« Aux États-Unis, il y a
Walt Disney, en France il y a
Paul Grimault. » Et en Belgique il y a
Frank Pé. Découvert un froid soir de septembre, redécouvert un encore plus froid soir d'octobre, et enfin acheté un jour de janvier où il suffisait de baver pour avoir des glaçons, Une vie en dessins est un Beau-Livre retraçant la carrière d'un des plus illustres inconnus de la bande dessinée. Alliant crayonnés, encrages, extraits et images inédites, ce livre a été la source d'une des plus belles périodes de ma vie (qui eut lieu en pleins partiels, je suis vraiment comme ça), et qui m'a consolé plus récemment d'une période particulièrement douloureuse en ce début de mois.
Il faut s'imaginer le jour où je l'ai acheté, ayant craqué plus de 100€ de livres plus la bibliothèque, et je rentre chez moi triomphant, dans mon studio vétuste empuanti par un évier mal essuyé. La gastronomie estudiantine se résumant pour moi à des pâtes à la spiruline et au riz salé, je double les quantités quitte à avoir mal au ventre. Mais qu'importe, je plonge mon regard au hasard dans les immenses pages, dès que la nuit est tombée et ma lampe en plastique éveillée. Sous du Feu ! Chatterton. Bande-son : Boeing pour les aventures de
Little Nemo dont la pureté des traits me fait m'identifier pour la première fois à un personnage que je ne connaissais que sous un pinceau plus rigide, La Malinche pour Manon dont je suis tombé éperdument amoureux. J'oublie de mettre mon bas de pyjama, les pires épisodes de Star Trek TNG me semblent pas si mal (je parle de la saison 1, ne hurlez pas au blasphème !). Tout est un prétexte à l'émerveillement, la beauté et la sensualité.
Frank Pé s'est fait connaître par Spirou avec Broussaille dont les titres m'intriguaient déjà enfant dans chaque catalogue à la fin des albums Dupuis. Il y a aussi publié L'Élan de manière plus minimaliste et intime, mais c'est avec sa trilogie Zoo qu'il érige une gigantesque fresque animalière où il crée le personnage de Manon, qu'il reprendra notamment pour des hommages érotiques au symbolisme et à l'Art Nouveau. Puis c'est son tour de reprendre Spirou le temps d'un album avec
Zidrou au scénario avant que les deux compères ne fassent un spin-off sur le marsupilami dont j'ai déjà pu chroniquer le tome 1. En parallèle de quoi c'est le pourtant étasunien
Little Nemo qui reprend vie sous ses pinceaux. Tout ça dans une quantité d'albums relativement peu élevée, mais d'une qualité extraordinaire.
En effet, difficile de ne pas être admiratif devant cette ligne dynamique, et pourtant réaliste ; cette précision extrême sans pour autant tomber dans l'académisme ; cet amour pour la nature et les animaux, ce sens des couleurs et de la lumière. Face à ces univers lumineux ou enfantins, voire les deux, on pouvait s'attendre à ce que l'auteur ne soit un fin connaisseur que de la peinture figurative et des bandes dessinées de l'âge d'or franco-belge ; mais en y regardant de plus près, on découvre des références venant des quatre coins du 9e art.
Déversant son talent dans le récit d'aventures, la fantasy, le fantastique, le Paris de la Belle Époque, ou même mon musée préféré,
Frank Pé a su forger le plus inestimable trésor de toute ma bibliothèque. Mais il a fait bien plus. Je suis dur et exigeant, voire pointilleux, avec les autres et peut-être plus encore avec moi-même. Je vois tous les défauts de mes travaux et je culpabilise pour des choses vieilles de plusieurs années. Abreuvé par la médiocrité ambiante des médias et anti-médias, enfermé avec moi-même au fond de ma chambre, je souffrais en silence jusqu'à ce que
Frank Pé me redonne envie de dessiner, aussi mauvais que je sois, de créer, de croire en moi. Ce n'est pas tous les jours qu'on est sauvé par la culture.
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