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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Que voici un livre sombre, étrange, fort, et surtout ancré dans L Histoire ! Quelle merveille !
J'ai d'abord lu le livre, avec l'hésitation qui accompagne la pression : envoyé par le très sympa Gilles Dumay, directeur de la collection Albin Michel Imaginaire, et en plus, dédicace personnelle de l'auteure, Estelle Faye, ce qui ne m'arrive jamais, dû à mon ermitage.. et ensuite j'ai cherché à connaître ce qui m'avait interpellée : es gabelous, les faux sauniers, le Wendigo, Terre-Neuve, les habitants, les légendes, l'histoire... j'adore lorsque les livres ouvrent sur des envies de comprendre, d'apprendre..

C'est l'histoire de deux mondes, l'ancien et le nouveau.
C'est la guerre, en France, qui oppose l'armée révolutionnaire et les révoltés chouans, les faux sauniers et les gabelous, et ceux qui fuient la mobilisation car en 1793, l'armée de la toute nouvelle République n'a presque plus d'hommes. C'est la famine partout.

Les soldats "Bleus" menés par Jean Verdier, tout jeune lieutenant, quasi morts de faim et de froid, luttent contre les éléments dans cette région de Basse-Bretagne où ils sont envoyés pour aller chercher un membre de la Noblesse, Justinien de Sales, pour le passer à la guillotine, c'est pratiquement toujours ce qui leur arrive, aux nobles, depuis 1789. Son petit régiment affaibli a de plus en plus de peine à avancer dans ces marais, et une tempête se prépare. le château, dont il ne reste qu'une tour, se dresse sur la roche, glissante elle aussi. Ce premier chapitre me fait penser aux tableaux de Bernard Buffet, âpres, durs, hachés de grands traits noirs.

Le châtelain est seul, d'après les renseignements de Jean Verdier. Mais méfiance. La troupe arrive à la porte, et dans l'entrée, il fait rentrer son petit bataillon à bout de forces : dehors, ils ne survivront pas à la tempête qui commence. C'est alors que la voix grave d'un homme l'appelle, du haut des escaliers. Malgré le fait que tous aient été mis au fait des cicatrices défigurant le visage du vieil homme, tous sont pris d'effroi en le voyant, pourtant dans la pénombre.

Mais, ils ne peuvent pas repartir comme ça avec leur prisonnier maintenant, avec la tempête qui frappe de vagues la tour, déjà. Et ils n'ont ni dormi ni mangé depuis deux jours. Alors la troupe se calme enfin, au sec, et l'homme dit à Verdier qu'il veut juste discuter. Puis il repartira avec eux après la tempête. le jeune lieutenant évite de toutes ses forces de regarder ce visage. Mais il va y être obligé.

En haut des escaliers, une pièce en demi-lune, protégée du froid par de lourdes tentures, est éclairée par de nombreux cierges, en plus du grand feu brûlant dans la cheminée. le vieil homme s'assied à son bureau, invite son hôte à s'assoir dans un fauteuil.. et là Verdier manque de vomir. Par quel monstre a-t-il été défiguré, ce vieux noble, et même la tête entière est marquée par de gros et longs sillons... un... monstre ? le vieil homme va alors raconter son histoire, depuis ses années de jeune noble à l'aventure dans les contrées froides de Port Royal, en Acadie Anglaise en 1754.

Envoyé par bateau depuis Port Royal pour enquêter sur la disparition d'une expédition de cartographie à Terre-Neuve, Justinien de Salers passe la traversée à entretenir son alcoolisme et à souffrir du mal de mer. Lorsqu'il se réveille le lendemain, il est sur la grêve, il y a des morceaux de bois ça et là, et quelques personnes survivantes à ce qui semble bien être un naufrage. Plus beaucoup de vivants.
Il fait froid, humide, il pleut, la mer charrie des blocs de glace, et, relevé, il se rend compte que ses compagnons d'infortune sont très peu.
Un marin, un trappeur, un officier anglais, un grand pasteur presbytérien a l'air austère, teint cireux, sa fille, la petite Penitence, dite Penny, le jeune rescapé de l'expédition qu'il doit rechercher, qui doit les guider, malgré son mutisme traumatique, la grande femme au tricorne, que d'autres appellent "sang-mêlé", pisteuse et tireuse hors pair, engagée avec un herboriste et géographe, pour accompagner Justinien de Salers dans son investigation.

Mais, échoués sur la plage, un feu fait de bois flotté est vite allumé par la grande femme au tricorne, qui semble savoir faire beaucoup de choses. En fait elle descend de ces autochtones presque disparus, les Beothuks, il en reste peu comme elle. Ces habitants de Terre-Neuve depuis l'Antiquité disparaitront pour de bon en 1829. le pisteur ramène de gros oiseaux à plumer et manger. Mais le lendemain, le pisteur est mort. Retrouvé sur la plage, comme dévoré. C'est la panique, Quel monstre est assez gros pour .. ? La troupe choisit de passer par la langue de grève surplombée de falaises pour remonter jusqu'à un port. Ici c'est désert.
Mais la nuit suivante, dans la grotte où tous s'abritent, il manque l'un d'entre eux. le marin, que l'on retrouve à moitié dévoré, pendant depuis le haut de la falaise au-dessus d'eux.

Entre les exhortations d'Ephraïm, hurlant à la repentance, à la parole de Dieu pour chasser les esprits démoniaques dans chacun des personnes présentes, et des esprits de la forêt, ilest difficile de garder son sang-froid, et sa raison.

Le comportement de la petite Penny change, elle se défait lentement de l'emprise du prédicateur ; l'officier anglais, blessé, mais armé, semble perdre la tête, Justinien est pris de fièvre et du manque d'alcool, seuls le botaniste et Marie, le nom que se donne la femme qui semble la plus à l'aise dans cette nature hostile ont l'air d'être fiables, dans la petite troupe, qui s'amenuise car toutes les nuits ou presque, le monstre dévore l'un d'entre eux. Ou alors l'un d'entre eux est un monstre.
Entre le froid, la neige, la faim, la route de Justinien de Salers est d'une inhumanité à faire dresser les cheveux sur la tête.

Estelle Faye raconte ici une épopée glacée, entremêlée de surnaturel, empreinte de la spiritualité des Beothuks, leur Widjigo (appelé aussi Wendigo), monstre cannibale craint dans la culture légendaire de ce peuple, et des Mikmaqs ensuite, faits réels sur le génocide indigène, avec les envois de colons contaminés par la variole, la rougeole, la petite vérole depuis la France et l'Angleterre pour décimer les populations locales, les horreurs perpétrées par les missionnaires pour "évangéliser les sauvages", les marins qui auraient pu manger leurs congénères pour survivre à la famine, tout un monde qui est peu connu apparaît, avec un talent de conteuse hors pair.
C'est glaçant et à la fois interpellant, et ça ouvre sur des évènements de l'Histoire, bien réels. J'ai vraiment, vraiment aimé.

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Basse-Bretagne, 1793 : Jean Verdier et sa troupe viennent arrêter Justinien de Salers, vieux marquis défiguré et retranché dans son fort au bord de la mer. Mais Justinien lui demande d'accepter d'entendre son histoire. Et durant toute la nuit, Justinien lui racontera ce qui a bouleversé sa vie.

Terre-Neuve, 1754 : Justinien, renié et exilé par son père, écume les tavernes de l'Acadie devenue anglaise et s'abrutit dans l'alcool, quand un négociant lui propose de rejoindre une équipe qui recherchera la cause de la disparition d'une expédition menée par un cartographe.

Justinien accompagne Marie, la métisse algonquine en qui il reconnaît la mystérieuse Camarde qui le surveillait, Clément, un botaniste qui a fait partie d'une précédente expédition, et Gabriel, le seul rescapé de ladite expédition disparue. Mais le bateau sur lequel ils avaient embarqué échoue loin de leur destination, du côté opposé de l'île. Les quelques rescapés — notre équipe et d'autres survivants — se retrouvent isolés, dans un environnement hostile, froid, gris et humide. Au matin, un cadavre dans un état effroyable est découvert. Alors que commence un long périple pour rejoindre la partie habitée de l'île, dans une nature inhospitalière en hiver, d'autres voyageurs meurent dans des conditions atroces.

Tout le monde se méfie de son voisin, la marche harassante épuise des voyageurs ; et rapidement, plane le mythe du Widjigo, ce monstre qui naîtrait de la faim, de la solitude, et qui dévorerait les âmes. L'ambiance horrifique de ce roman fantastique est servie par la plume littéraire et évocatrice de l'auteure, qui décrit un univers rugueux, sombre et inquiétant. On sent le sel, les marées, la boue, l'humidité ; on marche avec les personnages dans un monde isolé où la fin de l'hiver teinte l'environnement de gris obscur, gris-blanc, ou gris cendre. L'auteure joue avec le lecteur qui parfois ne sait pas où est la frontière entre la réalité et les visions du narrateur, alors qu'il se demande quel est le meurtrier.

La mort rôde, alors que les vieilles légendes surgissent à travers les hallucinations des voyageurs affamés. La nature humaine est disséquée dans son ambiguïté, les monstres ne sont pas ceux qu'on croit, et le cadre historique sert un récit fascinant pour un périple sur une île où des entités plus anciennes que les hommes resteraient tapies dans l'ombre de la forêt.

En ce qui me concerne, une très belle découverte.

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En 1793, Jean Verdier, jeune lieutenant de l'armée révolutionnaire se trouve en Bretagne pour arrêter le vieux marquis Justinien de Salers, un noble qui a traité ses paysans de manière juste, mais la Révolution n'en a cure. Il se rend dans son château sur une presqu'ile, toutefois la tempête et la marée d'équinoxe isoleront la forteresse durant une longue nuit. Justinien accepte de se rendre sans combat alors qu'il est une fine gâchette, mais demande à Jean d'écouter son histoire durant cette nuit. Il est âgé, boiteux et défiguré, et tient à partager ce qui lui est arrivé plus de quarante ans auparavant à Terre Neuve.

Son père était très autoritaire et il s'est révolté contre lui. Il l'a d'abord exilé à Paris avec une petite rente, que Justinien complétait en se faisant entretenir par des personnes riches à qui il vendait ses charmes. Il ne vivait que pour les fêtes. Au vu de sa mauvaise réputation, son père l'oblige à partir pour le Canada où il continue de mener une vie de débauche. N'ayant plus un sou en poche et étant alcoolique, Justinien se voit contraint d'accepter la proposition d'un riche marchand français qui monte une expédition pour retrouver un géographe perdu dans le grand Nord sous la direction de Marie, une métis qui connaît bien la région. L'expédition tourne rapidement à la catastrophe. le bateau fait naufrage sur une côte isolée de Terre Neuve, il y a peu de survivants. Rapidement le froid et la faim s'installent, mais surtout la suspicion car deux trappeurs ont été tués dans des conditions suspectes les premiers jours. Y a t'il un assassin parmi eux ou sont-ils suivis par les Indiens ? le pasteur est persuadé que tous ont quelque chose à se reprocher et qu'ils sont punis pour leurs péchés, discours qui insupporte les autres survivants qui ne se sentent pas concernés, ou veulent croire qu'ils n'ont rien fait de mal. Des signes inquiétants sont gravés sur les arbres et la peur se fait plus vive. Comme l'indique le titre, l'expédition est traquée par un monstre, le Widjigo (ou Wendigo). Mais les choses s'avèreront bien plus complexes comme nous le verrons au fil de nombreux rebondissements.

Ce roman est excellent et fort bien écrit. En version audio, lu par l'auteure, il est vraiment très prenant. Il pourrait être un simple roman fantastique, mais c'est bien plus que cela. le monstre est surtout en nous et les personnages sont questionnés sur leurs actes. Ils se croyaient tous innocents mais ne le sont pas du tout. Tous les participants qui mourront au cours de l'expédition avaient auparavant causé la mort d'autres personnes, volontairement ou non. Si certains personnages sont vraiment très antipathiques, comme l'odieux pasteur qui donne une image déplorable de l'Eglise réformée, d'autres sont tout en nuances et en ambiguïtés comme Justinien. Il se sent victime de son père et pense n'avoir vraiment rien à se reprocher, mais au fil des épreuves la mémoire lui revient peu à peu. Il comprend qu'on peut faire du mal simplement en s'appuyant sur ses privilèges. Finalement nul n'est innocent, même si certains sont nettement plus coupables.

Il y a une mise en abyme entre les deux époques, Jean prend de plein fouet les questions sur les rapports entre la justice, les droits et la culpabilité. Il est conscient des dérapages inadmissibles de la Révolution, ne peut ni les cautionner ni non plus trahir sa cause, il est aussi conscient que depuis son retour du Canada, Justinien a toujours fait preuve de justice envers les populations qu'il administre et qu'il ne mérite pas la condamnation à mort qui l'attend. Justinien tend aussi un miroir à Jean, qui avait déjà des doutes sur le bilan sanguinaire de la Révolution.

L'aspect fantastique est présent en toile de fond discrète, comme les mythes indiens que Marie raconte à Justinien, mais le plus important est la dialectique entre la créature fantastique et le monstre qui sommeille au fond du coeur de chacun. C'est un roman bien plus profond qu'il ne le paraît à première vue. Il y a aussi une réflexion passionnante sur la sorcière, femme trop libre pour son époque et qui fait peur aux hommes. le retournement final donnera encore un autre sens à cette très belle histoire. Un grand merci à Netgalley et Audiolib pour cette magnifique découverte que je recommande chaleureusement.

#Widjigo #NetGalleyFrance !
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Tout comme pour un bon verre de vin où j'aime retrouver en bouche ce que j'ai décelé au nez, « Widjigo » m'est apparu comme une présage de voyage, d'exotisme même, mâtinée de mystère et de fantastique…et, comme attendu, le roman d'Estelle Faye a tenu toutes ses promesses !

1793. Réfugié dans un vieux donjon en ruine en Basse-Bretagne, Justinien de Salers, marquis des Eaux-mortes, est rejoint un soir de tempête par une troupe de soldats de la Révolution. Ces derniers sont venus l'arrêter, lui le noble condamné par la toute jeune République, mais les voilà tous retenus au sein de la vétuste forteresse du fait des éléments déchainés. Une drôle de nuit commence alors pour le jeune lieutenant de la troupe qui a accepté un marché passé avec le maitre des lieux : ce dernier les suivra sans lutter à une condition : qu'il puisse conter l'histoire qui a marqué sa vie à jamais, celle de son naufrage sur l'île de Terre-Neuve...

Plus je lis Estelle Faye, plus je m'enthousiasme pour cette jeune auteure et scénariste… Séduite par son incursion dans le fantastique post-apocalyptique avec Un éclat de givre et Un reflet de lune, je l'ai suivie cette fois sur ce roman fantastique se déroulant entre Terre-Neuve et Bretagne.
Avec son récit tout autant nourri de faits historiques, de descriptions géographiques que d'introspections fines, je me suis trouvée happée dès les premières pages, vivant la rudesse des lieux décrits, la tension grandissante entre chaque protagoniste, l'immersion progressive dans la déraison des uns et la folie des autres. Avec ce huis-clos haletant, la réalité s'efface petit à petit devant l'imaginaire et la fiction, les cauchemars de certains personnages rattrapés par leurs passés, leurs secrets, leurs culpabilités.

Bref. Un roman envoutant et habité, un « roman de monstres » liant l'aventure et le fantastique : une réussite !
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1793, Bretagne.

Jean Verdier, lieutenant de la République, a fait la route depuis Paris, avec son régiment, pour arrêter un vieux noble, Justinien de Salers.

L'homme ne sort plus beaucoup et vit reclu dans sa forteresse. Tout le monde le connaît, il ne se cache pas, on sait où le trouver.

Lorsque Jean arrive, il est autorisé à entrer, mais seul. Car Justinien n'opposera aucune résistance à son arrestation mais, à une seule condition : que le jeune lieutenant écoute son histoire. Celle d'un naufrage, quarante ans plus tôt, sur l'île de Terre-Neuve. Une histoire mystérieuse et monstrueuse.

Les deux hommes s'installent. Et dans ces lieux lugubres, Jean écoute l'histoire, attentivement, sans poser de questions.

Justinien commence son récit en 1754. A cette période, il est jeune et refuse d'entrer dans l'armée comme le souhaite son père. En conflit avec lui, il décide de partir de l'autre côté de l'océan, sur une île, objet de convoitise entre la France et l'Angleterre. Sa mission une fois sur place sera de retrouver une expédition de cartographes mystérieusement disparus, avec pour compagnons un botaniste, une femme et un jeune garçon, unique survivant de ce groupe.

Terre-Neuve se situe au large des côtes canadiennes, dans l'océan atlantique. le voyage depuis la Bretagne et long et dangereux. Mais, il n'est pas seul. le navire contient plusieurs voyageurs. Mais une tempête et un naufrage, ne laisse que quelques personnes qui débarquent sur l'île, au milieu de rien, dans la nature hostile et mystérieuse. Les rescapés doivent rejoindre un village. Ils n'ont pas de carte, aucun élément et devront longer la côté pour y arriver.

Mais, des événements tragiques se produisent la nuit. Il y a des morts. Pourtant, on n'entend rien, on ne voit rien. Quelque chose, ou quelqu'un rôde, les traque. C'est dans la nuit noire que ça se produit. La peur et la méfiance s'installent entre les membres du groupe.

"Widjigo" est un thriller fantastique dans lequel le suspense se pose très vite, la tension monte. L'ambiance est glauque. Les arbres, les pierres, le froid, toute la nature est omniprésente. Terre-Neuve est une prison au milieu de l'océan. Entre mythe et horreur, le lecteur est entraîné dans une lutte pour la survie au coeur d'un huis-clos terrifiant. Une lecture prenante, à lire pour frissonner à souhait !

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Découverte avec La voie des oracles puis confirmée avec les romans de l'univers de Bohen, j'ai aimé tout ce que j'ai lu d'Estelle Faye, alors en la voyant au catalogue d'Albin Michel Imaginaire chez qui j'ai fait plein de belles découvertes, j'ai de suite eu envie de lire son nouveau titre.

Avec sa couverture glaçante signée Aurélien Police, encore lui, Widjigo ne peut qu'interpeler le lecteur, en tout cas ce fut mon cas. Avec cet espèce d'épouvantail rappelant aussi les figures de proue de navire et les créatures peuplant les forêts primitives telles qu'on en voit dans le manga L'enfant et le maudit de Nagabe par exemple, notre sang se glace d'effroi, un sentiment qui ne nous quittera pas de toute la lecture.

Ce titre est probablement le plus court que j'ai lu chez Estelle et pourtant c'est peut-être celui que j'ai mis le plus de temps à lire toute proportion gardée. Pourquoi ? Parce que l'autrice y a gagné une plume belle et profonde, envoûtante et dérangeante qui impose son rythme de lecture au lecteur, un rythme lent et profond, angoissant et étouffant, tout comme le récit qu'il nous apporte.

Estelle nous embarque dans un récit d'aventure fantastique à l'ancienne, qui mélange des styles très différents tels que le récit philosophique, le récit fantastico-horrifique à la Lovecraft, ou le récit d'aventure picaresque pour ce long voyage en milieu hostile avec des marginaux. C'était à la fois étrange et envoûtant.

Dès les premières lignes du prologue, et par la suite aussi, l'autrice impose son rythme et son univers angoissant et étouffant. Elle nous plonge dans les méandres de l'âme humaine mais dans ce qu'elle a de plus sombre, le temps d'une aventure au décor historique particulièrement soigné et réaliste, un décor que j'ai adoré puisqu'il se déroule pendant mon siècle préféré : le XVIIIe. J'ai été agréablement surprise par la profondeur d'écriture de l'autrice qui soigne l'ensemble des détails de son héros, noble déchu, à son décor, entre préparation et premier temps de la Révolution, entre France d'Ancien Régime et Nouveau Monde encore sauvage, entre personnages civilisés et peuples et créatures primitifs. C'était fascinant et réaliste.

L'aventure que l'on va vivre, elle, est tout sauf réaliste. Elle nous embarque plutôt dans les contrées sauvages et mystiques de la Terre Neuve d'autrefois aux côtés d'une troupe de marginaux embauchés pour une quête que bien vite ils vont oublier face à la menace qui va rapidement peser sur eux. Leur survie devient leur priorité et en mode Ils étaient Dix d'Agatha Christie, nous allons suivre ce compte-à-rebours macabre.

J'ai été fascinée par l'ambiance stressante et poisseuse de l'aventure vécue par Justinien et ses camarades dans cette nature hostile. Cela nous prend à la gorge et ne nous quitte plus. L'autrice décrit par le menu leur avancée dans ce milieu sauvage, les épreuves qu'ils rencontrent entre confrontation réaliste avec leur passé et confrontation fantastique face aux créatures qui peuplent cette nature. Tout est sombre, tout est dans la pénombre, tout est immersif.

L'autrice a parfaitement bâti son histoire avec un rythme entêtant, des personnages mystérieux et une nature non moins étrange. Elle joue avec les pensées de l'époque sur la religion, les mystères et l'ésotérisme. Elle joue à fond la carte du siècle des Lumières et de sa lutte contre l'obscurantisme, ainsi que de sa dénonciation des ordres régissant arbitrairement la société. Chaque personnage représente un pan de ceci et joue un rôle en rapport. C'est très intelligemment fait. le mélange avec le fantastique est ce qui saisit pendant longtemps avant que tout ne nous éclate au visage dans les derniers instants. Quel joli coup du sort ! J'ai adoré !

D'habitude, j'ai peur quand les textes sont aussi courts, mais ici ce fut au contraire parfaitement maîtrisé. de bout en bout, l'autrice savait où elle allait, le rythme qu'elle voulait imposer et la morale qu'elle souhait proposer. Ainsi ça ne m'a pas du tout gênait que ce soit court. Cela ne m'a pas empêchée de m'attacher aux personnages et à leur destinée tragique, ainsi qu'à leur sombre passé. J'ai aimé chacun d'eux dans le quintet final avec leurs qualités et leurs failles, du jeune homme qui regrette la perte de ses amis, au baroudeur protecteur d'un enfant singulier, à la Calamity Jane version Terre Neuve, en passant par la jeune fille blessée par une histoire familiale compliquée, tout comme le petit garçon survivant ayant vu bien des horreurs. Et encore, je ne leur rends pas justice ici tant l'autrice a préparé de belles surprises sur eux.

Elle nous offre ainsi dans ce récit singulier, plus qu'une aventure, une vraie diatribe révolutionnaire où elle dénonce les injustices des puissants contre les faibles : enfant, femme, prétendue sorcière, homme ne rentrant pas dans le moule... Un thème qui lui est cher depuis longtemps. Elle appelle ainsi non à la vengeance mais plutôt à la lutte et à la liberté, ce qu'elle réussit à faire dans un texte terriblement bien tourné où le dernier quart a de quoi surprendre.

Ainsi, j'ai trouvé qu'avec ce texte, Estelle Faye nous offrait peut-être le texte le plus abouti que j'ai pu lire d'elle. Tout y est d'une plume forte et poétique, à des personnages fouillés, une ambiance saisissante et envoûtante et un décor solide et référencé, ainsi qu'une aventure prenante et une morale tout sauf manichéenne parfaitement inscrite dans son siècle. Un beau coup de coeur !
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1754, île de Terre-Neuve.
Une dizaine d'hommes et de femmes échouent sur le sable de la plage, seuls rescapés d'un terrible naufrage. Que ce soit Marie, la « voyageuse » et métisse Béothuk, Veneur le botaniste, l'insondable Gabriel, ou encore Justinien, le noblion dont l'histoire nous est contée, tous ont a priori une bonne raison de se retrouver sur cette terre inhospitalière, encore que les circonstances de leur arrivée ne correspondent pas à ce qu'ils s'imaginaient. La suite non plus, d'ailleurs…

Widjigo est une très belle découverte pour ma part. Je ne connaissais pas Estelle Faye. C'est chose faite et je sens que ça ne s'arrêtera pas là !
Un roman d'aventures historique qui se mue rapidement en redoutable thriller, puisqu'on assiste – impuissant – à l'élimination à petit feu des survivants d'un jour.


L'écriture d'Estelle Faye est parfaitement adaptée au genre. Un très bon équilibre entre descriptions, récit et dialogue. Dans ce roman, ces trois aspects sont importants : les descriptions pour rendre l'univers glauque et oppressant ; le récit car l'action et les évènements sont nombreux ; les dialogues enfin, étant donné l'importance des personnages et des informations qu'ils détiennent et se soutirent les uns les autres.
Le style est lui aussi très bien adapté et équilibré : de belles images évocatrices et un vocabulaire précis, travaillé, qui contribuent à l'immersion. Un style qui sait rester simple pour ne pas alourdir inutilement la lecture.


La trame est assez classique, avec le récit principal imbriqué dans un récit « coquille » dont l'action se situe sur les côtes bretonnes, en 1793. Un habillage qui peut paraître artificiel au début (je l'ai cru longtemps), mais il n'en est rien !

En fait, Widjigo est très classique par bien des aspects, que ce soient les thèmes présents, la construction du récit d'aventures, le choix des personnages, ou l'intrigue façon Agatha Christie.
La grande originalité de ce roman est l'injection significative d'éléments fantastiques où le surnaturel est inextricablement lié aux légendes et aux superstitions. Un rapport à la superstition qui parlera à toutes celles et ceux qui ont déjà séjourné sur une île.


Le rythme est incroyable dans ce roman dont l'univers spécial donne pourtant l'impression d'être toujours dans le même bourbier. L'autrice sait faire naître et durer le suspense.

La caractérisation n'est pas en reste. Les actions et les paroles collent parfaitement aux personnages.
Mon seul bémol sur ce plan est le personnage de Justinien, qui n'a aucune force de caractère et se comporte comme le parfait témoin de l'histoire. La passivité poussée à l'extrême ! Et puis il y a ce fameux dénouement qui m'a forcé à revoir ma copie…


Le dénouement justement, je n'en parlerai pas, mais c'est ce qui vaut le détour ! Pour tout dire, en plein milieu du roman, je commençais à douter de l'histoire et de l'intrigue. Certes, il y a ces morts brutales. Qui sera le prochain ? Qui est le meurtier ? Est-il l'un d'eux ou quelqu'un d'autre… quelque chose d'autre ? Autant de questions suscitant l'intérêt et le mystère. Pour autant, je ne voyais pas vraiment où tout cela allait mener. Je ne voyais pas la logique. Je craignais de plus en plus les pistes artificielles. Des personnages individuellement intéressants, soit, mais ensemble…
Et puis au bout d'un moment, ça commence à venir : les vraies raisons, les vraies motivations, et alors là, que c'est bon, que c'est fort, et que c'est adroitement bien mené ! Une très belle démonstration comme je les aime, et l'envie de relire derechef ce roman pour en savourer les moindres détails. Une histoire qui cache bien son jeu en somme !


Comme je le fais souvent lorsque je découvre un nouvel auteur, je me renseigne un peu. Dans une vidéo, l'autrice évoque justement l'écriture de ce roman. Elle raconte qu'elle s'est fait offrir un voyage en Terre-Neuve (un cadeau d'anniversaire). Sans doute cela explique-t-il pour partie la qualité de l'ambiance et de l'univers, qui aide à l'immersion. Les références historiques sont précises et nombreuses. Certaines coutumes ont dû servir d'inspiration. En lisant a posteriori la page Wikipédia du peuple Béothuk, je me suis rendu compte que ce roman m'avait fait un peu voyager dans cette époque, ces contrées et ces légendes.


Je termine cette présentation en faisant le lien avec Annihilation, de Jeff Vandermeer.
Annihilation n'est pas un roman historique, il se site plutôt dans un avenir proche indéterminé et semble relever de la science-fiction par certains aspects. Par contre, il a en commun ce côté récit d'aventures qui dérive bien vite en thriller-survival. Si les personnages de Annihilation sont moins nombreux et moins fouillés, la construction du suspense est similaire, de même que le rôle de l'élément fantastique. L'univers est également glauque et immersif à souhait, plus angoissant même.
Je garde pour ma part une petite préférence pour le roman de Jeff Vandermeer, peut-être pour la dimension très psychologique des personnages et de leurs interactions, ou encore l'originalité de l'élément fantastique.



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1793. Un jeune lieutenant est envoyé avec son régiment pour arrêter Justinien de Salers, un noble reclus dans une tour en bord de mer. Après un coup de feu de sommation, le vieux comte invite le lieutenant à le rejoindre et lui raconte sa vie. 40 ans plus tôt, de l'autre côté de l'Atlantique, il a participé à une expédition qui a mal tourné.
Estelle Faye plonge le lecteur dans une ambiance glaçante. Que ce soit en Basse-Bretagne, où Jean Verdier écoute le récit du vieil homme, où à Terre-Neuve, où l'expédition tourne au drame, le temps est décidément contre Justinien de Salers, avec sa pluie omniprésente, qui plombe autant le moral des personnages que celui des lecteurs en imposant une atmosphère pesante.
L'histoire en elle-même s'appuie sur les légendes locales, où tous croient aux monstres. Les membres de l'expédition comprennent rapidement qu'ils sont la cible d'un tueur que certains pensent surnaturels. Un widjigo est parmi eux. Et l'on suit avec une horreur teintée de fascination le petit groupe en quête de civilisation au coeur d'une forêt épaisse aussi menaçante que le tueur qui les traque. La suspicion les guette et chacun soupçonne un autre d'être le coupable.
Fourmillant de détails et écornant au passage, tant les exactions coloniales que révolutionnaires, l'autrice plonge le lecteur dans un récit pesant autant que captivant, où elle lève uns à uns les mystères de cette expédition dont les membres ne sont finalement pas là par hasard et certainement pas aussi innocents qu'on pourrait le croire.
J'ai écouté ce roman, narré par l'autrice elle-même qui offre une agréable interprétation de son texte.
Widjigo est une réussite, un roman glaçant, avec ses personnages fouillés et porté par une écriture immersive.

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C'est quelque chose que j'adore chez Estelle Faye : sa création d'ambiances et d'atmosphères. C'est ce que j'avais adoré dans Un éclat de givre et Un reflet de Lune, plus que l'intrigue d'ailleurs.

Widjigo, c'est donc une ambiance, en premier lieu. Un hiver glacial, d'un froid qui vous transperce la peau jusqu'aux os. Un froid humide; une humidité qui colle à vos habits, qui ne sèche jamais vraiment, qui s'infiltre dans vos blessures, qui vous glace le sang. Dans ce roman, il fait sombre, nuageux, gris sombre, noir.
Et tout est à l'avenant. Les personnages sont perdus, seuls, tristes, épouvantés, en proie à leurs démons et à la sorcellerie à l'oeuvre.
C'est un huis-clos en plein air que nous offre Estelle Faye, dans un univers désolé, glaçant, hostile.
J'ai particulièrement aimé la manière dont l'autrice parvient à relier l'ambiance à l'intrigue.

D'autre part, Widjigo est court, et possède selon moi les attributs d'une novella : il est percutant, rapide dans sa manière d'évoluer, ne se perd pas en chemin. L'autrice a trouvé le bon mix entre le roman et le format court.
Il offre également une structure narrative que j'aime personnellement beaucoup : le récit dans le récit. Sans aller jusqu'à la mise en abyme, cet emboîtement permet un va et vient passé/présent qui fonctionne bien. Cela fonctionne d'autant mieux que le récit emboîtant se déroule sur une soirée dans un phare perdu à Pétaouchnok; il est donc très ramassé mais parvient à déborder de ce cadre temporel avec l'histoire emboîtée avec laquelle il dialogue constamment.

Enfin, j'ai eu la sensation de lire une revisite des 10 petits nègres d'Agatha Christie. Car les personnages sont réunis dans une entreprise un peu louche; sacrée galerie de cas désespérés dont on se doute que leur réunion n'est pas fortuite. Cela permet à l'autrice d'amorcer une plongée dans l'âme humaine, crasse et noire, quelle qu'elle soit.
Le suspense monte doucement mais sûrement, et j'ai lu avec avidité pour savoir qui, mais qui ! était le semeur de cadavres. Alors Widjigo se teinte pendant un bon bout de temps de fantastique, laissant place au doute et à l'angoisse caractéristiques du genre, face à des événements inexplicables. Et lorsque la révélation arrive, Estelle Faye nous plonge dans le merveilleux, et nous offre des rebondissements finaux que personnellement je n'avais pas vus venir du tout. Un final en point d'orgue, là encore qui me fait penser à une fin de novella. Et j'ai refermé le bouquin en me disant que je venais de lire mon roman préféré de l'autrice.
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Estelle Faye est un peu une « touche à tout » dans le domaine de l'imaginaire. Elle a écrit de la science-fiction, de la fantasy, des romans pour la jeunesse. Elle a également produit beaucoup de nouvelles. On retrouve l'autrice chez Albin Michel Imaginaire avec Widjigo, un roman fantastique se déroulant entre Terre-Neuve et la Bretagne. Si le livre fait un peu penser à Notre Dame les loups d'Adrien Tomas et à Terror de Dan Simmons, il contient aussi beaucoup d'éléments de l'univers de la romancière avec notamment une grande place consacrée à l'océan et l'histoire.
Avec Widjigo, Estelle Faye signe un de ses meilleurs romans à ce jour. Un roman de monstres très prenant, glaçant et très bien écrit à l'ambiance sombre et oppressante. Widjigo est un véritable roman fantastique qui joue avec son lecteur en prenant appui sur les légendes et l'Histoire. Alors n'hésitez pas une seconde et embarquez pour les brumes de Terre-Neuve, royaume du Widjigo.
Chronique beaucoup plus détaillée sur le blog
Lien : https://aupaysdescavetrolls...
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