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EAN : 9782226457431
256 pages
Albin Michel (29/09/2021)
  Existe en édition audio
3.9/5   314 notes
Résumé :
En 1793, Jean Verdier, un jeune lieutenant de la République, est envoyé avec son régiment sur les côtes de la Basse-Bretagne pour capturer un noble, Justinien de Salers, qui se cache dans une vieille forteresse en bord de mer. Alors que la troupe tente de rejoindre le donjon en ruines ceint par les eaux, un coup de feu retentit et une voix intime à Jean d’entrer. À l’intérieur, le vieux noble passe un marché avec le jeune officier : il acceptera de le suivre quand i... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (142) Voir plus Ajouter une critique
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L'atmosphère dégagée par ce roman est terriblement oppressante.
L'auteure maîtrise cela a la perfection a la fois lors d'un huis clos , mais également lorsque les personnages se retrouvent dans une contrée inconnue et mystérieuse.

Les personnages sont également très bien campés, ce qui permet à l'auteure d'assoir l'atmosphère oppressante et le suspens.

Si j'aime en général cette tension, j'ai trouvé un manque de rythme. Je sais pourtant que cette lenteur est voulue, justement pour bien poser cette sensation d'oppression.
Mais du coup, j'ai plus de mal de rester dans le récit sans ressentir un peu d'ennuis.

Donc malgré un scénario en béton et une atmosphère dégagée parfaitement maîtrisée, ma lecture a été en demi teinte.
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Après Gauthier Guillemin et son Rivages et Franck Ferric et son Chant Mortel du Soleil, Albin Michel Imaginaire continue la publication de romans d'imaginaire francophone avec une plume déjà bien connu des lecteurs de fantasy : Estelle Faye. Après son diptyque sur Bohen et sa trilogie La Voie des Oracles, la française signe cette fois un roman fantastique entre Terre-Neuve et la Bretagne. On y retrouve tout ce qui fait l'univers de la romancière : l'océan, la révolte, l'injustice et…les monstres !

Une époque déchirée
Widjigo s'ouvre sur l'arrivée de Jean Verdier, jeune lieutenant de la toute nouvelle République française, au pied de la demeure du marquis Justinien de Salers, sur la côte bretonne. La Révolution réclame des têtes, du sang, de la justice et Jean Verdier vient traîner un « coupable » devant le tribunal du peuple. Malheureusement, les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu et le vieux Justinien de Salers finit par obtenir ce qu'il veut : une nuit pour raconter son histoire au lieutenant de la République.
Une histoire qui fait remonter Jean Verdier et le lecteur près de quarante ans plus tôt, en 1754 à Terre-Neuve au nouveau-monde, pas loin de l'Acadie et de la Nouvelle-France. Justinien est alors un noble ruiné qui écume les tavernes et soigne ses remords dans l'alcool et les tavernes miteuses. Engagé par un riche commerçant en fourrures, Claude Gendron, il va devoir embarquer pour l'île de Terre-Neuve où une expédition a mystérieusement disparue, ne laissant qu'un survivant mutique et souffreteux incapable d'élucider cette sinistre affaire : Gabriel.
Accompagné de ce dernier et de deux autres larrons, Marie, une sang-mêlée aux allures d'Ankou, et Veneur un botaniste dont plus personne ne veut, Justinien n'est pas au bout de ses peines. Emporté par une violente tempête, l'expédition chavire et une poignée de survivants se retrouve confronté à l'hostilité de ce coin reculé du Nouveau-Monde. Éreintés, affamés, apeurés, les survivants disparaissent les uns après les autres…et la méfiance s'installe dans le petit groupe terrorisé…
Estelle Faye entrelace deux époques pour les besoins de son jeu de massacre.
D'abord, 1793, au coeur de la Révolution, Paris meurt de faim, la guillotine élimine tous les opposants de la jeune République, Louis XVI est décapité et les Chouans prennent les armes en Bretagne et en Normandie contre les armées de la République.
Ensuite, 1754, de l'autre côté de l'Atlantique, dans ce que l'on appelle encore la Nouvelle-France et plus particulièrement en Acadie, ce territoire français qui n'arrête pas de changer de mains au gré des conflits avec les Britanniques, les red coats. Une zone tampon qui va bientôt subir la déportation forcée, trop menaçante pour une Couronne Anglaise en guerre contre le Royaume de France.
Deux lieux, deux temporalités mais un tumulte similaire, une vie rude où l'injustice règne, où la mort survient de façon arbitraire, dans des endroits où les hommes s'entretuent pour des idées, pour des guerres qu'ils n'ont pas choisis, pour une misère qui les rattrape toujours. Deux époques où la tension règne, où tout le monde semble chercher la justice et la vengeance et où l'horreur, elle, attend son heure.

Échos par-delà l'océan
Sur ces crispations sociales et politiques, Estelle Faye attache son récit à deux lieux qui discutent par-delà les kilomètres : la Bretagne, son sel et ses côtes emblématiques, et Terre-Neuve, territoire sauvage, indomptable où l'océan gronde. Fasciné par l'ambiance maritime, Estelle Faye excelle à nous y plonger, à immerger ses personnages dans des espaces où l'on sent l'écume proche des rafales de vent, où l'on sait que la vastitude des étendues d'eau renferment le secret des histoires et des hommes.
Car rapidement, le jeu de massacre commence. Jean Verdier écoute Justinien de Salers lui raconter la perte de ses camardes d'infortune les uns après les autres. La méfiance monte à chaque mort, la tension va crescendo et ce qui commençait comme une expédition de recherche devient une tentative de survie en milieu hostile. À dessein, la française entretient le mystère : morts surnaturelles ou simple bestialité humaine ?
On s'en doute au vu du titre du roman, la question finira par se trancher en faveur du Widjigo (ou Wendigo, c'est selon), créature mythique du peuple Algonquin où l'homme qui consomme de la viande humaine se mue en monstre malveillant. Mais ici, pas question d'une simple chasse à l'homme comme c'était le cas dans le génial Vorace d'Antonia Bird. Non, Estelle Faye n'a pas l'intention de simplement vous tenir éveillé avec des cadavres mutilés et des ombres entre les arbres.
C'est autre chose qui préoccupe la française, une chose plus importante et plus humaine au fond : la justice.

Nous sommes tous coupables
Parmi la poignée de survivants au naufrage, on comprend vite que les choses ne sont pas si claires que ça. Que chacun, à sa façon, a quelque chose à cacher, à une histoire à raconter.
De Justinien de Salers et son refus de se souvenir de sa vie en Bretagne à Ephraïm, prêtre puritain dont la fille Penitence en sait bien plus long qu'elle ne veut bien le dire sur son « adoption » suite à la mort tragique de sa mère, en passant par Jonas, le gabier capable de tout pour l'argent.
Au coeur de Widjigo, il y a la notion de jugement, de vengeance, de repentance, de châtiment. Sur la part du monstre qui sommeille au fond de nous, caché par des couches de mensonges que l'on se raconte à soi et aux autres. Estelle Faye passe au crible les péchés de ses naufragés, même ceux dont la vengeance apparaît comme légitime. Elle constate que le monstre naît de l'injustice et que la justice, comme une boucle parfaite, engendre et perpétue des monstres.
Même Jean Verdier, candide auditeur d'une nuit, a des choses sur la conscience, au service d'un nouvel arbitraire qui n'a plus rien de royal mais en conserve l'esprit. République, Révolution, Royauté, Religion.
Le jugement s'abat, sauvage, violent, aveugle. Parfois juste, parfois douteux.
Au fond, Estelle Faye regarde ce qui transforme l'homme en monstre, faisant entrer en collision le surnaturel et le pouvoir des puissants, ceux qui ont la possibilité de châtier selon leur bon vouloir, prenant prétexte de Dieu, du Roi ou de la Révolution.

Le monde tissé d'histoires
Outre cette traque, entre l'homme et le monstre, la justice et l'injustice, la vengeance et le pardon, c'est la notion même d'histoire qui achève ce tableau du Nouveau-Monde et de l'Ancien.
Au cours du récit, Estelle Faye soulève les mythes, du Widjigo à la cité d'Ys, d'échos en échos, où les légendes se répondent, où les héros mythiques enfantent d'autres héros, où l'on s'aperçoit que les Saints sont à la fois les descendants et les frères des grandes figures des mythes païens, qu'ils soient algonquins ou français. La Mort devient l'Ankou, l'Atlantide devient l'Ys, le Widjigo flirte avec le Démon.
Comme si un même mythe se ramifiait, se multipliait, se nourrissait de lui-même, magnifié par l'imagination humaine qui oublie et transforme.
Et si les hommes passent, s'ils meurent et s'ils croupissent au fond de l'océan, les histoires restent, immortelles, comme les créatures qu'elles enfantent : sorcières, widjigos, esprits… construit sur le réel et en équilibre précaire, au bord du gouffre de la mémoire.
Alors Estelle Faye raconte sa version du Widjigo, monstre cannibale et prédateur, explore les différentes facettes de la sorcière, cette femme trop libre qui fait peur aux hommes, s'interroge sur les fantômes qui règnent et nous soufflent dans l'oreille les péchés et les crimes que nous oublions.

Davantage qu'un roman fantastique, Widjigo est un récit d'injustices et de révolte contre les puissants qui broient les faibles et s'en tirent à bon compte. Dans une ambiance humide et épaisse, Estelle Faye livre une histoire à la croisée des temps et des hommes où les mythes se font échos et où les monstres, les vrais, sortent punir les coupables. Gare aux widjigos !
Lien : https://justaword.fr/widjigo..
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Que voici un livre sombre, étrange, fort, et surtout ancré dans L Histoire ! Quelle merveille !
J'ai d'abord lu le livre, avec l'hésitation qui accompagne la pression : envoyé par le très sympa Gilles Dumay, directeur de la collection Albin Michel Imaginaire, et en plus, dédicace personnelle de l'auteure, Estelle Faye, ce qui ne m'arrive jamais, dû à mon ermitage.. et ensuite j'ai cherché à connaître ce qui m'avait interpellée : es gabelous, les faux sauniers, le Wendigo, Terre-Neuve, les habitants, les légendes, l'histoire... j'adore lorsque les livres ouvrent sur des envies de comprendre, d'apprendre..

C'est l'histoire de deux mondes, l'ancien et le nouveau.
C'est la guerre, en France, qui oppose l'armée révolutionnaire et les révoltés chouans, les faux sauniers et les gabelous, et ceux qui fuient la mobilisation car en 1793, l'armée de la toute nouvelle République n'a presque plus d'hommes. C'est la famine partout.

Les soldats "Bleus" menés par Jean Verdier, tout jeune lieutenant, quasi morts de faim et de froid, luttent contre les éléments dans cette région de Basse-Bretagne où ils sont envoyés pour aller chercher un membre de la Noblesse, Justinien de Sales, pour le passer à la guillotine, c'est pratiquement toujours ce qui leur arrive, aux nobles, depuis 1789. Son petit régiment affaibli a de plus en plus de peine à avancer dans ces marais, et une tempête se prépare. le château, dont il ne reste qu'une tour, se dresse sur la roche, glissante elle aussi. Ce premier chapitre me fait penser aux tableaux de Bernard Buffet, âpres, durs, hachés de grands traits noirs.

Le châtelain est seul, d'après les renseignements de Jean Verdier. Mais méfiance. La troupe arrive à la porte, et dans l'entrée, il fait rentrer son petit bataillon à bout de forces : dehors, ils ne survivront pas à la tempête qui commence. C'est alors que la voix grave d'un homme l'appelle, du haut des escaliers. Malgré le fait que tous aient été mis au fait des cicatrices défigurant le visage du vieil homme, tous sont pris d'effroi en le voyant, pourtant dans la pénombre.

Mais, ils ne peuvent pas repartir comme ça avec leur prisonnier maintenant, avec la tempête qui frappe de vagues la tour, déjà. Et ils n'ont ni dormi ni mangé depuis deux jours. Alors la troupe se calme enfin, au sec, et l'homme dit à Verdier qu'il veut juste discuter. Puis il repartira avec eux après la tempête. le jeune lieutenant évite de toutes ses forces de regarder ce visage. Mais il va y être obligé.

En haut des escaliers, une pièce en demi-lune, protégée du froid par de lourdes tentures, est éclairée par de nombreux cierges, en plus du grand feu brûlant dans la cheminée. le vieil homme s'assied à son bureau, invite son hôte à s'assoir dans un fauteuil.. et là Verdier manque de vomir. Par quel monstre a-t-il été défiguré, ce vieux noble, et même la tête entière est marquée par de gros et longs sillons... un... monstre ? le vieil homme va alors raconter son histoire, depuis ses années de jeune noble à l'aventure dans les contrées froides de Port Royal, en Acadie Anglaise en 1754.

Envoyé par bateau depuis Port Royal pour enquêter sur la disparition d'une expédition de cartographie à Terre-Neuve, Justinien de Salers passe la traversée à entretenir son alcoolisme et à souffrir du mal de mer. Lorsqu'il se réveille le lendemain, il est sur la grêve, il y a des morceaux de bois ça et là, et quelques personnes survivantes à ce qui semble bien être un naufrage. Plus beaucoup de vivants.
Il fait froid, humide, il pleut, la mer charrie des blocs de glace, et, relevé, il se rend compte que ses compagnons d'infortune sont très peu.
Un marin, un trappeur, un officier anglais, un grand pasteur presbytérien a l'air austère, teint cireux, sa fille, la petite Penitence, dite Penny, le jeune rescapé de l'expédition qu'il doit rechercher, qui doit les guider, malgré son mutisme traumatique, la grande femme au tricorne, que d'autres appellent "sang-mêlé", pisteuse et tireuse hors pair, engagée avec un herboriste et géographe, pour accompagner Justinien de Salers dans son investigation.

Mais, échoués sur la plage, un feu fait de bois flotté est vite allumé par la grande femme au tricorne, qui semble savoir faire beaucoup de choses. En fait elle descend de ces autochtones presque disparus, les Beothuks, il en reste peu comme elle. Ces habitants de Terre-Neuve depuis l'Antiquité disparaitront pour de bon en 1829. le pisteur ramène de gros oiseaux à plumer et manger. Mais le lendemain, le pisteur est mort. Retrouvé sur la plage, comme dévoré. C'est la panique, Quel monstre est assez gros pour .. ? La troupe choisit de passer par la langue de grève surplombée de falaises pour remonter jusqu'à un port. Ici c'est désert.
Mais la nuit suivante, dans la grotte où tous s'abritent, il manque l'un d'entre eux. le marin, que l'on retrouve à moitié dévoré, pendant depuis le haut de la falaise au-dessus d'eux.

Entre les exhortations d'Ephraïm, hurlant à la repentance, à la parole de Dieu pour chasser les esprits démoniaques dans chacun des personnes présentes, et des esprits de la forêt, ilest difficile de garder son sang-froid, et sa raison.

Le comportement de la petite Penny change, elle se défait lentement de l'emprise du prédicateur ; l'officier anglais, blessé, mais armé, semble perdre la tête, Justinien est pris de fièvre et du manque d'alcool, seuls le botaniste et Marie, le nom que se donne la femme qui semble la plus à l'aise dans cette nature hostile ont l'air d'être fiables, dans la petite troupe, qui s'amenuise car toutes les nuits ou presque, le monstre dévore l'un d'entre eux. Ou alors l'un d'entre eux est un monstre.
Entre le froid, la neige, la faim, la route de Justinien de Salers est d'une inhumanité à faire dresser les cheveux sur la tête.

Estelle Faye raconte ici une épopée glacée, entremêlée de surnaturel, empreinte de la spiritualité des Beothuks, leur Widjigo (appelé aussi Wendigo), monstre cannibale craint dans la culture légendaire de ce peuple, et des Mikmaqs ensuite, faits réels sur le génocide indigène, avec les envois de colons contaminés par la variole, la rougeole, la petite vérole depuis la France et l'Angleterre pour décimer les populations locales, les horreurs perpétrées par les missionnaires pour "évangéliser les sauvages", les marins qui auraient pu manger leurs congénères pour survivre à la famine, tout un monde qui est peu connu apparaît, avec un talent de conteuse hors pair.
C'est glaçant et à la fois interpellant, et ça ouvre sur des évènements de l'Histoire, bien réels. J'ai vraiment, vraiment aimé.

Lien : https://melieetleslivres.fr/..
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C'est ma première lecture d'Estelle Faye et j'ai trouvé ce thriller fantastico-historique plutôt convaincant.

1793, en pleine Révolution française, un jeune officier est envoyé en Bretagne pour arrêter un vieux noble, Justinien de Salers. Celui-ci accepte de se rendre à la seule condition que l'officier écoute son histoire : celle d'une expédition quarante ans plus tôt à Terre-Neuve, de l'autre côté de l'Atlantique, qui a viré au tragique.

L'histoire mélange deux types d'intrigue plutôt classiques : le naufrage sur une côte déserte avec une poignée de survivant·es qui tentent de rejoindre les terres habitées, et le whodunnit à la Agatha Christie et ses personnages qui disparaissent les uns après les autres tandis que la suspicion monte. La combinaison prend bien quoique le rythme soit plutôt lent, peut-être accentué par de longues descriptions qui ont eu tendance à me faire décrocher de temps en temps. Ce que j'ai aimé, c'est l'entrelacement thématique entre légendes bretonnes et mythes autochtones, qui vient nourrir (no pun intented) les thèmes traités par l'autrice, à savoir la culpabilité, la justice, la vengeance et les monstres qui peuvent naître à l'intérieur de chacun·e.

Aussi, j'ai été agréablement surprise par le traitement historique et géographique plutôt solide. La partie de l'intrigue qui se déroule en 1754 commence en Acadie et on sent les prémisses de ce qu'on appellera plus tard le Grand Dérangement (la déportation des colons francophones), ce qui accentue la tension dégagée par le récit. J'appréhendais aussi la façon dont l'autrice utiliserait les mythes autochtones et en particulier celui du wendigo (ou widjigo dans sa version algonquine), central à l'histoire, mais l'ensemble m'a paru aussi respectueux que bien documenté (je suis toutefois loin d'avoir une connaissance approfondie du sujet). Il me semble d'ailleurs que le terme d'« Indien » n'est pas mentionné une seule fois et que cela ne gêne en rien la compréhension. Notons que certains éléments concernant la légende du widjigo peuvent donner des indices quant à la clé de l'énigme…

Bref, cela me rend assez curieuse pour continuer à explorer les univers d'Estelle Faye (si vous avez des suggestions, je suis preneuse).
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En cette fin de XVIIIe siècle plein de bouleversements en Europe et de l'autre côté de l'Atlantique, une troupe de soldats français est chargée de récupérer un vieux noble, Justinien de Salers, afin de l'emmener vers le sort que la justice, expéditive, qui règne alors lui réserve. Mais il se terre dans une vieille forteresse à moitié en ruines, sur une presqu'ile, stérile, peu accueillante. Alors que la mer menace la troupe, le vieil homme propose à son chef un marché : il se rendra si ce dernier accepte d'écouter son histoire.

Et c'est parti pour un voyage plein d'humidité et d'angoisse, de sang et de surprises.
La scène de début m'a rappelé Cochrane vs Cthulhu, de Gilberto Villarroel, pour cette ambiance marine inquiétante, cette ile à moitié submergée, ce batiment en partie ruiné, angoissante silhouette sur un ciel gris et menaçant, cette eau omniprésente. Mais ce roman ne joue pas dans la même catégorie, puisqu'il est plutôt récit d'aventures quand Widjigo fait vibrer les cordes du fantastique et de l'angoisse. Et Estelle Faye sait manier les mots avec force et brio. Sans cesse, elle utilise des adjectifs qui instillent un climat humide et angoissant. le rouge apparaît sans cesse, partout, sur un vêtement, sur une blessure, sur une plante. L'inquiétude, la peur, l'horreur s'installent progressivement, l'air de rien, au détour de chaque page. L'ambiance est particulièrement soignée du début à la fin. le choix des termes amplifie les formes, les couleurs, les sensations. Pendant toute la lecture, on est transi de froid, imbibé de cette humidité latente qui suinte des pages du livre, des paysages hostiles et rudes. On sent le grain du sable s'insinuer entre nos orteils. On voit la cendre, noire, se déposer sur une joue. Car les portraits mêmes des personnages participent de cette omniprésence d'une nature forte et résolument liée aux protagonistes : « des yeux couleur de terre et de sous-bois au printemps » ou « ses iris aux reflets de nuages ». Jusqu'au bout, d'ailleurs, puisque les cadavres, il y en aura, retournent à la nature, tout emplis d'animaux, d'insectes, grouillant d'une vie qui n'est plus leur.

Vous me direz, l'ambiance, c'est bien joli, mais y a-t-il quelque chose derrière ? du contenu ? Une histoire digne de ce nom ? Eh bien oui. Estelle Faye prouve sa maitrise de la trame narrative dans ce roman qui reprend les habitudes et les clichés de ce type de récits puis les utilise pour parvenir à ses fins. le duo du début, ce jeune soldat et ce vieux noble, enfermés dans une tour au milieu des eaux, avec la tempête qui se déchaine à l'extérieur, sert à lancer, relancer à intervalles bien pensés et clore l'histoire principale, le récit de Justinien. Car on a droit, essentiellement, à une histoire dans l'histoire : comment le vieil homme en est arrivé à ce point, défiguré atrocement ; comment sa vie a été bouleversée de l'autre côté de l'Atlantique, dans ce Nouveau Monde qui a déjà bien vieilli, dans cette partie de terre abandonnée progressivement par les autorités françaises au profit des Anglais ; comment il a dû partir dans une expédition sans réel enjeu avec des compagnons de fortune découverts à l'occasion.

Estelle Faye nous bâtit une équipe composée, apparemment, de bric et de broc, sans lien entre eux, sans but commun, à part survivre. Car l'expédition tourne rapidement au fiasco, comme de bien entendu, laissant ces femmes et ces hommes à la merci d'une contrée inconnue, déserte de toute présence humaine, sans moyen de communication avec le reste de la civilisation, quelle qu'elle soit. Pendant le voyage qui doit les conduire au salut, nous découvrons chacun d'eux. Cette figure obligée de ce type de récit est réussie avec évidence, comme une lettre à la poste, sans que l'on se rende compte de rien. Et l'on assiste à une nouvelle mise en abîme, puisqu'à certains moments, on a affaire à une histoire dans l'histoire dans l'histoire. Et cela donne un relief supplémentaire à ce roman si riche et si envoûtant. D'autant que les personnages ne sont pas monolithiques, tout enveloppés d'une aura de mystère, propice aux soupçons. En effet, si des gens meurent, il faut bien que quelqu'un les tue. Et puisqu'ils semblent seuls, ce doit être l'un ou l'une d'entre eux. Nous revoilà avec l'histoire si forte d'Agatha Christie, dans son roman au titre récemment changé, d'un groupe de femmes et d'hommes isolés, enfermés, avec les cadavres qui s'accumulent. Sauf qu'ici, l'enfermement est plus vaste : l'ile est gigantesque, semble même infinie au fur et à mesure que les jours passent. Et cela rend le suspens encore plus fort, car les possibilités sont multipliées.

Lire ce roman m'a fait sortir de ma zone de confort habituelle. Mais, pour sûr, je ne le regrette pas tant Estelle Faye s'est montrée habile, experte, à me plonger tout entier dans son coin de terre et à me manipuler à travers les récits des personnages. J'ai adoré trembler avec Justinien et ses compagnons, attendant, dans l'inconfort de ces paysages aux parfums, aux teintes, aux goûts si présents, le verdict du Widjigo.

La couverture
Encore une réussite que cette couverture, parfaitement représentative du centre de l'histoire et de son climat malsain et pesant, d'une beauté maléfique. Mais Aurélien Police est coutumier du fait : entre l'esthétique et la proximité avec l'histoire narrée. Il a su rendre les tons du récit et l'angoissante présence de la nature à travers cette poupée menaçante qui rappelle l'image d'un homme crucifié.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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critiques presse (1)
Syfantasy
25 juillet 2022
Au-delà d'un récit sur de simples enchaînements de meurtres surnaturels couplée à une ambiance marécageuse poisseuse à souhait, Widjigo est avant tout le miroir de nos folies les plus dissimulées, de nos plaies psychologique béantes que l'on cherche à camoufler sous couvert de bonne conduite, et de tout ce qu'amène la solitude. Les masques peuvent aisément tomber et se fêler, mais rien n'empêche aux monstres tapis dans nos esprits de rester à l'affût, attendant le bon moment pour s'élever.
Lire la critique sur le site : Syfantasy
Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
— Vous devez proclamer la vérité ! lança-t-il. Vous n’êtes pas coupable, pas de ce dont le Tribunal révolutionnaire vous accuse. Depuis que vous êtes devenu marquis des Eaux-Mortes, vous n’avez fait que du bien autour de vous. […]
— Oh si, je suis coupable […]. Ce que j’ai fait… aider à réparer un toit, donner de la nourriture aux pauvres… je l’ai fait parce que je pouvais me le permettre, c’était facile au fond pour moi. Et avec mes bonnes actions, comme disent les prêtres, j’ai sans doute endormi un peu plus longtemps la révolte, ici, à ma petite mesure. J’ai contribué à faire tenir un peu plus longtemps un système injuste, tout en m’attribuant le beau rôle. La charité n’est pas la justice, et je mérite ma condamnation. Ne serait-ce que pour être honnête envers moi-même. Parce que je crois à la Révolution.
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Elle m'a montré que le monde est fait d'histoires autant que de matière. En tous lieux les histoires se mêlent à ce que nous sommes, cette Terre même que nous arpentons, ces océans au travers desquels nous lançons nos courses. Les histoires nous relient à ceux qui nous ont précédés, également, tout au long des siècles. Ceux qui ont vécu bien avant notre ère, mais aussi ceux que nous avons croisés, ceux que nous avons aimés, ou haïs, et qui sont partis avant nous.
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Je crois à ce que j'ai vécu, à la neige, aux orages, aux longues nuits... Je crois au chemin d'étoiles et à la cruauté des hommes. Et je crois à la solitude, à la faim et à l'épuisement qui parfois changent les hommes en monstres. Qui nous dévorent et nous poussent à vouloir assouvir à notre tour des instincts insatiables. J'ignore s'il existe un dieu unique, un grand esprit ou un premier conte. Mais je suis certaine que nous portons en nous nos pires ennemis.
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L'hiver lentement se refermait sur eux. Les traces animales dans la poudreuse, les empreintes des bêtes qu'ils ne voyaient jamais, qu'ils devinaient parfois entre les hauts traits d'encre des troncs, les maintenaient sur le qui-vive. Ils avançaient en intrus dans un monde qui avait vécu sans eux depuis des siècles, qui vivrait encore des siècles après eux.
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Le passé revient à la surface, avec la nuit, avec les vagues. Certains matins, on retrouve, dans le sable, des creux qui ont la forme de corps, d'hommes et de femmes qui se seraient traînés jusqu'au rivage.
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Vidéo de Estelle Faye
Reprendre corps
Réécrire l'Histoire et les histoires, se réapproprier le corps du texte. Si le langage forme notre façon de penser, les légendes et mythes fondateurs façonnent notre perception du monde. Et si nous avons les mythes en commun, c'est bien pour les questionner, les interpréter et faire un lieu où l'imaginaire peut influencer le réel.
Animé par Willy Richert.
Avec les auteur·rice·s Estelle Faye (La Dernière Amazone, Rageot), Murielle Szac (L'Odyssée des femmes, L'Iconoclaste et L'Odyssée d'Homère, RMN), Stéphane Bientz (Le Goût du sel, Espaces 34) et Nicolas Jaillet (Frater, In8).
Avec la participation de Faustine Aynié-Yvinec et des élèves de 3eA du collège Valmy - Paris (75). Un grand merci à Eva Mouillaud, professeure.
Et la voix de Cécile Ribault Caillol pour Kibookin.fr
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