DERRIÈRE les verres épais de ses lunettes, les yeux globuleux et divergents de Jean-Paul Sartre se voilèrent, s’éteignirent tout à fait. Il était tombé le buste sur son bureau, alors qu’il était en train d’écrire un éditorial pour un polizine ; quelques feuilles avaient volé sur le plancher, soufflées par la brutale compression de l’air que le corps de l’écrivain avait produit en s’affaissant. Quelques secondes plus tôt, Sartre avait senti une petite piqûre, quelque part dans son dos ; mais il n’y avait pas pris garde. Il travaillait le dos à la fenêtre, et la fenêtre était ouverte. C’était la fin de l’été, il y avait du soleil, il faisait beau et chaud. L’objet qui avait pénétré sous l’omoplate droite de Sartre, perçant son blouson de laine, sa chemise et son tricot de corps, avait été tiré d’une fenêtre de l’immeuble d’en face, à l’aide d’une carabine spéciale à air comprimé munie d’une lunette de visée : une arme de tueur discret.