeux de verre.
On peut dormir des années dans une boîte de feutre
Avec un corps plein de pailles
Parmi paillettes et voiles.
Et par la pression de n'importe quelle main dévergondée
crier sans raison et dire
Ah que je suis heureuse" (Extrait du poème "Poupée mécanique")

Ces poèmes de la maturité nous laissent imaginer la richesse de ce que Forough aurait encore pu nous offrir. Fauchée en plein élan, sa poésie subversive a fait d'elle, à jamais, une icone féministe. Pourtant, celle qui me touche, ce n'est pas tant la rebelle que cette femme à la fois forte et fragile, cette femme blessée douée d'un incroyable pouvoir de résilience. Avec ses grands yeux couleur de nuit, Forough incarne tout à la fois la liberté des femmes, l'envie d'aimer et le courage d'être soi. Pour de nombreuses femmes, cette liberté est encore un combat à mener tandis que pour d'autres, qui la croyaient acquise, elle se fissure dangereusement. Alors pour toutes, qu'elles soient d'Afghanistan, du Texas ou de la rue d'à côté, la poésie de Forough Farrokhzad libère une formidable énergie, celle de la résistance.

Enfin je tiens à rendre hommage aux traducteurs, Valérie et Kéramat Movallali. Traduire n'est jamais chose aisée, particulièrement lorsqu'il s'agit de poésie et leur approche sensible a, me semble-t-il, su rendre à la poésie de Forough Farrokhzad toute sa fluidité et sa musicalité.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Une autre naissance
     
Toute mon existence est un morne verset
Qui te répète et qui t’amène
A l’aube des floraisons
et des croissances éternelles
Dans ce verset
Je t’ai soupiré
Dans ce verset
Je t’ai greffé
à l’arbre,
à l’eau,
au feu.
     

     
La vie,
C’est peut-être entre deux étreintes,
Dans l’engourdissement de l’heure,
Allumer une cigarette
Ou la silhouette confuse d’un passant
Qui, ôtant son chapeau avec un sourire banal,
Dit à un autre
bonjour.
     
La vie,
C’est peut-être
Le moment sans issue
Où mon regard se fond
Dans la prunelle de tes yeux.
     
Et dans tout cela
Il y a une sensation
Que je mêlerai à la perception de la lune
Et à celle des ténèbres.
     
Dans une pièce,
Qui mesure une solitude,
Mon cœur,
Qui mesure un amour,
Regarde aux prétextes naïfs
De son bonheur
A la belle ruine des fleurs dans le vase
Au jeune plant que tu as mis en terre
Dans le jardin de notre maison
Et aux modulations des canaris
Qui chantent
A la mesure d’une fenêtre
     
Ah…
C’est ma part
C’est ma part
Ma part,
C’est un ciel dont un rideau me prive
Ma part, c’est descendre un escalier abandonné
     
Et rejoindre quelque chose
Dans le dépérissement et l’exil
Ma part,
C’est une promenade mélancolique
Dans le jardin des souvenirs
Et rendre l’âme dans la tristesse d’une voix
Qui me dit:
je t’aime
     
Je plante mes mains dans le jardin
Je verdirai,
je sais
je sais
je sais
Et les hirondelles pondront
Dans le creux bleui d’encre
De mes doigts
     
Je pends une boucle
A mes oreilles
Faites de deux cerises rouges jumelles
Et je colle à mes ongles
Des pétales de dahlia
Il y a une ruelle
Où les mêmes garçons
Qui étaient amoureux de moi
     
Avec leurs cheveux en bataille
leurs cous minces
et leurs longues jambes
Pensent encore aux innocents sourires d’une fillette
Qu’une nuit
Le vent emporta
     
Il y a une ruelle
Que mon cœur a volée
Aux quartiers de mon enfance
     
Voyage d’un volume sur la ligne du temps
Et féconder d’un volume la ligne sèche du temps
Le volume d’une image consciente
Revenant de la fête d’un miroir
     
Et c’est ainsi
Que quelqu’un meurt,
Que quelqu’un reste
     
Aucun pêcheur
Ne trouvera de perle
Dans le ruisseau modeste
qui coule dans un fossé.
     
Moi,
Je connais une petite péri triste
Qui habite un océan
Et qui souffle son cœur
Dans une flûte de roseau
si lente, lente
Une petite péri triste
Qui, la nuit, meurt d’un baiser
Et d’un baiser à l’aube
naîtra.
     
     
(Traduit du persan par Valérie et Kéramat Movallali)
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Plus que cela, Ah oui, Plus que cela, on peut rester silencieux.

On peut, durant des heures,
D’un regard comme celui des morts,
Fixer, immobile, la fumée d’une cigarette.
Fixer la forme d’une tasse,
Le motif décoloré sur un tapis.
Fixer une ligne imaginaire sur le mur.

On peut, d’une poigne sèche,
Tirer le rideau d’un côté et voir
Qu’au milieu de la rue, il tombe des cordes,
Qu’un enfant, avec ses cerfs-volants colorés
Est debout sous un porche,
Qu’une vieille charrette quitte la place
A une vitesse tumultueuse.

On peut rester sur place,
A côté du rideau, mais aveugle, mais sourd.

On peut crier,
D’un cri fort artificiel, étranger
“j ‘aime !"

On peut être dans les bras dominants d’un homme,
Une femelle belle et chaste,
Avec un corps comme une nappe en cuir,
Avec deux gros seins durs,
On peut souiller la chasteté d’un amour
Dans le lit d’un ivrogne, d’un fou, d’un vagabond.

On peut mépriser, avec ruse,
N’importe quelle énigme étrange,
On peut ne faire que des mots croisés.
On peut se bercer de la trouvaille d’une réponse absurde,
Une réponse absurde, oui, de cinq ou six lettres.

On peut, toute la vie durant, s’agenouiller,
La tête penchée, devant un mausolée froid.
On peut voir Dieu dans une tombe inconnue.
On peut se convertir avec un sou.
On peut pourrir dans les portiques d’une mosquée
tel un vieux psalmodiste.

On peut avoir toujours le même résultat :
Ainsi le zéro dans les déductions, additions et multiplications.
On peut considérer ses yeux dans leurs paupières de colère
Comme le bouton décoloré d’un vieux soulier.
On peut se dessécher comme une flaque sans eau.

On peut cacher avec pudeur la beauté d’un instant
Au fond d’une malle, telle une photo noire, instantanée et ridicule.
On peut pendre, dans le cadre laissé vide d’une journée,
L’image d’un condamné, d’un vaincu ou d’un crucifié.
On peut couvrir la fente du mur avec des masques.
On peut s’incorporer des images encore plus absurdes.

On peut être comme des poupées mécaniques,
Regarder son monde avec deux yeux de verre.
On peut dormir des années dans une boîte de feutre
Avec un corps plein de pailles
Parmi paillettes et voiles.
Et par la pression de n ‘importe quelle main dévergondée
crier sans raison et dire
Ah ! que je suis heureuse.

(Poupée mécanique)
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La nuit glissait derrière les carreaux
Et absorbait de sa langue froide
Le restant du jour évanoui

Je viens d’où ?
Je viens d’où pour être si embaumée
du parfum de la nuit ?
La terre de sa tombe est encore fraîche
Je parle de ces deux mains jeunes et vertes...

Que tu étais tendre, ô ami, unique ami
Que tu étais tendre quand tu mentais
Que tu étais tendre quand tu fermais
les paupières des miroirs
quand tu coupais les lustres des branches argentées
quand tu m’emmenais dans les ténèbres cruelles
vers les pâturages de l’amour
jusqu’à l’effluve chancelante
qui suivait l’incendie de la soif
et qui s’apaisait sur la pelouse du sommeil. p 33

Merci à Mathias Enard et son beau livre Boussole qui m'a offert, entre beaucoup d'autres, la joie de découvrir Forough Farrokhzad
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(..)
La vie,
C’est peut-être une longue rue où passe,
Chaque jour,
Une femme avec un panier
La vie,
C’est peut-être une corde
Avec laquelle un homme se pend
A une branche
La vie,
C’est peut-être un enfant
Qui rentre de l’école.

La vie,
C’est peut-être entre deux étreintes,
Dans l’engourdissement de l’heure,
Allumer une cigarette
Ou la silhouette confuse d’un passant
Qui, ôtant son chapeau avec un sourire banal,
Dit à un autre
bonjour.

La vie,
C’est peut-être
Le moment sans issue
Où mon regard se fond
Dans la prunelle de tes yeux.
(...)

(Extrait du poème "Une autre naissance")
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S’emparer d’un texte en le pénétrant à fond, en découvrir et recréer les forces vives, représente une démarche que l’on ressent dans sa chair, mais qu’on ne peut pour ainsi dire ni expliciter ni systématiser. On ne peut se passer d’une intimité gourmande et lucide avec l’histoire de la langue considérée.
Outre donc ce cheminement avec l’auteur, il y a dans la traduction un fort
désir de se faire rencontrer deux langues avec lesquelles on nourrit une
véritable relation d’amour.

(Au sujet de la traduction, extrait de la préface de Valérie et Kéramat Movallali )
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Videos de Forough Farrokhzad (11) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Forough Farrokhzad
La journaliste, réalisatrice et écrivaine, Abnousse Shalmani explore le lien entre l'intime et le politique dans son livre "J'ai pêché, pêché dans le plaisir". L'ouvrage met à l'honneur deux femmes poètes qui défient les conventions de leurs époques et se retrouvent autour d'un point commun : assumer leur désir en même temps que leur quête de liberté. D'un côté, Forough Farrokhzad qui vit en Iran dans les années 1950 et de l'autre Marie de Régnier, muse maîtresse du poète Pierre Louÿs au temps de la Belle Epoque. Ces deux femmes, dans leurs vies respectives, ont trouvé la liberté dans l'amour du point de vue de la chair. Un combat toujours d'actualité aujourd'hui, dans une époque marquée par "le retour d'un discours puritain", selon Abnousse Shalmani, qui ne conçoit pas la liberté de penser sans la liberté du corps et va même plus loin en abordant la liberté sexuelle des femmes et leur rapport au plaisir. Un exemple parlant entre liberté du corps et liberté de penser, et qui donne espoir, est le droit d'avortement, sacré quelques jours plus tôt dans la Constitution française.
Retrouvez l'intégralité de l'interview ci-dessous : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/
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