Point n'est besoin d'être un fanatique de l'indicateur des chemins de fer pour apprécier cette lecture où il n'est pas question de vitesse pour cet observateur restant à quai qui s'extasie devant cette énorme masse de ferraille qu'un simple petit pois dans un sifflet parvient à faire démarrer !
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LA VIE BON TRAIN / PROSES DE GARE
Dès les vacances les liquettes et les shorts sont portés de plein droit, conformément au régime d’été. Les tenues ressorties ont l’air encore neuf quand surgissent hors des trains, peu rompus au soleil, les corps dans leurs maillots qui soulignent tout leur blanc. Les vêtements rétrécis ou débordés par les chairs ont cédé la place à la peau. Elle refait surface, abondante, en paires de seins, de bras, en ventres et en dos, version estivale. Des nus bardés de sangles et de bretelles. Parés pour le bain de mer, les enfants grimpent avec leurs seaux, leurs pelles, des bouées en forme de canard autour du cou, et le sac isotherme, et les mères. Tout le prêt-à-porter des plages. Ce sont les mêmes au retour qui reviendront hâlés, alourdis d’épuisettes et de coquillages. Les mêmes avec les marques du bronzage qui révèleront, par défaut, ce que furent les vacances : les cyclistes aux fronts blancs à hauteur des casquettes, les chevilles pâles des randonneurs à la place des chaussettes, et puis le hâle irréprochable des bords de plage. L’intégrale.
Extrait 2
Un douze août vers la mer, la locomotive en hypotension démarre, sans émotion. Tous stores baissés, car il fait déjà chaud, le dernier train quitte la gare en longeant le parapet poussiéreux. Dotée de quais mais où manque la grève, la gare à marée basse est déserte en saison. Tout le monde est parti. Plus aucun train n’attend au creux du jour qui poudroie : les départs sont faits. Ici le temps est le plus lent du monde sous les aiguilles d’une énorme pendule qui marque par à-coups l’heure légale. Des avancées discrétionnaires – un coup brusque, un coup rien – dans le pur exercice d’un pouvoir assoupi : vacance. Ainsi que du bois échoué sur la plage, les épaves humaines, c’est le cas, dorment comme des souches. Nul ressac ; rien ne les réveillera pour l’heure. Les perspectives sont vides, c’est l’été : les quais abandonnés des trains repartis à la mer laissent à leur vacuité les idées libres de se reproduire, vaquer comme elles voudront dans cet espace privé d’humains, élargi soudain. Y manque un peu de flou, celui tremblant des corps qui passaient en temps ordinaire.
Extrait 1
Le bruit de la gare interdit l’accès aux clameurs de la ville, en fait un lieu d’autarcie sonore vivant de ses seuls éclats. Se mêlent au brouhaha humain les cris d’oiseaux qui traversent le hall. Les mouettes et les corbeaux, les pigeons, les moineaux rivalisent avec le cri des femmes et des enfants. Les hommes se hèlent et jurent en aparté, nom de dieu, qu’il n’entend rien, l’animal. Pour peu qu’elle devienne insistante, la rumeur scandée ressemblerait au fracas des manifestants rassemblés dans les parages, et qui approchent. En fait c’est un groupe en voyage qui braille de près l’hymne inspiré du cri d’antan ‒ zéro, zéro ‒ entonné par les porteurs de quilles, naguère boules à zéro, qui rentraient soudain seuls dans leur contrée. Et finalement allegretto, c’est une femme en retard ce soir qui rompt le tempo. De ses talons martelant la dalle un instant elle attire l’oreille puis les regards, chassant des crânes l’autre cadence. Ses pas sans mesure sortis de la musique vont la porter voie cinq, en clé de sol où démarre la nouvelle partition.