Année après année j'ai vu les miens éclater la terre, labourer, semer, cultiver, récolter et recommencer, planter les blés de printemps mener les bêtes aux champs, perdre le sommeil aux vêlages et perdre goût à la vie dans les hivers sans amis qui vous dévorent tout cru, dans les saisons sans pluie et les étés sans air. Ne jamais se plaindre était la bonne mesure pour accepter leur sort. Quand ils parlaient de la pluie et du beau temps c'était le contraire de parler pour ne rien dire car du sec ou du mouillé dépendait leur vie tombée parfois plus bas que terre, comme les prix de leurs récoltes. J'ai appris depuis ma jeunesse ce que décembre défait, le monde qui se fige jusqu'aux premiers soleils d'avril. On entend alors le chant clair de l'eau qui ruisselle. Les stalactites qui tombent du bord des toits et des branches. L'existence repart une fois de plus au moment où on allait ne plus y croire.
« Nos fils verront ça, la faillite de la terre » ..
ÉMILE ZOLA : « LA TERRE » …
Ne jamais se plaindre était la bonne mesure pour accepter leur sort. Quand ils parlaient de la pluie et du beau temps c'était le contraire de parler pour ne rien dire car du sec ou du mouillé dépendait leur vie tombée parfois plus bas que terre, comme les prix de leurs récoltes. (P.270)
Le gel gagnait même les barriques et c'est à la scie qu'on découpait le vin. A la hache parfois qu'il fallait le fracasser.
Mo a coupé de grosses tranches de pain. Il connaît les habitudes de son oncle. Des habitudes empruntées à Léonce qui ne quittait jamais la table sans bourrer ses poches de pain qu'il chipait dans la corbeille d'osier. Le réflexe des anciens déportés. Un réflexe qu'il garda jusqu'à sa mort. Les petits larcins de Léonce n'échappaient pas à Isidore encore gamin. Alors lui aussi s'était mis à chaparder des bouts de pain à la fin des repas. Il filait à la tâche sa veste gonflée de tartines. C'est encore sa manière de penser à Léonce, à la déportation, au sens de son existence. (P.178)
« Il est debout devant ses champs .(…….) .
Il est solidement enfoncé dans la terre comme une colonne » ..
JEAN GIONO , « REGAIN » .
Les éoliennes, c'est la dernière arme qu'ils ont trouvée pour nous éliminer, nous les paysans. Quand le béton aura éventré nos terres, quand nos paysages seront devenus des usines en mouvement, nous aurons disparu à jamais.
On est au bout du rouleau. On achètera bientôt le porc en supermarché moins cher que du papier toilette. Tes amis écolos ont voulu faire de nous des paysagistes pour garder la campagne propre et silencieuse–pas de bruit de tracteur surtout !–quand les citadins arrivent dans leur 4/4 avec des vitres teintées, soi-disant pour se mettre au vert et montrer à leurs enfants que le lait de vache ne pousse pas dans les packs en carton mais qu’il sort des mamelles de nos bêtes. Pas de fortes odeurs, de purin, de lisier, pour ces gens au nez délicat. Même nos tracteurs sur les routes ils ne les supportent plus, ça fait des bouchons. On disparaîtrait que ça serait bon débarras.
Il en connaissait un, le père Hubert, qui n'avait pas résisté. Un soir on l'avait retrouvé pendu dans sa grange avec une lettre de relance pour impayé dans la poche de sa veste. Sa mort avait fait moins de bruit que son tracteur à quatre roues motrices. C'était bien fini l'entraide, le partage des machines, les achats de semences groupés. Le blé avait installé sa tyrannie. (P.114)
Question hygiène, il fallait que Suzanne soit vigilante. "J'ai trempé", se défendait-il quand il rapportait dans la chambre les remugles de l'étable ou du cochonnier. Tremper, pour lui, c'était plonger ses pieds dans une bassine en fer et se frotter au gant de crin sans savon ni rien. Et il pestait que Suzanne lui dise : "Tu as de la crasse sous les ongles." La terre ce n'était pas sale. Ce ne serait jamais sale. (P.43)