AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782707355065
160 pages
Editions de Minuit (07/03/2024)
4.77/5   13 notes
Résumé :
Si Charlotte Delbo n'a jamais publié de recueil de poèmes de son vivant, la poésie n'en est pas moins une préoccupation constante dans son oeuvre. Les premiers textes littéraires qu'elle fait paraître à son retour de déportation sont sept poèmes, publiés en revue un an à peine après son retour de déportation. Elle ne cessera plus dès lors d'écrire des poèmes qu'elle compile dans des cahiers et insère dans la plupart de ses livres. Le « langage de la poésie » sera to... >Voir plus
Que lire après Prière aux vivants pour leur pardonner d'être vivants et autres poèmesVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Issue d'une famille d'immigrés italiens, membre des Jeunesses communistes, résistante en 1941 aux côtés de son époux Georges Dudach, Charlotte Delbo et lui sont arrêtés par la police française en mars 1942. Son mari sera fusillé au Mont Valérien. Elle, sera déportée vers la Pologne.

C'est en avril 1945, après vingt-sept mois de détention dans les camps d'Auschwitz-Birkenau et de Ravensbrück, que Charlotte Delbo revient en France, elle a 33 ans. de cette période tragique, elle écrira plus tard un livre-témoignage devenu essentiel : « Aucun de nous ne reviendra », ouvrage publié en 1965 aux éditions de Minuit.

Si Charlotte Delbo n'a jamais fait publier de recueil de poésie proprement dit, elle était profondément attachée à l'écriture de poèmes. « Seul le langage de la poésie donne à voir et à sentir » confie-t-elle dans une interview donnée en 1965 lors de la sortie de Aucun de nous ne reviendra.

« Prière aux vivants pour leur pardonner d'être vivants » regroupe des poèmes épars publiés dans diverses revues ou dans plusieurs de ses livres, ou encore restés inédits.

Dans des poèmes en vers libres, au contenu saisissant Charlotte Delbo évoque tour à tour le portrait de l'homme qu'elle aimait, la jeunesse brisée, les espoirs devenus de profonds regrets, le retour des camps, le silence étrange qui l'entoure, l'étrange culpabilité d'être revenue sauve, et puis les indicibles souvenirs, tous les visages et les prénoms des êtres aimés et disparus, les corps éprouvés jusque dans la mort, et puis parfois aussi, le ressentiment envers les « vivants », ceux qui ne veulent pas savoir, qui préfèrent oublier.


« Et je suis revenue
Ainsi vous ne saviez pas,
vous,
qu'on revient de là-bas

On revient de là-bas
et même de plus loin. »



Dans d'autres poèmes écrits des années plus tard, Charlotte Delbo s'émeut de la situation sociale et politique en Pologne, de l'engagement en 1981 du syndicat Solidarnosc, ou encore de l'action de Mères de la Plaza de Mayo à Buenos-Aires, des femmes manifestant tous les jours contre la disparition entre 1976 et 1983 de leurs fils, victimes de la junte militaire alors au pouvoir en Argentine.

La poésie de Charlotte Delbo est une poésie du témoignage mais aussi de la pensée et de l'engagement.
J'avais été ému par la lecture d'Aucun de nous ne reviendra, par le récit bouleversant des années passées dans les camps d'extermination. Je l'ai été tout autant par « Prière aux vivants pour leur pardonner d'être vivants ». Rien ne peut nous être étranger dans les poèmes que contient ce recueil.


« Vous ne pouvez pas comprendre
vous qui n'avez pas écouté
battre le coeur
de celui qui va mourir »


L'écriture de Charlotte Delbo est celle d'une femme touchée au coeur, qui a éprouvé jusque dans son corps le poids incertain de la vie. C'est une écriture où transparaît chez elle l'incertitude d'être bien revenue, d'être sortie d'un lieu qui avait tout à voir avec l'enfer.

Et si parfois elle prend à témoin le lecteur, si dans un « vous » elle le tient à distance de sa douleur, de son épreuve, c'est pour mieux qu'il se défasse de son ignorance et de son inaction, pour qu'il prenne conscience de l'urgence à penser et à agir. L'homme oublie si vite le sens de l'Histoire.


« (...)
comment vous pardonner d'être vivants...
Vous qui passez
bien habillés de tous vos muscles
comment vous pardonner
ils sont morts tous
Vous passez et vous buvez aux terrasses
vous êtes heureux elle vous aime
mauvaise humeur souci d'argent
comment comment
vous pardonner d'être vivants
comment comment
vous ferez-vous pardonner
par ceux-là qui sont morts
pour que vous passiez
bien habillés de tous vos muscles
que vous buviez aux terrasses
que vous soyez plus jeunes chaque printemps
Je vous en supplie
faites quelque chose
apprenez un pas
une danse
quelque chose qui vous justifie
qui vous donne le droit
d'être habillés de votre peau de votre poil
apprenez à marcher et à rire
parce que ce serait trop bête
à la fin
que tant soient morts
et que vous viviez
sans rien faire de votre vie. »


.
Commenter  J’apprécie          290
" Qu'on revienne de guerre ou d'ailleurs
quand c'est d'un ailleurs
aux autres inimaginable
c'est difficile de revenir"

Charlotte Delbo, née de parents immigrés italiens, communiste et résistante, est restée près de deux ans en déportation, à Auschwitz puis Ravensbrück. A son retour des camps, elle a voulu témoigner et a écrit son récit en trois volumes. de nombreux poèmes, réunis ici, jalonnent son oeuvre.

Ils ont la force du désespoir et l'envie de revivre aussi. Ils veulent dire mais se cognent à l'incompréhension, l'indifférence de ceux qui n'ont pas vécu l'innommable. L'un de ses poèmes , souvent cité, et qui a donné son titre au recueil ,évoque bien ce dualisme. Il peut sembler provocateur mais il est tellement juste. En voici la fin:

" Je vous en supplie
faites quelque chose
apprenez un pas
une danse
quelque chose qui vous justifie
qui vous donne le droit
d'être habillé de votre peau de votre poil
apprenez à marcher et à rire
parce que ce serait trop bête
à la fin
que tant soient morts
et que vous viviez
sans rien faire de votre vie"

Les poèmes dédiés à son mari, Georges Dudach, très actif au sein du Parti communiste et fusillé au mont Valerien le 23 mai 1942, sont très touchants également.

" Vous ne pouvez pas comprendre
vous qui n'avez pas écouté
battre le coeur
de celui qui va mourir"

A travers ces textes poétiques, Charlotte Delbo, au-delà de la difficulté à rendre compte de ce qu'elle a vécu, voulait restituer " la vérite de la tragédie, l'émotion et l'horreur".Car pour elle" Seul le langage de la poésie permet de donner à voir et à sentir". On voit et on sent douloureusement en lisant ce recueil.



Commenter  J’apprécie          260
Un récit poignant.

Charlotte Delbo, fille d'une famille d'immigrés italiens, a survécu à deux camps de concentration : Auschwitz et Ravensbrück.
Libérée en avril 1945.
Mais peut-on vraiment dire que les rescapés ont survécu et sont libres après avoir vu et subi tant d'horreurs et d'inhumanités ?

A ses camarades d'infortunes, elle disait qu'elle écrirait un livre sur toute cette horreur si elle s'en sortait.
Elle aura attendu 20 ans pour publier son témoignage "Aucun de nous ne reviendra".
Ici, ce recueil posthume au titre percutant "Prière aux vivants pour leur pardonner d'être vivants", regroupe des poèmes écrits en 1946 et 1985 dont certains sont inédits.
Charlotte Delbo raconte ce traumatisme qui ne quitte jamais un rescapé.
Je n'ose pas dire survivant car comme elle le dit, elle était toujours là-bas, même une fois libre.

Ce qu'elle et les autres ont vécu, personne ne peut l'imaginer, le concevoir.
Parler des camps avec des chiffres, des nombres de personnes, nombres de morts, nombre de kilomètres de marche du camp vers le lieu de travail forcé, nombre de femmes, nombre d'enfants. Comme si ils étaient toujours tous liés à ce nombre qu'on leur a gravé à jamais de force sur la peau.
Ils sont bien plus que des nombres, des quantités. Ils sont des êtres humains que l'on a déshumanisés, humiliés, méprisés.

Charlotte Delbo somme ceux qui n'ont pas connu la Shoah de vivre pleinement leur vie, pour que les autres ne soient pas morts pour rien.
Elle évoque également la dictature franquiste et des évènements forts à Varsovie. Car l'horreur n'a pas de frontière ni d'époque.

J'ai été submergée d'émotions à cette lecture, je trouve que la poésie rend encore plus intense les mots de Charlotte Delbo.
Commenter  J’apprécie          60
Pour la première fois paraît un recueil regroupant l'intégrale des poèmes de Charlotte Delbo. Certes, la grande majorité d'entre eux fut publiée auparavant dans plusieurs livres de l'autrice, notamment dans la trilogie « Auschwitz et après », l'un des sommets de la littérature concentrationnaire. Les autres le seront juste après la mort en 1985 dans « La mémoire et les jours ». Mais dix poèmes, présentés ici en fin de volume, étaient restés à ce jour inédits, c'est dire l'intérêt patrimonial de ce livre.

Écrits entre 1946 et 1985, ces poèmes représentent une vie littéraire, celle d'une femme libre, militante et engagée, évoquant souvent en ces pages sa déportation au camp d'extermination de Auschwitz, les souvenirs de son mari, Georges Dudach, résistant fusillé en mai 1942. Dans une volonté de résilience, Charlotte Delbo évoque leurs derniers instants complices, puis le vide qui s'ensuit.

Auschwitz n'est jamais loin, hantant la mémoire. Hommages aux disparues, à celles laissées en chemin dans les blocs du camp, celles qui ne reviendront jamais, tandis que les survivantes, elles, reviennent, mais d'un autre monde, irréel, indicible. Puis la perte d'appétit pour la vie, le renfermement, l'échange impossible avec ceux qui n'ont pas connu l'enfer et veulent en obtenir un témoignage. « C'est difficile de revenir / et de reparler aux vivants ». Morts ressuscités souffrant d'un manque d'amour, de compréhension, peut-être de compassion des autres.

Les poèmes extraits de la trilogie « Auschwitz et après » en sont un condensé. Mis bout à bout, ils représentent l'essence même de cette trilogie, ils en sont la charpente. Suivent dix inédits, dont sept sur la période Auschwitz et trois indépendants, poèmes engagés, révoltés et internationalistes, qui nous rappellent que toute sa vie Charlotte Delbo fut en lutte contre l'injustice, l'arbitraire, le fascisme, les dictatures. Une femme rare qu'il nous est enfin permis de redécouvrir grâce à ce recueil qui nous la montre à nu.

Le livre se clôt sur une interview de Charlotte Delbo datée de 1965, alors que vient juste de paraître le premier volume de la future trilogie, « Aucun de nous ne reviendra ». Ce recueil vient de sortir aux éditions de Minuit, dans la collection poche Double pour un prix modique.

« Vous qui savez leur dénuement

faites-leur place à vos côtés

ils seront si peu encombrants

appelez-les

entre vous vous vous comprenez

car les vivants

(ils étaient trop c'est la raison)

les vivants

oublient leur nom

ils baptisent une rue Tartempion

pas rue des héros sans nom ».

https://deslivresrances.blogspot.com/

Lien : https://deslivresrances.blog..
Commenter  J’apprécie          40


critiques presse (1)
Marianne_
10 avril 2024
Charlotte Delbo (1913-1985), résistante communiste rescapée d’Auschwitz et Ravensbrück, est l’auteure d’une importante œuvre liée à son expérience de la déportation. Pour la première fois, les éditions de Minuit publient ses poèmes complets.
Lire la critique sur le site : Marianne_
Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
Qu'il est nu
celui qui part
nu dans ses yeux
nu dans sa chair
celui qui part à la guerre
Qu'il est nu
celui qui part
nu dans son cœur
nu dans son corps
celui qui part à la mort.
Commenter  J’apprécie          00
Tout homme a le droit de savoir
le pourquoi des choses
le pourquoi de son travail
de sa vie
de sa misère.
Il y a sûrement une explication.
Commenter  J’apprécie          40
Je reviens d'un autre monde
dans ce monde
que je n'avais pas quitté
[...]
Pour moi
je suis encore là-bas
et je meurs
là-bas
chaque jour un peu plus
je remeurs
la mort de tous ceux qui sont morts
et je ne sais plus quel est vrai
du monde-là
de l'autre monde-là-bas
maintenant
je ne sais plus
quand je rêve
et quand
je ne rêve pas.
Commenter  J’apprécie          10
Je suis revenue d'entre les morts
et j'ai cru
que cela me donnait le droit
de parler aux autres
et quand je me suis retrouvée en face d'eux
je n'ai rien eu à leur dire
parce que
j'avais appris
là-bas
qu'on ne peut pas parler aux autres.
Commenter  J’apprécie          30
Je lui ai dit
que tu es beau.
Il était beau de sa mort à chaque seconde plus
visible.
C'est vrai que cela rend beau
la mort.
Avez-vous remarqué
comme ils sont
les morts, ces temps-ci
comme ils sont jeunes et musclés
les cadavres de cette année.
Elle rajeunit tous les jours
la mort
cette année
[...]
Lui était beau de sa mort
Commenter  J’apprécie          00

Videos de Charlotte Delbo (20) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Charlotte Delbo
Charlotte Delbo : Spectres, mes compagnons - Lettre à Louis Jouvet (France Culture / Théâtre et Cie). Texte présenté par Geneviève Brisac. Réalisation : Marguerite Gateau, avec des archives INA. En partenariat avec l’association “Les Amis de Charlotte Delbo”. http://www.charlottedelbo.org/. Conseillère littéraire : Céline Geoffroy. Enregistré au Festival d’Avignon le 18 Juillet 2013. Diffusion sur France Culture le 2 octobre 2016. Texte lu par Emmanuelle Riva. Photographie : Charlotte Delbo, via le site internet de “L'association des amis de Charlotte” • Crédits : @copyright Schwab. « Charlotte Delbo fut l’assistante de Louis Jouvet au Théâtre de l’Athénée avant d’entrer dans la Résistance. Elle est arrêtée avec son mari Georges Dudach le 2 mars 1942. Le 23 avril 1945, après vingt-sept mois de captivité dans les camps d’Auschwitz-Birkenau et de Ravensbrück, elle fut libérée par la Croix-Rouge et internée en Suède. Elle n’avait pas encore trente-deux ans. Des deux cent trente prisonnières de son convoi, elles n’étaient plus que quarante-neuf. Et Charlotte Delbo se préparait à consacrer le restant de ses jours à trouver les mots justes, à écrire des livres et des pièces de théâtre pour faire vivre la mémoire et les mots de ses amies assassinées, et de son mari fusillé. La première chose qu’elle fit, le 17 mai 1945, ce fut d’écrire une lettre. On peut imaginer dans quel état de faiblesse elle se trouvait. C’était une lettre à Louis Jouvet, qui disait : « Je reviens pour entendre votre voix. » Il y eut d’autres lettres, jusqu’à cette dernière qu’Emmanuelle Riva lira, une lettre non envoyée, non terminée, non reçue, interrompue par la mort de Louis Jouvet, en 1951. Une lettre comme un testament politique et littéraire, où le courage, la peur, le rêve et la pitié pèsent leur juste poids. » Geneviève Brisac Cette lecture de « Spectres, mes compagnons » est agrémentée d'extraits de la Radioscopie consacrée à Charlotte Delbo, produit par Jacques Chancel et diffusée le 2 avril 1974. Remerciements à Claude-Alice Peyrottes, présidente d'honneur de “L'association des amis de Charlotte”. Source : France Culture
+ Lire la suite
autres livres classés : poésieVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (36) Voir plus



Quiz Voir plus

Testez vos connaissances en poésie ! (niveau difficile)

Dans quelle ville Verlaine tira-t-il sur Rimbaud, le blessant légèrement au poignet ?

Paris
Marseille
Bruxelles
Londres

10 questions
1226 lecteurs ont répondu
Thèmes : poésie , poèmes , poètesCréer un quiz sur ce livre

{* *}