J'ai beaucoup aimé ce récit de voyage, à la fois pour le contenu et pour la forme. L'auteure parcourt les 5 ex-républiques soviétiques d'Asie Centrale et nous livre à la fois son impression d'ensemble et les spécificités de chacune d'entre elles. C'est écrit sans fioritures, dans un style très naturel, ce qui rend la lecture agréable.
La phrase la plus importante du livre est sans doute celle-ci :
"Le 31 août 1991, l'Ouzbékistan proclama son indépendance. La motivation n'en était pas tant un fort désir d'indépendance nationale qu'une volonté d'échapper aux réformes libérales de
Gorbatchev et de maintenir le système tel qu'il était."
Car l'Asie Centrale d'aujourd'hui rassemble toutes les tares du système soviétique : on y retrouve des dirigeants inamovibles, deux des cinq pays devenus indépendants en 1991 avaient toujours pour président en 2014 le secrétaire général du parti communiste des années 1980. On y pratique le culte de la personnalité, partout sauf au Kirghizistan les portraits des dirigeants sont affichés partout et ses statues décorent toutes les places publiques. Quant au dirigisme, il est toujours en place, les Ouzbeks continuent la culture du coton imposée par Staline par exemple, et "des centaines de milliers de médecins, de professeurs, d'infirmiers, de bureaucrates et d'autres employés du public, ainsi que les étudiants du pays, sont convoqués pour ramasser le coton". Quand on connait le désastre écologique provoqué par cette culture (disparition de la mer d'Aral), on peut s'étonner de voir l'Ouzbékistan perpétrer la même erreur.
Ces pays ont les tares du système soviétique mais en ont souvent perdu les avantages. le chômage a fait son apparition et le système de santé ne fonctionne souvent plus. A tel point que les Turkmènes en mauvaise santé n'ont pas le droit de sortir du pays car ils constituent "une critique indirecte contre le régime". Malgré tout la population a tendance à considérer que "c'était mieux avant", en faisant fi de la brutalité du régime soviétique. Mais au moins ils se sentaient citoyens d'un grand pays, ce dont ils sont bien loin aujourd'hui. Les dirigeants entretiennent un semblant de grandeur en faisant construire des édifices majestueux (et coûteux) grâce à l'argent du pétrole, mais à part les grandes villes, le reste du pays est souvent en état de décrépitude.
L'auteure nous présente également les traditions sociales des pays qu'elle visite, et on constate que le machisme a encore de beaux jours devant lui. Les Tadjiks entre autres enlèvent une femme lorsqu'ils veulent se marier, et celle-ci n'a guère de choix : elle subirait l'opprobre de ses voisins si elle insistait pour regagner le domicile de ses parents.
Un petit bémol sur les paragraphes historiques, ceux qui concernent l'ex URSS sont nécessaires (après tout le titre est Sovietistan), par contre ceux qui se passent au début du 2ème millénaire auraient pu être abrégés. C'est la seule réserve que je mets à ce livre qui, ceci mis à part, est un récit intéressant raconté de manière très vivante.