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3,69

sur 616 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Original dans son approche de la littérature, captivant par son style et les idées qu'il déploie, Jérôme Ferrari a décidément une source d'inspiration très religieuse… Après le Sermon sur la chute de Rome qui lui avait valu le Prix Goncourt en 2012 puis deux autres romans que je n'ai pas lus, hélas, il nous entraîne dans une messe de funérailles peu ordinaire dans cette Corse qu'il connaît si bien et où il situait aussi le Sermon sur la chute de Rome.

À son image, comme le titre le laisse deviner, traite de la photographie, de son pouvoir et du métier de ceux qui gagnent leur vie en fixant sur pellicule, comme autrefois, ou dans une carte-mémoire aujourd'hui, des instantanés de vie ou de mort…
Antonia, héroïne du roman, a pu se consacrer à sa passion de la photographie et gagner un peu sa vie en travaillant pour un quotidien régional mais ne fait plus que des photos de mariage après une expérience traumatisante en ex-Yougoslavie.
L'auteur ne ménage aucun suspense, nous plongeant d'emblée dans le drame de la mort brutale d'Antonia, sur la route du retour chez elle : « La mort prématurée constitue toujours, et d'autant plus qu'elle est soudaine, un scandale aux redoutables pouvoirs de séduction. »
Intervient alors le personnage le plus important du roman : son parrain, un oncle du côté maternel devenu prêtre et à qui revient la redoutable charge de célébrer la messe servant de trame au récit de la vie d'Antonia.
Pas forcément en ordre chronologique, les souvenirs d'une vie brève mais intense remontent. Cela n'empêche pas les digressions, les références à des photos des guerres coloniales, le pouvoir de la presse mais c'est la Corse qui tient la vedette malgré l'épisode de la guerre civile entre Serbes et Croates.
C'est la période où les morts violentes se succèdent sur l'île de Beauté, des jeunes fauchés par un clan rival à cause de dissensions, de scissions, de différents que plus personne ne comprend. Antonia assiste à tout cela et constate comment son collègue plus expérimenté traite le crime : « Sa longue carrière dans la presse régionale lui ayant permis de développer des talents sans aucun doute innés, le journaliste cultivait désormais l'art de parler pour ne rien dire avec une virtuosité qui touchait au génie. Il combinait magistralement lieux communs, clichés, expressions toutes faites et considérations édifiantes de façon à produire sans coup férir et sur n'importe quel sujet des textes rigoureusement vides. »

Ainsi, dans À son image, Jérôme Ferrari explore tout un monde. D'abord celui de la photographie, celui des correspondants de guerre mais surtout le drame de cette jeunesse corse emportée par le mirage nationaliste. Les visages masqués, les armes en évidence mais surtout les règlements de compte sans fin, abrégeant de vies à peine entamées, d'une jeunesse brisée dans son élan ; morts voulues, programmées, alors que celle d'Antonia reste tellement injuste et révoltante.
Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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« À son image » renvoie celle d'un monde désespérément noir et plombé, porté par la beauté d'une plume majestueuse, adepte de longues phrases comme des salves de mots incessantes.
L'on y entre sur les pas d'Antonia la photographe corse qui sort d'un reportage de mariage pour n'en plus revenir, un banal et stupide accident de voiture et de falaise au bout d'une nuit blanche. C'est son oncle et parrain qui officiera la messe de son enterrement, point d'ancrage final du récit dans une narration qui semble débridée mais ne perd pas le lecteur, à base de retours en flash-back (et d'avancées en contre flash-back). Un parrain devenu prêtre sur le tard, très proche d'Antonia au cours de sa vie, qui a initié sa passion pour la photographie en lui offrant son premier appareil pour ses 14 ans. Jeune adulte elle sera photographe insatisfaite d'être cantonnée à un rôle d'observatrice du quotidien corse, amoureuse insatisfaite de voir son double dans ce nationaliste corse manquant d'envergure en dehors de leur village natal. Elle rêvera d'aller voir ailleurs, de liberté, de Yougoslavie.
Les éléments se mettent en place naturellement dans un puzzle où se mêle tout à la fois photographie de guerre et de quotidien, guerre de scission entre nationalistes corses du FLNC, mais aussi guerre en Yougoslavie, ou religion.

« À son image » semble questionner la photographie dans son rapport à la vie et à la mort : «Sur les photographies, les vivants mêmes sont transformés en cadavres parce qu'à chaque fois que se déclenche l'obturateur, la mort est déjà passée.». Les bios de deux photographes méconnus du début du siècle dernier (Gaston Chéreau et Rista Marjanovic) - « ou plutôt leur contreparties fictives », surgissent dans la narration et élargissent le propos à l'image de guerre : « Car en 1969, il ne peut plus ignorer que ce jour-là, sous la tente d'un hôpital de campagne, au bord du cimetière bleu de la Méditerranée, il n'a pas seulement pris la photo d'un soldat famélique à l'agonie (en 1915) mais qu'il a capté une fois pour toutes, en une seule image saisissante, le visage du siècle. ». Une vision générale sur le monde et ses guerres (et en filigrane l'impact de l'image de guerre), qui m'a semblé pessimiste, limite aquoiboniste. On pourrait y objecter que selon certains (dont Harrari), il y a tout de même de moins en moins de guerres dans le monde.

« Le parrain d'Antonia faisait le tour du cercueil, l'encensoir à la main, en pensant que jamais plus il ne voulait porter en terre quelqu'un qu'il avait connu enfant. S'il restait ici, il lui faudrait pourtant le faire à nouveau. Car rien ne changeait, rien ne cessait, rien ne commençait.»
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Décidément cet auteur me fascine. Comment peut-on concevoir des phrases aussi longues et en même temps aussi précises, évocatrices et limpides ? Avec Ferrari j'ai l'impression d'avoir tout compris (Jéjé, je vous ai trouvé un slogan, c'est cadeau).

La construction de cette nouvelle oeuvre est tout aussi remarquable. Ancré sur une scène au présent – les obsèques religieuses d'Antonia, jeune photographe d'origine corse – le récit se fragmente en autant de chapitres que d'étapes liturgiques, chacune associée à une photo renvoyant elle-même à certains épisodes significatifs de l'existence d'Antonia.

Ça a l'air touffu comme ça mais chez Ferrari ça roule tout seul, et comme dans son "Sermon sur la chute de Rome", l'intrigue, prenante au demeurant, suscite également d'universelles et captivantes réflexions quant à l'ambivalente fragilité de l'Homme.

Et puis il y a la photographie et son rapport à la mort, l'engagement spirituel ou la lutte nationaliste, des thèmes en parallèle qui transcendent autant de pistes de méditation riches et pertinentes.

Je m'étais promis de faire court. Donc en résumé c'était mon deuxième Ferrari. Et certainement pas le dernier car autant l'avouer, je vous kiffe grave Jéjé.


Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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« Il y a tant de façons de se montrer obscène »….
Et ici, Jérôme Ferrari en démonte – en démontre – deux, particulièrement : l'angélisme de la religion catholique et la photographie de guerre.

Nous voici donc directement au coeur du problème.
Antonia est une jeune photographe de presse corse, du moins elle a été photographe de presse, jusqu'à se rendre compte qu'être témoin d'atrocités et fixer celles-ci sur la pellicule est obscène.
Oui, se rendre compte qu'il y aura des lecteurs de journaux qui jetteront un regard horrifié vite détourné, vite « oublieux », sur les photos-témoins, sur les femmes éventrées, sur les enfants au ventre gonflé, sur les mourants, sur les pendus, sur les torturés aux yeux cousus, se rendre compte de cela et continuer à photographier, c'est obscène. « Ce désastre, elle ne veut pas le dupliquer ».
Or, ne rien comprendre, ne pas agir, ne pas réagir, Antonia ne peut non plus choisir cette option. « Ca aussi, c'est le péché ».
Antonia est divisée, tourmentée, tracassée par sa vocation et par les conséquences qu'elle entraine inévitablement.

Antonia a un parrain, un curé, qui essaie de parler avec elle, de la protéger en quelque sorte. Nous pénétrons dans sa conscience également, lui qui est divisé devant ce mal, devant le mal quotidien aussi. Que faire ? Comment réagir ? Trouver une réponse en parlant de Dieu ? Jésus aussi a pleuré devant sa propre mort, pourtant.
« L'insupportable angélisme : une forme particulièrement perverse d'assentiment donné à l'obscénité du monde »

Antonia est Corse. Elle assiste donc aux actions du FLNC, mouvement armé pour l'autonomie. Au départ des gamins, et puis doucement – enfin, c'est un euphémisme- qui bascule dans la violence extrême. Antonia ne peut que réagir, encore une fois, et se demander où va sombrer son île, où « on applaudit les revendications d'assassinats ». Encore une obscénité.

Ce roman fait de phrases immenses quasi sans ponctuation m'a littéralement subjuguée. Je me suis sentie portée, et presque sans m'en rendre compte, je réfléchissais.
Au monde perpétuellement en guerre, au regard satisfait des tueurs, aux pleurs des mères, aux prières… et aux témoins de tout cela, les photographes.
« Il n'y avait au fond que deux catégories de photos professionnelles, celles qui n'auraient pas dû exister, et celles qui méritaient de disparaitre, si bien que l'existence de la photographie était évidemment injustifiable. »

Photographier le monde, ou accepter ce monde, quel est le plus obscène ?
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À son image est un roman écrit par Jérôme Ferrari, dont j'avais déjà beaucoup apprécié le Sermon sur la chute de Rome. C'est le second livre que je lis de cet auteur.
Cela fait plusieurs jours que j'ai refermé ce livre. Je ne parvenais pas jusqu'alors à écrire mon ressenti, trouver l'angle par où venir vers vous. Je vais tenter de le faire.
Ici l'ensemble du récit se déroule durant les funérailles d'une jeune femme morte accidentée sur une route escarpée de Corse à l'âge de trente-huit ans. Elle s'appelait Antonia. C'est son parrain et oncle qui officie aux obsèques, car il est prêtre.
Antonia a été durant un temps photographe de guerre. De retour au pays, elle a fait quelques reportages auprès des indépendantistes corses. Désormais la Corse est apaisée, alors elle suit les mariages ici où là, photographiant des couples qui avancent dans cette joie encore innocente vers le bonheur conjugal.
Le texte prend la forme d'une liturgie scandée par douze tableaux qui accueillent l'histoire d'Antonia, quelques épisodes de sa vie, sur le terrain de la guerre, en ex-Yougoslavie, mais en Corse aussi. On y rencontre les siens, ceux qui ont été proches d'elle, ceux qui l'ont aimée, désirée. Et surtout ce lien indéfectible entre son parrain et celle qui ne croyait pas en Dieu mais qui était si proche de celui qui lui avait offert son premier appareil photo lorsqu'elle avait quatorze ans.
Le texte se déroule au rythme d'une messe des morts, douze tableaux dans l'itinéraire d'une vie, chaque scène est associée à une photo renvoyant elle-même à certains moments de l'existence d'Antonia.
Sans doute, la foi religieuse occupe une présence immense dans cette Corse entre mer et montagne, entre terre et ciel. Il y a un espace possible pour l'accueillir. Elle est présente dans ce roman comme quelque chose qui révèle les choses. C'est la Corse de Jérôme Ferrari, d'Antonia, de son parrain et de tous celles et ceux qui ont côtoyé cette jeune femme jusqu'à son dernier jour. Même ce couple qu'elle a photographié avant de prendre la route pour finir au fond d'un ravin, a compté comme tant d'autres dans sa vie.
Il est possible de lire et aimer ce livre sans être croyant, je vous le confirme. Mais je l'ai aimé pour cela aussi car il donne un point de vue.
L'écriture est belle et exigeante. On entre de plein pied dans une profonde réflexion sur l'image, l'immédiat, l'éphémère, l'insignifiant, ce qui s'oppose forcément aux mots, au sens, à l'identité.
Jérôme Ferrari pose la question du sens, de l'intimité, de la pudeur. Comment nos vies peuvent s'irriguer de cela. Nous protéger en quelque sorte. L'image s'oppose-elle frontalement à cela ? Ou bien est-elle compatible avec le respect d'autrui ?
Comment peut-on passer de photographe de guerre à photographe de mariage ? Ou bien dit comme cela un peu plus crûment : comment peut-on passer du malheur au bonheur ? Où est cette trajectoire qui peut donner sens à une existence ? Mais Jérôme Ferrari ne nous dit jamais les choses comme cela... Je voudrais tant écrire les choses comme lui, je voudrais tant comprendre les choses comme lui, comme il nous les restitue à travers l'histoire d'Antonia, dans un texte à la fois intime et universel.
À l'heure où, dans nos sociétés fortement médiatisées, une seule photo peut émouvoir, troubler ou indigner, Jérôme Ferrari pose justement la question de l'image, celle des guerres, celle des réseaux sociaux, celle de la relation à la mort. Celle de l'esthétisme et de la séduction. Celle de l'intimité fracassée. Où commence l'un, où se poursuit l'autre...? À quel instant, l'image qui était là pour informer, alerter, saisir la conscience, tout d'un coup perd sens, perd pied, devient racoleuse... ?
Entre le reportage de guerre et le côté glamour des mariages, une parenthèse s'est aussi offerte à Antonia, celui du FLNC, l'époque de la violence du nationalisme corse, Jérôme Ferrari nous dévoile l'envers du décor, parfois tragi-comique, lorsqu'elle fréquentait des indépendantistes corses dans les soirées clandestines, photographiant des hommes en treillis, armés, masqués, qui prenaient la pose pour elle, et qu'elle reconnaissait cependant à leur voix ou à leurs gestes. C'était puéril, presque comme un jeu chez ces grands enfants qui pouvaient cependant dès le lendemain matin tuer l'un des leurs dans des affrontements fratricides.
Ici dans ce livre, j'ai trouvé que la vie et la mort cheminent dans le même itinéraire, les mêmes méandres.
De temps en temps, Jérôme Ferrari nous convoque la figure du Christ. Si la photographie avait existé à l'époque de Jésus-Christ, et si des reporters avaient alors immortalisé l'instant de la crucifixion, la figure du Christ serait-elle alors la même deux mille ans plus tard ?
Tandis que le parrain d'Antonia poursuit son oraison funèbre, des images défilent dans ma tête, celle du livre, mais celle de ma mémoire de quinquagénaire aussi. Je me suis souvenu de photos emblématiques. Parfois j'ai été fasciné par une photo de reportage, de guerre ou pas seulement. Des photos ont marqué ma conscience. Celle d'un bonze vietnamien qui se fait immoler à Saïgon en 1963. J'étais trop jeune, puisque né en 1962, mais j'ai découvert cette photo plus tard à l'adolescence et elle m'a alors totalement bouleversé. Tout comme la photo d'une fillette qui s'appelait Omayra, coincée sous les eaux après un glissement de terrain en Colombie et qui mourut sous les yeux impuissants de ceux qui tentaient de la secourir, les yeux aussi des journalistes. Et forcément nos yeux aussi. Les yeux du monde. Tant de photos célèbres, parfois insupportables, qui approchent le malheur et la mort ont fait le tour du monde, cette fillette nue en détresse courant aux abords d'un temple vietnamien, après le largage de bombes au napalm sur la ville, et ce soldat tenant un pistolet sur la tempe de son adversaire en pleurs qu'il s'apprête à abattre.
Plus récemment, j'ai encore en mémoire cette photo du cadavre d'un petit enfant migrant de trois ans ayant fui la Syrie avec son père, son corps rejeté sur le rivage d'une plage de Turquie.
Et puis il y a aussi cette insoutenable photo dont le roman de Jérôme Ferrari fait allusion, une photo qui montre un petit enfant marqué par la famine, mourant, recroquevillé sur lui-même, à deux pas de lui un vautour est là comme s'il attendait ; c'est une photo intitulée « L'enfant et le charognard », prise par Kevin Carter au Soudan en 1993, en pleine famine. Kevin Carter se suicidera quelques années plus tard, hanté par sa douloureuse expérience.
Les photos peuvent-elles alors réveiller les consciences ou demeurer dans l'impossibilité de poser des mots, ici avant ou après ?
La façon de photographier d'Antonia a-t-elle marquée sa façon d'être avec les autres, les siens, ses proches, celui qu'elle aimait ? Que sait-on d'un photographe à travers ses photos ? Est-il ému ? Est-il froid par ce qu'il voit ? Antonia ressentait-elle des émotions durant ses pérégrinations ? Lorsqu'elle photographiait des gens qui allaient mourir ou qui venaient de mourir, que ressentait-elle alors lorsqu'elle appuyait sur l'obturateur ? Un des moments du livre que j'ai trouvé particulièrement beau est celui où l'auteur nous confie qu'Antonia, au retour de son reportage en ex-Yougoslavie, décida de ne pas développer les photos qu'elle avait prise là-bas... « Sur les photographies, les vivants même sont transformés en cadavres parce qu'à chaque fois que se déclenche l'obturateur, la mort est déjà passée. »
Que nous dit-il alors d'elle son oncle, son parrain lors de la cérémonie de ses obsèques ? Il est un passeur incroyable, qui nous délivre la vie d'Antonia dans son homélie. À quoi pense-t-il alors intérieurement ? Je ne fais pas allusion à son discours, mais à ce qu'il porte sur le coeur, lui qui confia à sa filleule alors de quatorze ans cet objet à la fois insolite et anodin, un appareil photo, cet objet qui devint pour elle comme un sens à sa vie, un passeport pour quitter la Corse, aborder le monde, son ivresse et sa fureur.
Les photos qui montrent la mort sont-elles obscènes où sont-elles militantes ? Parfois les photos les plus dures à voir peuvent faire croire à une profondeur qu'elles n'ont pas.
Il y a dans ce livre un magnifique humanisme, c'est peut-être la seule chose à retenir, s'il fallait retenir une seule chose.
Antonia est un très beau personnage, charnelle, imprévisible, déroutante. Sa beauté sombre me poursuit encore, longtemps après avoir refermé le livre. Mais le personnage que j'ai aimé par-dessus, c'est celui du parrain. C'est à lui qu'Antonia doit ce qu'elle fut, ses joies, ses doutes, ses errances. Et c'est lui qui accompagne sa filleule jusqu'à l'autre rive, la délivrant de notre imaginaire.
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Antonia a tout photographié. Toutes les banalités de l'existence mais aussi toute l'horreur. L'iniquité désastreuse d'une guerre qui oppose des peuples, déchire un pays, trucide, sans état d'âme, femmes, enfants, frères et soeurs. Tous les discours et fausses promesses politiques. Et puis les mouvements séparatistes, populaires, populistes, populeux avec cagoules, castagnes, coups de gueule, de coeur, de rage, de silence, sans oublier les coups bas de toutes sortes.
Elle a toujours regardé la vie à travers son viseur, elle ne s'est jamais trouvée.
S'est-elle perdue pour autant ? Dieu seul le sait… Et encore, même cela n'est pas sûr. Antonia a beaucoup mais mal aimé la vie. Elle n'a pas plus aimé la mort, celle des autres qu'elle fixait sur la pellicule, que la sienne qu'elle n'a pas vu venir sur cette route droite qu'elle a quitté.
Elle a raté le retour vers un chez elle où elle était attendue sans même vraiment le savoir. La dérision de la vie l'a projetée dans un ravin, un gouffre, sans même une trace de freinage. Elle qui pourtant avait voulu plus d'une fois marquer un temps d'arrêt, un ralentissement, un changement de cap…
Dans la tête, c'est si facilement concevable. Mais le passage à l'acte… relève d'un autre monde.
Aujourd'hui, les siens sont tous là. Las aussi de cette vie qui n'en finit pas de mourir. de ce rêve plus d'un fois conçu mais toujours avorté. Sa mère cherchera dans ses affaires une photo de sa fille, une photo à mettre sur la tombe pour que ses traits restent à jamais gravés dans les mémoires. Que jamais ils ne soient recouverts de la chape d'un oubli qui meurtri, estompe, efface et supprime. Antonia était photographe. Mais pas une seule photo d'elle n'existe. Aucune pellicule à son image.
A moins que son image ne soit toutes celles qu'elle a sorti des bains révélateurs… et surtout, peut-être, toutes celles qu'elle n'a jamais développées, n'ayant aucune certitude quant au message qu'elles diraient sur l'Homme, le Monde et le Passé qui tant a maltraité le Présent.
L'artifice de Jérôme Ferrari, en termes d'écriture, consiste à inviter le lecteur à suivre ce rite religieux en cheminant dans les pensées profondément humaines de son parrain, prêtre, qui cherche l'équilibre entre l'homme d'Eglise qu'il se doit d'être et l'humain désemparé qui veut garder les bras grands ouvert pour cette filleule qui s'est tant cherchée.
« A son image » est un hymne à l'humilité des représentations que l'Homme peut se faire d'un Monde où il arrive à vivre sans se trouver. Il est aussi la mise en valeur du point d'interrogation qui devrait accompagner tout énoncé de foi, toute croyance qui doit se fonder sur le doute, la recherche, l'affirmation réservée de nos bribes de compréhension et le silence profond du mystère qui permet la résonance de la vie.
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Comment Ferrari s'y prend-il pour condenser en ce mince volume de 220 pages toute l'histoire du XX°s, la question corse, les désarrois d'un prêtre et la vie d'une photographe ? Non seulement il parvient à cette densité narrative, mais il sait mener son lecteur dans une aventure spirituelle de lecture qui peut mettre le moral et l'imagination à rude épreuve.


En effet, le roman aborde la question de la photographie, qui a déjà inspiré quelques beaux livres (par exemple "L'image Fantôme" d'Hervé Guibert). Or la photographie, plus que tout autre art, pose des problèmes éthiques et politiques, surtout la photographie de presse, d'actualité. L'héroïne est tourmentée par la présence du Mal dans l'histoire, et par l'obscénité de ses représentations photographiques. La Yougoslavie et la Corse lui font comprendre qu'un chasseur d'images n'est pas que le spectateur, mais une partie prenante des guerres qu'il photographie, comme n'importe quel soldat, et que le Mal nous séduit tous par la jouissance qu'il nous procure.


Ces tourments très concrets sont réfractés dans la conscience de son oncle et parrain, prêtre dont la fonction et la vocation, pas plus que celles d'un photographe, ne dispensent de la responsabilité historique. Le souvenir inattendu de Bernanos est bienvenu ici, mais la tragédie que subit ce prêtre n'est pas la même que dans "Le journal d'un curé de campagne". Cette dimension religieuse est une grande qualité de ce livre : esthétiquement, elle ouvre tout sur une perspective céleste, elle donne au livre une profondeur et une densité culturelles qu'on percevait déjà dans l'augustinien "Sermon sur la chute de Rome". Notre contemporaine "laïcité" n'est souvent que l'autre nom de l'ignorance volontaire et satisfaite des choses de l'esprit : l'ouvrage de Jérôme Ferrari, qui a emprunté son titre à la Bible, tente de remédier à ce "complexe de Homais".


Le Dieu de ce livre, qu'il existe ou non pour l'auteur (et il existe au moins dans le récit puisqu'il y joue un rôle actif, celui du Créateur du visage humain, dans le titre), est le Dieu des plus tragiques penseurs jansénistes, augustiniens, peut-être (sans le savoir) manichéens. Mais quelque chose a changé : le roman est bâti sur la Messe des Morts (la vraie, conservée dans les polyphonies corses, non la messe d'aujourd'hui, dit l'auteur) ; les titres de chapitres sont des citations du Rituel, fondé sur l'Ecriture, qui parle d'espérance et de miséricorde. Cela suffit, à soi seul, à modifier l'image du Dieu cruel que l'on rencontrait dans les romans précédents. Il n'est plus seulement à l'origine du Mal, il est le créateur de l'homme, ce qui implique une toute autre relation avec lui que la sévérité, la vengeance et la rigueur implacables du "Sermon sur la Chute de Rome". Ce roman rappelle le grand poème d' Odysseas Elytis consacré à la guerre italo-grecque de 1941, entièrement construit sur l'Office orthodoxe du Jeudi Saint. Comme dans "Axion esti" d'Elytis, la langue et la prière de l'Eglise fécondent et transportent la littérature de Ferrari au-delà du désespoir.


Le livre s'ouvre vers le haut, vers le ciel des idées et des dieux, mais il garde un contact intense avec la réalité matérielle, les sensations, les objets. Et ce sens aigu du concret s'accompagne d'une certaine liberté de pensée et de parole : ainsi, la Yougoslavie n'est-elle pas le pays des méchants Serbes (dont l'auteur sait rappeler le génocide dont ils furent victimes en 1942). De même que l'auteur a osé donner une profonde dimension chrétienne à son livre, de même il a osé parler de péché, alors que "cela ne se fait pas", dans le microcosme culturel français. Et ainsi de suite ... Ferrari prend la liberté d'ignorer les figures obligées du politiquement correct et de l'auto-censure, qui dévastent actuellement la culture française autorisée.
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Antonia est morte. Elle avait une quarantaine d'années et alors qu'elle rentrait d'un reportage photo d'un mariage, la fatigue l'a faite tombée avec sa voiture dans le ravin.
Le roman est constitué des différentes étapes de la messe célébrée par son parrain, prêtre de son état.
Nous sommes en Corse. Chaque étape de ces funérailles religieuses va emmener le lecteur dans les tourments de la vie de Antonia, jeune femme photographe par passion, mêlée affectivement aux agitations terroristes nationalistes, frustrée de ne pas pouvoir trouver la vérité du monde à travers son appareil photo, désespérée de l'avoir trouvée en Ex-Yougoslavie lorsqu'elle décide d'aller couvrir la guerre en free-lance.
Jérôme Ferrari a une façon de philosopher qui amène le lecteur à remettre en question ses fondamentaux alors même que les éléments de la narration sont à mille lieux de ses préoccupations. En effet, quelle est la proportion de lecteurs corses ayant endossé la prêtrise sur le tard qui pourrait s'identifier au parrain d'Antonia ?
Quelle est la réalité ? Celle que l'on perçoit avec ses yeux ? Celle que l'on distingue à travers un objectif ? Quelle est la place de la foi dans cette quête, qu'elle soit religieuse ou politique ?
Très métaphorique et pourtant si proche des intimes sentiments qui nous animent, ce roman est une merveille de littérature intelligente, celle qui si bien écrite nous emmène vers la voie de la réflexion existentielle sans jamais nous faire oublier la faiblesse de notre humanité.
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" Elle est venue photographier la guerre, garder la trace de ce qui se passe ici....
Elle lui écrit  seulement : Je sais que certaines choses doivent demeurer cachées. ...
Il y a tant de façons de se montrer obscène, ecrit-elle à son parrain.
Elle ne développera pas les pellicules. "

Quelle mise en abyme que le dernier roman de Jérôme Ferrari  : À son image
Il faut un peu de temps pour ordonner ses pensées et laisser retomber l'émotion qui vous a étreint à la lecture de ce roman.
A partir d'un événement dramatique,la mort d'une jeune femme, Antonia, dans un accident de la route, Jérôme Ferrari va nous offrir un roman fait de mille tiroirs et miroirs.
A partir d'un récit se calquant sur la cérémonie des funérailles d' Antonia, Jérôme Ferrari va nous offrir dans un espace temps réduit, une reflexion sur l'image, la représentation,  le réel et la mort.
Antonia vivait en Corse et était journaliste et photographe.
Pas photographe de mode ou de pub, encore moins photographe de guerre. Juste photographe pour un journal régional.  Photographe des mariages, des banquets , des associations et des concours de boules.
Nous sommes dans les années 1990 , marquées en Corse par les dissensions entre Nationalistes et marquées en Europe par la guerre des Balkans et la scission de l'ex Yougoslavie.
Depuis son adolescence Antonia est passionnée par la photographie.
C'est son parrain qui lui offrira son premier appareil-photo à 14 ans.
Ce parrain qui deviendra prêtre  et qui attends aujourd'hui sur le parvis de l Église le cercueil d'Antonia.
Et le roman de Jérôme Ferrari va être rythmé par la célébration religieuse.
Chaque chapitre du livre sera un instant de la liturgie mais aussi l'occasion de se perdre sans une représentation photographique.
Et puis il y aura tout au long de cette liturgie le positionnement du parrain qui est aussi prêtre. Rester prêtre et religieux ou parler de sa nièce telle qui la connaissait.
Dilemme qui va parcourir la totalité du roman
Cette liturgie , ce requiem pour Antonia va nous emmener  loin dans la réflexion sur l'image ,la photo, le réel.
Une photo représente-t-elle ce que l'on voit ?
Que peut cacher un cadrage ? Peut être une autre réalité ?
Une photo peut elle être obscène
Une photo  capte t-elle un instant de vie ou un instant qui est déjà mort
Cette réflexion passionnante Jérôme Ferrari va la triturer, la malaxer  au travers de la vie d'Aurelia qui nous est retranscrit par le parrain/prêtre.
Ce regard photographique qui embrase la vie quotidienne d'Aurelia mais aussi le regard qu'elle portait sur le nationalisme corse  ou sur la guerre en Ex Yougoslavie.
Et puis Jérôme Ferrari intègre des moments de vie et de regards de photographes français ou slaves du 20eme siècle.
L'histoire d'Aurelia devient universelle tout comme le questionnement.
Enfin comment ne pas être troublé  par le lien religieux et spirituel entretenu par ce roman liturgique en pensant à la la phrase biblique : Et Dieu créa l'homme à Son image
La boucle est bouclée.
Satanée Image !

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Sur les hauteurs de Calvi, une petite chapelle comble.
Fournaise du mois d'août.
Devant l'autel un cercueil, celui d'Antonia, victime à 38 ans d'un accident de la route. En chaire, sous l'oeil impassible de Notre-Dame du Rosaire, dans les fumerolles des cierges et les parfums d'encens, c'est l'oncle et parrain de la jeune femme qui préside aux funérailles. Sur les bancs de bois, à genoux sur les prie-dieu, les amis d'Antonia, son frère, ses parents.
Et moi.
Moi tout au fond, derrière le bénitier. Moi qui assiste, ému, à l'homélie du prêtre, et qui l'écoute religieusement dérouler à rebours la vie de sa nièce bien-aimée, sa carrière de photographe passionnée, son attachement viscéral à l'île de beauté, sa proximité souvent douloureuse avec certains groupes nationalistes ou encore ses amours contrariées avec l'insaisissable Pascal B...

La construction du récit, qui suit fidèlement celle de cette poignante messe chantée, s'articule autour des douze temps liturgiques de l'office des défunts : elle brille par son habileté et son originalité, et confine pour moi à la perfection !

Grâce au talent de Jérôme Ferrari, grâce à son écriture si riche, si généreuse, si maîtrisée, chaque épisode de la vie d'Antonia nous transporte instantanément dans le maquis corse, sur le port d'Ajaccio, ou sur les théâtres de guerre de l'ex-Yougoslavie où la jeune photoreporteur a plus d'une fois capturé l'horreur sur pellicule...
C'est l'occasion pour l'auteur de se livrer à des considérations passionnantes sur notre rapport à l'image, notre besoin compulsif de suspendre le temps, de le figer sur papier glacé, de mitrailler à tort et à travers et de produire à la chaine soit des clichés stériles, qui souvent ne témoignent de rien d'autre que de l'obscénité du monde, soit des "images mensongères, suggérant une profondeur saturée d'un sens qui, en fait, n'existe pas".

Jérôme Ferrari n'oublie pas d'aborder, en outre, les questions épineuses de la foi, de la fidélité, de la confrontation entre la vie et la mort, ou les impasses de la violence dans la Corse déchirée des années 90.
Autant de thématiques brillamment évoquées au moyen de phrases longues mais jamais lourdes, éloquentes mais jamais emphatique, sophistiquées mais jamais prétentieuses.

Et ce n'est là qu'un des mystères de ce texte bluffant !
"Un roman qui a du sens" (comme l'a dit récemment avec beaucoup de justesse et de concision une excellente chroniqueuse basque qui se reconnaîtra et que je me permets de citer ici ;-)) et qui forcément m'incite, en ce début d'année 2020, à prendre une bonne résolution : celle de lire très bientôt un autre Ferrari !
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