C’est face à son reflet que Raphaël a eu l’idée qui allait changer notre vie à jamais.
Il était planté devant le miroir de notre chambre, comme paralysé, avec dans les yeux une lueur inédite. Des yeux qui croisèrent les miens.
— T’as confiance en moi, Vic ?
Si j’avais confiance en lui ? Je plaçais en mon frère une confiance absolue, une ferveur inébranlable ; le lot de tous les jumeaux, j’imagine. D’une certaine manière, j’étais déçu de constater qu’il avait besoin de s’en assurer. Il abandonna son reflet pour me dévisager avec une intensité effrayante.
J’ai attrapé l’oreiller et l’ai jeté sur lui, espérant qu’il efface cette expression étrange de son visage. Sauf qu’il l’a conservée, l’a amplifiée, et ce que j’avais d’abord pris pour un simple regain d’enthousiasme, traduisait en réalité les prémisses d’un comportement déviant.
— Je sais comment on va procéder, me dit-il. J’ai trouvé un moyen.
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— Un moyen pour faire quoi ?
— Pour s’en débarrasser, fit-il en désignant le parquet.
J’ai suivi des yeux la direction qu’il indiquait et j’ai vite compris qu’il ne parlait pas du plancher usé de notre chambre, mais de ce qui se trouvait en dessous. De qui se trouvait en dessous.
Quand la voix de notre beau-père retentit à travers les lattes, poussée depuis le salon et ponctuée des supplications déchirantes de notre mère, un sourire encore plus féroce que son regard apparut sur le visage de mon frère.
— On va s’occuper de cette ordure, fais-moi confiance, a-t-il susurré.
Simuler son propre assassinat. Se faire passer pour mort aux yeux de tous, pour ensuite vivre au grand jour. L’idée aurait pu être citée en exemple dans le Larousse pour la définition du paradoxe. C’étaient les lignes générales du stratagème que Raphaël voulait adopter. Un plan qui n’avait aucun sens si l’on écartait le fait que nous étions de vrais jumeaux.
Identiques.
En tout point.
Un plan qui, je devais l’admettre, s’avérait brillant.