Une belle métaphore que cette quête de la marionnette Gypsis. On accompagne « je » dans sa longue marche qui n'a d'errance que sa lenteur et ses méandres car cet homme qui, sans doute, se parle à lui-même, poursuit un but et l'atteint finalement dans ce point de non retour que représente la Baie des Trépassés. Un livre plein de douceur et de douleur pudique, même quand la violence ou la peur ne sont pas loin. J'ai bien aimé la tonalité du roman tout en demi-teinte avec une histoire qui s'éteint peu à peu, on est à la fois dans le rêve, presque le fantastique ou le fantasme, et une réalité dure. le non-dit semble aussi important que ce qui est écrit ou seulement suggéré.
J'ai beaucoup aimé le passage qui décrit Gypsie : même ce moment qui devrait être de pur bonheur conduit le héros à constater comme en passant que « cette marionnette n'[est] vraiment pas à [sa] main ». La découverte de la nudité de Gypsie est troublante et émouvante, très symbolique bien sûr.
Autre beau passage, celui de la rencontre avec un homme « malicieux » ou plutôt un « éveillé », qui « pouvait tout entendre et jamais […] ne ramenait la conversation à lui. »
Un roman original qui m'a beaucoup plu.
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« On bouge ? » Léa vient de poser une question. « On bouge » pour aller où ? Non, c’était histoire de dire, à l'instar du temps où on avait le choix ; c’était pour croire qu'on y était toujours. Un grand éclat de rire : c’est encore elle, la seule capable de réveiller l'acoustique d’un lieu jusqu’à ses plus lointaines résonances. Il doit être minuit, une heure du matin. Le gardien fait un passage, mais il comprend tout de suite la situation et n’insiste pas ; les lieux seront bien gardés même si les portes ne sont pas toutes verrouillées. Je fais une tentative pour m’extraire du fauteuil, mais à peine debout, je me rends compte qu’il vaut mieux que je me rasseye, tant le vertige me guette. Le passé me semble loin, il fait bon, je me sens si bien... Je saisis encore des bribes de conversations et des mots qui émergent. J’entends souvent le mot « plateau » associé à l’expression d’un sentiment d’enthousiasme : « Si ! Je t’assure, là-haut on vit bien, il n’y a plus de ségrégation, on y vit comme avant ! » J’essaye d’en capter plus, mais je replonge dans un demi-sommeil et me retrouve entre rêve et réalité. Je crois « voir » la salle alors que je sais pertinemment que mes yeux sont fermés. Je les rouvre pour vérifier, et en effet : je n’ai plus la même vision, plus la même perspective. Je referme les paupières et la salle réapparaît sous un autre angle. J’aperçois alors quelque chose bouger sur le mur d’en face, en un endroit où le velours est absent, une sorte de personnage peint sur le mur. Ça ressemble à un fragment de fresque égyptienne ; je distingue clairement une femme de profil. J’ai beaucoup de mal à accommoder ma vue, mais j’ai l’impression que le personnage est en relief, quasiment en trois dimensions. Les bras sont fins et me rappellent les marionnettes indonésiennes. Je cherche alors les tringles qui doivent les animer, mais ne les trouve pas. J'ai beau savoir qu'il s'agit d'une hallucination, c’est là, sous mes yeux. J’entends à nouveau les conversations, et le son d’un piano dans le lointain. Brusquement, la marionnette se met à tourner dans une danse, et je crois voir Gypsie, la gitane de Roland. « Le plateau ! » À nouveau, ce mot prononcé près de moi me fait sortir de ma fantasmagorie.
Benard Fauren dans l'émission A MI-MOT d'Eva Lunaba sur Vrai plus TV