Des atmosphères quasi climatiques (soleil, pluie, cyclones) touchent directement les sens du lecteur en même temps qu’elles informent sur l’état d’esprit des personnages. Les dialogues ne sont pas sans rappeler ceux du théâtre tout en frôlant la poésie.
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Haute philosophie de la lame qui tranche. Je confie mon coeur blessé à la chirurgie savante des araignées du temps. Doigts d'horloge glissant sur la toile de l'oubli. Psychiatrie empirique. Les vents nocturnes lisent avec rudesse les sentences des arbres malades de solitudes. Lecture anarchique. Ce n'est que déluge de mots pour si peu de gestes. La source ne raconte qu'aux pierres discrètes ses aventures souterraines. Le temps s'épaissit dans l'absence obscure sous les picotements de l'impatience. Les démangeaisons de l'âme en proie au désespoir. J'attends toujours quelqu'un qui ne vient jamais, ou qui revient différemment que j'y pensais. Pourtant je bénis la course des feux imaginaires. je me lave de mes larmes. Je mets ma douleur en quarantaine. Puis, je tente de rire en marge de moi.
Fausse liberté, le verre anéantit la révolte des poissons de l'aquarium. Moi, j'enrage contre la mémoire neutre des miroirs frivoles et la cécité des parois de verre. Je dis la puissance de mes yeux sur les lacs, sur la mer, sur les fleuves et sur toutes les régions où vit un peuple de miroirs bavards.
Nous avons vécu si longtemps dans une aire enténébrée que nous ne savons plus en quoi le rêve se distingue du réel, ni la cécité du sommeil. Nos paupières sont cousues de fil invisible. Progéniture au visage sans yeux. Ne pouvant et ne voulant rien, que valons-nous vraiment ? Il faudra que vienne la lumière, telle une immense et brutale armée de bistouris.
Battre la générale ! Sonneries. Tambours. La tempête me révèle la profondeur du coeur. La complexité de la vie.
Par présomption, je m'étais pris pendant longtemps pour un dieu vivant. Beau. Terrible. Je m'étais cru volontiers une force irrésistible. Fleuve viril. Lumière féconde. Vent puissant. Vague houleuse labourant la mer. Bourradant navires, épaves et corps noyés. Je m'étais cru forêt touffue. Chaîne de montagne. Batterie d'orages. Séisme irriguant, de mon sang, les veines de la terre. Avalanche de silex éclatés. flamme brûlante. Bouche dévorante. Eclair Tranchant. Amas de nuages gonflés de pluie. Avalasse irrésistible.
Longtemps, superbe, je m'étais cru dieu magnifique à pouvoir coucher tout seul la vie. Solitude effroyable! Je n'ai connu, à la limite, que la faiblesse et la vulnérabilité du simple mortel isolé dans l'échec. J'ai appris alors l'humilité pour éviter l'humiliation. Je m'initiai douloureusement à devenir un homme parmi les homes. J'ai souffert. Je souffre encore de vire. Mais j'accepte la vie minuscule des gouttelettes d'eau et des grains de poussière, s'ils contribuent à la croissance de l'arbre. Et aujourd'hui plus que jamais, me reconnaissant brin d'herbe fragile, je vibre au moindre bruit de pas dans un sentier ténébreux. Et mêmement frêle au frisson des étoiles, je frémis comme fleur de lune au soupçon d'une voix nocturne.
"Chaque jour, j'emploie le dialecte des cyclones fous. Je dis la folie des vents contraires.
Chaque soir, jutilise le patois des pluies furieuses. Je dis la furie des eaux en débordement.
Chaque nuit, je parle aux îles Caraïbes le langage des tempêtes hystériques. Je dis l'hystérie
de la mer en rut.
Dialogue des cyclones. Patois des pluies. Langage des tempêtes. Déroulement de la vie en spirale. Fondamentalement la vie est tension. Vers quelque chose. Vers quelqu'un. Vers soi-même. Vers le point de maturité où se dénouent l'ancien et le nouveau, la mort et la naissance. Et tout être se réalise en partie dans la recherche de son double. Recherche qui se confond à la limite avec l'intensité d'un besoin d'un désir et d'une quête infinie. Des chiens passent - j'ai toujours eu l'obsession des chiens errants - ils jappent après la silhouette de la femme que je poursuis. Après l'image de l'homme que je cherche. Arpès mon double. Après la rumeur des voix en fuite. Depuis tant d'années. On dirait trente siècles.
La femme est partie. Sans tambour ni trompette. Avec mon coeur désaccordé. L'homme ne m'a point tendu la main. Mon double est toujours en avance sur moi. Et les gorges déboulonnées des chiens nocturnes hurlent effroyablement avec un bruit d'accordéon brisé.
C'est alors que je deviens orage de mots crevant l'hypocrisie des nuages et la fausseté du silence. Fleuves.Tempêtes. Eclairs. Montagnes. Arbres. Lumières. Pluies. Océans sauvages. Emportez moi dans la moelle frénétique de vos articulations
la source ne raconte qu'aux pierres discrètes ses aventures souterraines.
Présentation de Frankétienne (écrivain haïtien) / Emission "qui est-il" (Agora des jeunes)