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sur 73 notes
Ça aurait pu donner une nouvelle d'une cinquantaine de pages intéressante. Cette immersion d'un narrateur, qui, après le deuil de sa fille, survit plus qu'il ne vit, dans un quartier fantomatique, l'atmosphère qui se dégage du lieu, la transformation du quartier qui se scinde en deux, ville-haute et ville-basse, la rencontre avec deux personnages mystérieux aussi bien que tourmentés, la thématique de la disparition, la thèse de l'épidémie... Tout ça, c'était de la bonne matière.

Bon, pas de chance, une bonne partie de ces thèmes ont déjà été traités par d'autres auteurs, et, en particulier, de façon assez magistrale en bande dessinée dans le cycle des Cités obscures de Benoît Peeters et François Shuiten (la ville qui semble un artifice, la propagation d'un syndrome lié à la cité, , la perte d'identité, la ville scindée en deux, etc.) Il ne restait qu'à Philippe Forest de faire aussi bien, tout en proposant autre chose. Hum.

Et il en a fait autre chose, c'est certain. D'ailleurs, lui-même prétend jouer ici avec les codes du fantastique. Alors, je veux bien qu'il flirte de loin avec le genre, mais enfin, n'est pas Lovecraft qui veut et tout le monde n'est pas capable de le renouveler, ce genre. Malheureusement, ici, le fantastique se limite à une simple ambiance de fond, à un vague prétexte, qui s'efface vite au profit d'une métaphore grandeur nature un peu trop tape-à-l'oeil. L'apogée est atteinte lorsque la montée des eaux coïncide avec les larmes, jusque-là refoulées, du narrateur. Ce n'est pas que je sois sans coeur et insensible à la douleur des autres, mais je serais bien hypocrite de taire l'ennui qui m'a tenue pendant presque toute la lecture du roman, première partie exceptée.

Crue, c'est aussi un constat, prenant l'urbanisation pour support, sur les changements de la société. Mais de ce côté, ça regorge un tout petit peu de platitudes et de passages moralisateurs, le narrateur se défendant constamment, et à grand bruit, de porter un jugement moral sur la société. Or ce jugement, il le porte pourtant bel et bien. Pas forcément à tort (le sort des clochards, des travailleurs immigrés), mais ça ne va pas bien loin, vu qu'il a visiblement peur de s'engager sur cette voie-là. Et les saillies faciles sur l'art contemporain en milieu urbain ou autres sujets, là non plus pas forcément à côté de la plaque, mais qui sentent tout de même leur petit côté beauf et réac, je pense qu'on aurait pu s'en passer. Ça n'apporte strictement rien au sujet principal. Pire, ça l'appauvrit.

Un mot sur le style. Un rien pompeux, agaçant. Philippe Forest nous prend par la main pour nous faire comprendre que le langage est sournois et traître, et qu'il est difficile de mettre en mots la pensée. Que rien n'est dit qui ne puisse se dire différemment. D'où le recours incessant à un procédé fastidieux ; il écrit une phrase, qu'il fait suivre d'un "ou :", d'un "ou encore : ", d'un "ou bien :", d'un "je veux dire :", locution qui est elle-même suivie d'une autre phrase qui reformule la première. Par exemple (oh, mon Dieu, voilà que j'écris comme Philippe Forest !) : "Car telle était encore plus ou moins la physionomie de la ville quand je m'y suis installé. Ou plus exactement : elles étaient en train de changer." Bon, on a vite compris l'intention, donc l'émaillage constant du texte par cet artifice devient rapidement éprouvant.

Donc, nous voilà avec sur les bras un livre qui distille une ambiance brumeuse, ce qui est plutôt réussi, un livre sur le deuil, la perte, avec un propos que l'auteur tente de rendre universel - c'est dit avec beaucoup d'insistance - mais qui se compromet peut-être trop du côté de l'autofiction pour me toucher. Et un récit qui s'étire, qui s'étire, qui s'étire encore et encore, à tel point qu'il finit par se déliter complètement. Alors certes, cette utilisation de la désagrégation dans l'écriture est voulue, l'histoire tendant vers une conclusion qu'on voyait venir depuis le début : tout, tout le monde, disparaît. Philippe Forest prétend avoir capté une vérité. Oui, il ose.

Voilà, je sens que je vais me faire des amis chez Gallimard, moi...



Masse Critique privilégiée
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« Est enim magnum chaos ».

Le monde de Philippe Forest est un monde dévasté par le deuil, hanté par la perte et la disparition : le premier tiers du livre nous engloutit d'abord dans une immense dépression, celle du narrateur qui vit comme un zombie depuis la mort de son enfant , morte à quatre ans - comme l'auteur lui-même qui, de livre en livre, ne cesse , avec opiniâtreté et une grande cohérence, de creuser le sillon de ce deuil de toutes les façons possibles et dont l'oeuvre se définit et s'origine dans cette catastrophe. La même perte a laissé le narrateur de CRUE sans foi dans l'existence.

J'ai tout de suite été comme magnétisée par cette écriture blanche sans pathos, sans ironie et pourtant si profonde, si viscéralement juste, que j'avais l'impression à chaque ligne d'apprendre des choses fondamentales sur moi …et sur tout le genre humain.

Mais c'était presque trop : j'ai laissé mijoter ce premier tiers, et coupé court à mon vertige en lisant d'autres livres. Mais j'y suis revenue aujourd'hui, et j'ai tout lu d'une traite, fascinée, touchée, emportée.

Submergée serait le terme plus juste, puisqu'il s'agit d'une crue, la crue centennale d'une ville spectrale, de toute évidence Paris, dans un quartier en pleine rénovation où j'ai cru reconnaître le XIIIème du côté du quai de la gare, où quelques immeubles anciens se dressent encore comme une vigie du temps passé sur le relief futuriste des tours et le vaste océan des zones bétonnées et des chantiers chaotiques…

Une crue annoncée, incantée, prophétisée, mais à laquelle l'homo urbanicus ne veut croire, jusqu'à ce qu'elle arrive, telle un déluge punitif envoyé par la Nature outragée.

Sauf que, pas plus que le roman n'est une confidence sur le deuil, la perte irréparable d'un enfant, CRUE n'est pas non plus un roman écologiste. Pas du tout, même.

Il est question de croire, (crue est aussi le participe passé de ce verbe, qui revient comme un leit-motiv dans cette fable mi-intimiste, mi-philosophique) - et c'est d'ailleurs sous cette forme sémantique que le mot « crue » , malicieusement, clôt le livre.

Quand on ne croit plus à rien, quand on croit que le rien , le néant grignote notre vie , il est tout à fait étrange que soudain des choses nous arrivent qui semblent porteuses de sens, qui semblent même nous faire signe.

Surtout dans un univers happé par le vide, dans un monde où les enfants meurent, les mères disparaissent, où les chats s'évaporent, où les foyers de réfugiés brûlent provoquant la disparition de leurs hôtes, happés par le vide des rues sans abri, dans un quartier désert et sans âme où seules brillent deux lumières et où résonne le clavier d'un unique piano.

Et il est encore plus étrange que ces deux lumières correspondent à deux présences, à deux rencontres, à deux histoires, surtout quand ces histoires, ces rencontres adviennent à notre narrateur désenchanté…

Dès lors cette femme, cet homme rencontrés et fréquentés, successivement, chaque nuit, pendant dix jours semblent porteurs d'un message.

Surtout quand leur conjointe disparition précède de peu la grande catastrophe..

Non, Crue n'est pas non plus une sorte de roman gothique à l'anglaise- encore que la référence à un roman gothique anglais ne soit pas si inappropriée.. mais je vous laisse découvrir en quoi- c'est un roman poétiquement fantastique, d'un fantastique intérieur, une sorte de fantastique « mental ».

En le lisant j'ai souvent pensé à Solaris , un très beau film russe, de Tarkovsky, je crois, assez impénétrable mais très pénétrant, où une planète-océan charriait, comme une sorte de cerveau liquide, , toute la nostalgie et les souvenirs des hommes dans ses replis et ses énormes tourbillons…

La ville imaginée par Philippe Forest est comme déréalisée par le désespoir de celui qui l'habite, et son improbable rencontre avec un désir -la femme- et avec une prophétie - l'homme- redonne soudain à sa vie la foi qui lui manquait : quelque chose lui arrive, enfin, pendant dix jours, et c'est beaucoup.

Une foi hésitante, rien à voir avec la religion, une foi en soi-même peut-être, en son pouvoir d'user des mots..

Il ne sait comment la nommer, mais la catastrophe annoncée a bien lieu.

La crue, littéralement, le fait croire à une fable, à une fiction, comme à une vérité « toute crue ».

Cette crue, il en réchappe : il est mûr pour d'autres rencontres, pas si anodines qu'elles en ont l'air, pour d'autres échanges, plus apaisés.

Et pour un livre peut-être…

CRUE est un livre –gigogne, plein de sens, d'apologues, de richesse. Pas toujours facile à lire- la dépression du début demande un coeur bien accroché. Mais un livre puissamment original, follement bien écrit, qui fait rêver , qui fait penser.

Un des meilleurs livres de cette rentrée 2016, pourtant assez riche en bonnes surprises, en ce qui me concerne.
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Magnifique, un vrai coup de coeur pour moi ! Quelle belle langue, quel univers, quelle atmosphère, quelle musicalité !
Je suis à contre courant, il me semble, d'après les avis que j'ai entraperçus de ce roman...
J'ai aimé l'écriture fluide, les descriptions vives, pointues et brillantes qui m'ont fait plonger dans ce décor désolé, le fait que l'auteur prenne le lecteur à partie, le suspense que l'auteur entretient parfaitement, les réflexions qui sont nées de cette lecture sur le comportement humain, sur les jugements arbitraires des hommes entre eux, naturels en somme, je crois, par souci d'autoprotection peut-être, sur les impacts des actions des hommes sur la nature et l'environnement.
J'ai aimé le regard que l'auteur pose sur la mort, sur la perte d'un enfant, d'une mère, les sentiments, la douleur, les réactions qui en découlent...j'ai bu ces courts passages, ravivant des souvenirs chez moi et rendant cette lecture douloureuse parfois, mais à la fois si belle. Certains aspects, certaines attitudes que l'auteur décrit ont sonné tellement justes pour moi.
«Une minuscule contrariété suffit parfois. Tout l'échafaudage mental que l'on a construit au cours de sa vie et qui confère son apparente solidité à la structure de son cerveau semble vaciller. Une petite pièce manque quelque part à l'ensemble qui se met à branler et menace de basculer de tout son long. C'est ainsi que l'on devient fou, le crois. Littéralement : pour rien.»
Enfin, j'ai adoré l'atmosphère irréelle et étrange dans laquelle l'auteur nous plonge, «Il donnait à qui le contemplait l'impression de se tenir devant un paysage qui fût en même temps d'avant la création et d'après la fin du monde.», «Tout paraît faux. Et c'est parce que tout est vrai.», la justesse de l'analyse des comportements humains, quand par exemple, l'auteur évoque l'incrédulité ressentie face à une catastrophe. quand les hommes deviennent spectateurs heureux, jouissant devant un "spectacle" tragique, des hommes qui sont justement comme au spectacle alors que se joue un véritable drame devant eux.
Le narrateur évoque les faits avec distance dans un premier temps, donnant une idée générale de ce qui est entrain de se dérouler, pour mieux ensuite s'inclure dans ces événements, s'y immerger, nous faire partager son ressenti, son analyse de ce qu'il nous a donné dans un premier temps à observer...et, par ce procédé, donne au lecteur l'impression de les vivre aussi.
On pourrait avoir le sentiment de redite, ce ne fut pas mon cas ;-)

Un grand moment de lecture, magique, un pur bonheur, des sensations, des frissons, des souvenirs ... une plongée dans le "fantastique" cycle ... de la vie.
Un grand MERCI M. Forest !
Lien : https://seriallectrice.blogs..
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Tout d'abord merci Babelio de m'avoir permis de lire ce livre.

Malheureusement l'avoir obtenu par ce biais me rend d'autant plus... mal à l'aise car ma critique ne serra pas bien positive.

Peut-être n'ai-je pas assez vécu pour apprécier cette oeuvre à sa juste valeur.
Peut-être n'est elle juste pas construite d'une manière qui m'agrée, sans que je m'en aperçoive, et cet égarement joue.
De ces deux point je ne puis pas être certaine.

Mais il est d'autre chose qui m'ont gênées, et sur celles-là j'ai su mettre le doigt.

Un des gros problème est le style. Je l'ai trouvé... verbeux. Lourd, pompeux, il fait mine de suggéré... avant d'expliciter. Trop souvent, j'ai vue des paragraphes qui me semblaient beaux et harmonieux - de fait rarement, le trop souvent s'appliquant à la suite de mon reproche, les paragraphes qui semblaient bons étant eux trop rares - être gâchée par "la phrase de trop".

Un autre problème est que si le côté ambiance ou tout disparait etc, et quelque chose que je comprenais, je n'ai en revanche pas compris ou l'auteur en arrivait à la fin. Je n'ai pas sentie le récit "évoluer". La conclusion est tombé pour moi à plat.


Voici mes reproches, qui terminerons sur un avis : le livre aurait pu être bien plus court et s'en serait tout aussi bien porté, sinon bien mieux.


Après il y a des passages qui m'ont bien plus, dont Mais au final ils occupent un place tr¡ès restreinte dans une oeuvre qui le reste du temps me laissais languissante et pas vraiment passionnée.

Ceci est un avis personnel donc biaisé. Peut-être que d'autres personnes apprécierons au contraire ces même choix qui m'ont repoussé.

Mais il explique ma note.
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Un homme, récemment installé dans la banlieue de son enfance pour d'évasives raisons, se trouve confronté à d'étranges phénomènes de disparition : les proches s'en vont ; les populations changent ; les quartiers d'autrefois s'évanouissent ; la réalité qu'il a connue semble désespérément fuir. Serait-ce l'oeuvre du grand remplacement, ce thème cher à l'extrême droite, avec le soutien de quelque promoteurs immobiliers avides de nouvelles constructions ? A moins que ce ne soient les signes d'un processus plus implacable encore qui nous concerne tous en tout temps ?

Raconté à la première personne du singulier par un narrateur introverti à la personnalité volontairement neutre, le roman se compose essentiellement d'impressions philosophiques et d'une succession d'expériences amenant le héros à comprendre la logique sous-jacente aux phénomènes qu'il rencontre. L'apparition de deux personnages dans la seconde moitié du roman donne un cachet plutôt plaisant à l'intrigue qui n'est pas sans évoquer l'atmosphère étrange d'un film comme Vertigo - sa bande originale siérait plutôt bien à ce roman -, avec cette impression de vertige dont témoigne le narrateur, d'être juste à côté d'une vérité à l'allure d'abîme. Il est en effet beaucoup question de vérité et de vide dans ce roman : «  On veut que la vérité soit toujours à venir, qu'elle reste à découvrir. Non, depuis les origines, elle a été révélée aux hommes » indique le héros (p. 261 ), le rôle de ce roman est ainsi moins de dévoiler des vérités inédites et cachées que de donner au narrateur et au lecteur des expériences aptes à lui permettre de faire sienne une vérité toujours en train de se manifester, à porter un regard lucide, entre angoisse et allégresse, sur le monde et son banal et pourtant si implacable déroulement. Crue s'inscrit dans une longue tradition littéraire et artistique qui fait de la fiction un outil pour apprendre à voir les phénomènes autrement. Voir autrement, c'est sentir en quoi un événement singulier est témoignage d'un processus plus universel : c'est à cette condition que la boue et les gravats d'un chantier ou d'une catastrophe deviennent l'image d'une chair meurtrie et écorchée (p.46), mais qui dépouillée de sa peau de béton révèle la substance même de la réalité et de ses multiples possibilités. Le titre de l'ouvrage prend ainsi sens : la vérité est intimement liée à être à même de voir la réalité dans sa crudité, à deviner la tension permanente entre réalisation et effacement qui gouverne le monde, il en va aussi bien de la construction et la destruction des villes que des corps et des existences qu'ils soutiennent.
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Un grand roman de cette rentrée littéraire : "Crue", de Philippe Forest, aux éditions Gallimard.

Le pitch : Tel un fantôme revenu hanter la ville de son enfance, le narrateur n'y reconnaît pourtant rien, tant les travaux de rénovation et modernisation lui donnent un nouveau visage. de nature discrète et solitaire, ce dernier semble isolé et seul, comme entouré de spectres dans une maison hantée. Voyant les êtres qui l'entourent disparaître peu à peu, le narrateur se décide à nous livrer d'étranges révélations sur la mystérieuse épidémie qui semble toucher notre monde sans que personne ne s'en aperçoive…

C'est à l'occasion d'une opération « Masse Critique », organisée cet par Babelio et Gallimard, que j'ai eu la chance et l'immense plaisir de recevoir ce roman avant sa sortie prévue ce 18 août, me permettant ainsi de me découvrir cette plume bouleversante.

Plongeant son lecteur dans un climat fantastique et apocalyptique, empreint de silence et de mystère, l'auteur aborde ici avec une troublante profondeur la question de la disparition et de l'absence, sans oublier le sens qu'il faut trouver à la vie après de telles épreuves.
Dans un décor que l'auteur a su nous suggérer avec un immense talent, le lecteur est amené à suivre ce narrateur – dont nous ne connaîtrons jamais le noms – qui tente une reconstruction par un retour aux sources suite à un deuil particulièrement douloureux, pour envisager un nouveau départ. Mais l'atmosphère lugubre de cette ville déshumanisée, qu'il ne reconnaît plus et dans laquelle il va devoir survivre lorsqu'arrive le déluge, permet de bien vite réaliser que tout n'est pas si simple.
Soumis à une intense réflexion, le lecteur est rapidement tenté de penser que le narrateur se livre bien plutôt sur son parcours intérieur, celui de son âme, du deuil qui la frappe, du chagrin qui la submerge tel le déluge qui s'abat sur la ville, puis l'annonce de la décrue, symbole qu'il fait continuer à avancer, bon gré, mal gré.
Phrase clé de ce roman, « Est enim magnum chaos » (extraite du roman « Holy Terrors » d'Arthur Machen), qui sera traduite ici par « En vérité, il est un grand vide », résume finalement tout le propos de ce fabuleux roman. Car c'est bien de ce vide dont il est question, du vide que laissent les disparus pour ceux qui restent, du sens que ces derniers cherchent à lui donner et des mots qu'ils espèrent tant lui attribuer. Tout est finalement question d'interprétation, comme le souligne si bien ce narrateur, désoeuvré et malmené par la vie, auquel chacun peut tant s'identifier.
Servi en outre par une plume tout simplement magnifique et saisissante, le lecteur ne peut qu'être happé par ce roman particulièrement poignant.

En bref, un roman poignant, d'une rare éloquence, à découvrir sans hésiter en cette rentrée littéraire !
Lien : http://deslivresetmoi7.blogs..
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« Est enim magnum chaos » : le chaos, ou plutôt le vide, voilà ce que sont nos vies.
C'est une catastrophe, un scandale insurmontable.
Et depuis la mort de sa petite fille Philippe Forest écrit inlassablement sur cette absurdité. En variant les approches et les points de vue. Sans abandonner.
Les disparitions, minuscules ou majeures, sont, dit-il, la seule réalité tangible.
Et même on peut en douter et « il n'y a rien à ajouter au fond. »
Dans « le Chat de Schrödinger », la disparition d'un chat était au centre d'une méditation sur l'absence-présence.
Dans « Crue », l'expérience de la perte est poussée à son paroxysme, puisque c'est l'eau qui va envahir une ville que l'on croit identifier comme Paris. Mais en est-on certain ?

La Seine peut-être, un quartier « près de l'immense bibliothèque », en mutation, en travaux, une « cité fantôme », « spectrale », à proximité d'un « grand cimetière gris », voilà où revient habiter le narrateur qui signe ce récit présenté comme « un rapport à la première personne. »

Quel narrateur d'ailleurs ? Serait-ce « un écrivain un peu en vue », prêt lui-même à disparaître « si les choses tournent mal », un homme qui a perdu sa petite enfant et qui vient de voir sa mère mourir ? L'auteur lui-même ? Peu importe.
Et un rapport sur quoi ? Sur tous les signes qui annoncent que le monde va disparaître.
Un chat d'abord. Une mère. de vieux immeubles ravagés par un incendie. La voisine du rez-de-chaussée, pianiste et amante du narrateur. le voisin, philosophe un peu fou, féru de théories apocalyptiques et de whisky… le narrateur lui-même « étranger au monde. » Tous sont engloutis, happés par « un puits sans fond » avant que la ville elle-même ne soit submergée par les eaux.
Comme un jeu de dominos, une perte en entraînant une autre…
Perte du récit aussi, des repères narratifs, des codes, de la chronologie. « le passé semble se modifier au gré du présent, tirant de lui sa substance changeante. »
« J'en dis trop, je n'en dis pas assez » scande l'auteur.
Histoire, rapport, parabole (déluge et épidémie), roman policier (car enquête il y a), fable, science-fiction, métaphore géante et parfois convenue ? Un peu tout cela sans aucun doute et bien plus encore.
Et ce n'est pas un hasard si le dernier mot de la dernière page est « crue », du verbe « croire » cette fois…

C'est poignant, dramatique et poétique à la fois. Notre vie quoi. Multiple et si précaire.
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Quand à la page 63 je ne sais toujours pas de quoi il retourne, que tout est alambiqué, que rien est nommé et bien j'arrête et je rends le livre. Premier livre de la rentrée.. je me suis perdu avec le chat....
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« Crue », titre ambigu… Est-ce le nom, l'adjectif au féminin, le participe passé ? de quoi être perplexe avant même d'ouvrir le livre. Perplexité qui se poursuit pendant tout le livre dont l'écriture est pourtant d'une grande concision. Écriture hypnotique, d'une hypnose qui ne conduit pas au sommeil (ce livre se lit les yeux grand-ouverts) mais provoque une sorte de lévitation au-dessus de la réalité, pour mieux observer le chaos. Pour annoncer que « (…) le monde autour de moi, avec ceux qui y vivaient, était en train de disparaître sous mes yeux et que personne, sinon moi, n'en voyait rien. » .

Le narrateur vit dans « l'un des quartiers périphériques de l'un des plus grandes et plus vieilles villes d'Europe » dont le nom ne sera pas dévoilé. Il habite un petit appartement dans un quartier en marge, dont le passé fut douteux, dont le présent semble lugubre avec ces « immeubles flambant neufs aux silhouettes dégingandées de géants difformes et grotesques juchés les uns sur les autres. le narrateur reste spectateur de ces métamorphoses citadines. Il vit seul, il a perdu sa fille en bas-âge. Il restreint autant que possible toute convivialité avec ses voisins, n'accordant son attention qu'aux pigeons et à un chat qui s'échappe. En partant à sa recherche, il traverse des zones de chantiers, il a l'impression « de se tenir devant un paysage qui fût en même temps le début et la fin du monde.». La disparition du chat est la réplique en mineur de celle de sa fille, de l'agonie de sa mère à l'hôpital où il entend «sa mère mourante parler à sa fille morte » (page76). D'où cette longue méditation sur le temps qui n'a rien d'une flèche tendue vers l'avenir, ni d'un éternel recommencement. « N'importe quel maintenant ouvre une porte sur jadis. Mais c'est un jadis qui doit tout à l'instant qui le rêve bien longtemps après qu'il ait eu lieu ».

Le temps semble s'ébranler avec l'incendie d'un immeuble voisin dont il ne reste que la carcasse carbonisée. L'occasion de faire connaissance avec les deux voisins qui restent encore dans son immeuble, une femme et un homme. La femme joue du piano – elle n''interprète pas la musique, elle l'évoque. L'homme vit dans les livres et la philosophie. Tous les soirs, il retrouve la femme avec qui il fait longuement l'amour, hors du temps. Puis s'en retourne en passant chez l'homme avec qui, aidé par une bouteille de whisky, il discute, autour d'une citation latine, « Est enim magnum chaos » du néant, du trou noir dans lequel chacun peut tomber, de l'hypothèse d'un grand remplacement.
Un matin, ils ont disparu. Ils ne les retrouvent plus.

C'est alors que commence la description de la crue qui submerge toute la ville et paralyse toute la vie, description utilisant les codes de la littérature fantastique, mais rappelant les inondations récentes dans la région parisienne et la vallée de la Loire. Cette inondation est « l'épanchement du songe dans la vie réelle» ; « (…) toute la cité n'était plus qu'un grand cloaque dont le remugle se répandait partout.» ; «C'était terrible. Mais aussi magnifique. Si l'on peut me comprendre : d'autant plus magnifique que cela était également terrible. » (page 233). Fascination pour le chaos, pour le spectacle impitoyable du délitement d'une réalité qui semblait insubmersible.

Le chat revient. La décrue s'amorce. Il reçoit une enveloppe avec juste la citation latine de son ex-voisin, dont il retrouve la trace dans un livre anglais qui parle d'une disparition inexpliquée…. le chaos ? le vide ? Une épidémie ? Une révélation qui se répète de siècle en siècle ? « On veut que la vérité soit toujours à venir, qu'elle reste à découvrir. Non, depuis les origines, elle a été révélée aux hommes. La vérité toute nue, toute crue, comme il aimait à le dire. C'est juste que personne n'y prête jamais attention. »

C'est dire que ce livre à l'écriture précise autant que houleuse, inverse l'idée que notre époque se fait du destin. le chaos n'est jamais loin, y retomber est une certitude, dans « une sorte de trou noir au bord duquel nous nous tenions et qui, arbitrairement, sans rime, ni raison, aspirait les vivants, les uns après les autres, dans un même vide sans fond » .

Ce livre donne le vertige. Non pas le vertige aérien du vide. Mais celui de l'enlisement, de l'enfouissement d'un monde submergé par le déluge. Livre à déconseiller à celles et ceux qui se crispent sur quelque illusion. A lire intensément par celles et ceux qui veulent trouver ou retrouver une hypothèse à l'inverse de notre civilisation axée toute entière sur l'illusion du progrès. Reste « à peine le souvenir très vague de cette vérité que, je le sais, moi aussi, à mon tour, j'aurai crue ».
Et si ce livre n'était qu'une blague aussi savante que dérangeante ? Philippe Forest est-il un oracle ou un illusionniste ?
Lien : http://jmph.blog.lemonde.fr/..
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Crue est un imbroglio confus dans lequel je me suis perdu, la narration m’est apparue lourde, terne et alambiquée. Même si parfois émergeaient des passages touchant sur la perte, le manque de cohérence du tout n’a pas pu me séduire. C’est dans la souffrance que j’ai terminé ce roman dont je ressors déçu. Le narrateur qui se cache derrière l’auteur ne sait pas où il va et il n’y a aucun affect à l’horizon. Les faits sont décrits de manière clinique et ne mènent nulle part, je cite ci-dessous deux passages qui pour moi résument mon ressenti sur ce roman.

p128 « Tous les livres m’avaient paru vains. Je ne voyais plus ce qu’ils auraient eu à me dire...Ils me paraissaient avoir été écrits dans une langue inconnue dont je saisissais à peu près le sens mais ne comprenais plus la raison d’être. »

p255 « Le fin mot de l’histoire, bien sûr, je ne l’ai jamais su. Nul ne le saura jamais. Je suppose d’ailleurs qu’à part moi il n’intéresse personne. Je suis le seul pour qui ce récit est susceptible d’avoir un sens. C’est pourquoi il m’est si cruel de ne pas savoir lequel. »


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