Cyclisme
À Jean Carmet
L'archevêque était jaloux du curé. La curé avait une bicyclette. Parfois il roulait, lâchant son guidon pour lire son livre de messe. L'archevêque le voyait passer tout noir sur ses roues d'acier devant sa fenêtre, tantôt sifflant, tantôt souriant, grisé de vitesse. Il cornait avant le tournant. Quelquefois, si une oie barrait le chemin, il sonnait avec un timbre placé devant le frein.
Le soir, au retour, il croisait des camions lourdement chargés ou d'autres qu'il fallait dépasser, qui remontaient vers la ville. C'était le gros klaxon qui marchait, sur le côté droit du guidon, à côté de la petite trompe.
Quand il faisait beau sur la route le dimanche, les jeunes carmélites s'en revenaient par quatre ou cinq en chantant. Le curé les dépassait en les prévenant au moyen du grelot attaché sur la selle. Pour les encombrements, les foules, les obstacles imprévus, une sirène magnétique fixée au milieu du guidon communiquait à sa pédale de gauche.
Il avait d'autres accessoires de secours, des trompes marines, une sorte de petit cor qu'il portait sur l'épaule. Et même, sur la tête au-dessus de son chapeau rond, une grande batterie de cuivre avec deux mailloches feutrées, dont il ne se servait que très rarement, très rarement, pour faire envie à l'archevêque.
Il y a de la profondeur cachée …
Il y a de la profondeur cachée dans mon langage. Je parle ne
sachant ce que je vais dire et les mots s’assemblent en oracle. Du
moins, on me le dit. Si je parle longtemps, je bâtis un monde, où
je me perds. Il me faut de patients amis pour m’expliquer. C’est
donc qu’entre ma parole et ce qui l’anime il y a quelque chose
que j’ignore. Peut-être quelqu’un. Je ne crois pas porter de dieu.
Je voudrais dire quelque chose d’indifférent, une broutille. Je n’y
parviens pas. Toujours une lumière au fond de mon puits, une fleur
dans mon désert.
Pour tout ce que je dis, mes amis trouvent des excuses. Il me vient
alors des envies de gâter le miracle. Je parle de mes bretelles. Eh bien !
ce n’est pas encore futile. Pas du tout.
MUSIQUE
À Pierre Barbaud
extrait 2
Quand tout est prêt, il fait jouer sa messe dans la cave de l'église par des musiciens à cheval que l'on a fait boire. L'ébranlement se communique aux voûtes Jusque devant le portail, où l'audition est atténuée pourtant, le sang gicle de l'oreille des fidèle. des personnes âgées s'effondrent, des poumons cèdent. Les vitraux se brisent, du toit les plâtres retombent sur les statuettes décapitées des saints et de la Vierge.
On retrouva le prêtre évanoui sous un amas de verre, de poutres. Par moments il avait cru voir la terre s'entrouvrir. Dieu est content.
IDÉE FIXE
Je suis capable de tuer mon père
si mon père flottait
et qu'il me faille un radeau
ayant la forme de mon père
pour flotter sur les eaux.
Je suis capable de tuer ma sœur
s'il fallait du sang rouge
pour peindre son cœur.
Je suis capable de tuer mes deux enfants
s'il fallait les soustraire à l'école
et qu'ils ne sachent jamais
la règle des participes.
Je suis capable de tuer Dieu
s'il me fallait mourir
afin qu'il me pardonne
et qu'il voie que tuer ce n'est qu'une habitude.
N'A-QU'UN-ŒIL
Non pas géant bien qu'il fût seul
et qu'il atteignit les oiseaux
et que sa tristesse fît pleurer les eaux
d'une caresse longue et pâle.
Non pas dieu qu'il fût vieux
et fou et créât des démons
jetant des feux autour des branches
croisées sur ses bras noueux.
Non pas esprit bien qu'il fût sage
c'était le soir un cri plus qu'un être
qu'on croyait reconnaître
dans le secret de son sommeil.
L’émission « Relecture », par Hubert Juin, diffusée le 11 novembre 1984 sur France Culture. Invités : Jean Chouquet, Pierre Drachline et Françoise Caradec.